L’écosystème touristique de Google
Un sujet passionnant et un titre de billet qui pourrait presque être digne de se retrouver dans les salles d’examen des formations tourisme. Pierre vous en a presque donné l’eau à la bouche hier et Ludovic n’en a pas manqué une miette la semaine dernière. Dans cette métaphore gastronomique, je ne demanderai pas non plus mon reste en vous parlant de l’ami Google ! Car en fin de semaine dernière, j’ai eu le plaisir de participer au séminaire SITRA 2011 et d’intervenir sur les dernières innovations de Google dans l’eTourisme et de la place des institutionnels dans l’écosytème Google déjà bien installé dans le tourisme. Je remercie au passage Karine Feige, Ludovic Dublanchet et tous les animateurs, acteurs du réseau pour l’invitation.
Tom Mulders, Google Industry Manager, donne le ton et précise le positionnement de Google en matière d’eTourime. Force est de constater la corrélation avec celui des organisations touristiques publiques : “Quand nous posons les différentes phases du cycle du voyageur – Rêver, Rechercher, Réserver, Vivre une expérience et Partager – nous y voyons un potentiel d’innovations, particulièrement dans les premières étapes d’inspiration et de recherche, et dans la dernière, autour du partage.”
Le marché publicitaire du tourisme en ligne représenterait 90 milliards $ USD, Google n’étant pas particulièrement connu pour sa philanthropie, il est évident que l’appât du gain est une des principales sources de motivation de Google et explique à lui seul les nombreux investissements et achats dans le marché du tourisme. Même si les irréductibles Yelp et Groupon ont su résister à l’agitation du portefeuille de Google, la contre-attaque ne s’est pas fait attendre avec les sorties respectives de deux services concurrents Google HotPot et Google Offers.
Depuis le début, Google a misé sur la cartographie avec Google Maps et désormais Google Maps Navigation, une solution de guidage par GPS disponible sur smartphone Androïd, donc la prochaine évolution attendue reste le téléchargement hors ligne des itinéraires, permettant ainsi le guidage en rase campagne en mode forcément déconnecté.
Le Google Labs est une véritable niche d’innovations, bien que certaines ne passent pas le stade de l’éprouvette, c’est le cas de Google City Tours, capable de suggérer à la volée des itinéraires de visites, ce qui n’est pas sans rappeler YourTour, à méditer…
Google Art Project est assez bluffant, capable de vous ouvrir les portes des plus grands musées internationaux et de zoomer avec une précision redoutable jusqu’à distinguer précisément le coup de pinceau de votre artiste préféré.
Google Goggles mélange habillement réalité augmentée et reconnaissance faciale, avec votre téléphone intelligent vous photographiez n’importe quel point d’intérêt touristique entres autres et Google vous lance la requête correspondante sur ses pages de recherche, et hop les barcodes 2D aux oubliettes !
Pour la petite histoire, Youtube a été créé en février 2005 par trois anciens employés de PayPal, leader du paiement en ligne. Un an après, Google a annoncé qu’après avoir conclu un accord, il deviendrait le propriétaire de l’entreprise en échange d’actions Google d’une valeur totale de la bagatelle de 1,65 milliard $ USD. Longtemps, on a spéculé sur la rentabilité de Youtube (je ne voudrais pas recevoir les factures d’hébergement pour 48 heures de vidéo mise en ligne chaque minute!). Ceci étant posé, aujourd’hui c’est 3 milliards de vidéos vues quotidiennement sur la plate-forme de streaming, ce qui revient à dire qu’un terrien sur deux est exposé à une vidéo YouTube quotidiennement (rassurez-vous ce n’est pas toujours le même 🙂 et autant de possibilités pour l’affichage d’annonces publicitaires sponsorisées, la manne financière de Google. A l’instar de Tourisme Québec et de l’Institut du Tourisme brésilien, les chaînes officielles deviennent désormais de véritables mini-sites et non plus seulement des espaces de stockage vidéos.
La vidéo est un des grands défis de Google avec le lancement de Google TV dès 2012 qui nous laisse croire à une révolution sur notre consommation télévisuelle. En France, nous nous heurterons sans doute au fameux Hadopi comme grand défendeur des droits d’auteurs. Sans plus de polémiques, je laisse cette conclusion éclairante à Éric Schmidt (CEO Google) : « L’histoire nous a montré que face aux nouvelles technologies, ceux qui adaptent leurs modèles économiques n’ont pas simplement survécu, ils ont prospéré. »
Wave, Google Buzz des services aussi révolutionnaires d’éphémères, le communautaire n’a jamais été la spécialité de Google et ne le sera peut être jamais. Rien n’est joué, Google+ n’a pas encore dévoilé sa toute puissance, de nombreuses évolutions devraient être apportées (dont les Pages pour les marques) mais on peut quand même s’interroger sur la pérennité du service quand la fulgurance des 20 millions de comptes créés sur le réseau social Google+ en quelques semaines laisse déjà place à la chute libre de son audience. Paul Adams, l’auteur du remarquable The Real Life Social Network n’est guère plus rassurant, invoquant une “culture d’ingénierie trop forte au sein des équipes pour pouvoir réellement comprendre les subtilités des sciences sociales” et justifiant ainsi son départ pour… Facebok CQFD (Source).
Comment parler de l’empreinte de Google dans le tourisme en ligne sans évoquer le système d’information touristique mondial, le bien nommé Google Adresses pour les francophones et Google Places pour les anglophones. Un service savamment exploité autour du mantra Social, Local, Mobile avec le lancement de Google City Pages, de véritables sites de destination aujourd’hui en test sur quelques villes américaines.
Côté Social, Google s’est largement inspiré de Yelp dont la stratégie de développement repose sur l’animation touristique locale par un animateur de communautés dédié. Google Offers apporte la touche Locale tandis que la simplicité et la rapidité de l’application mobile Google Adresses, centrée dès son ouverture sur le tourisme, vient parfaire ce cocktail aussi détonant que machiavélique pour des utilisateurs conquis d’avance.
Je passe rapidement sur le NFC, une technologie de communication sans contact sur laquelle Google mise beaucoup et qui laisse entrevoir de nombreuses possibilités dans le tourisme. Un téléphone intelligent permettra ainsi d’ouvrir la porte d’une chambre d’hôtel, de passer les portillons de métro comme pour s’enregistrer avant le décollage simplement en positionnant son terminal à proximité d’une borne réceptive. Une technologie qui n’a de limites que celles de l’imagination des développeurs.
Suite à l’achat constesté d’ITA (leader en système de billetterie aérienne) qui place Google dans une position quasi hégémonique face à ses concurrents, il n’a pas fallut attendre longtemps avant la sortie de Google Flights Search. Suite à l’investissement de Google dans HomeAway de l’ordre de 25 millions $ USD, on pourrait même spéculer sur un prochain « Google Gîtes Trouveur ».
Une belle brochette de services dédiés au tourisme qui mis bout à bout forment un bel Googlécosystème touristique qui pourrait mettre en péril le fameux Google Travel dont tout le monde parle, annoncé comme le supermarché des voyages, sur le modèle de Bing Travel ou Yahoo! Travel. Mais qui d’après moi ne pourrait être finalement qu’une agrégation de services diffus (ceux là même exposés ci-dessus) dans une page de démarrage Google personnalisée à souhaits, tout simplement !
Dans tout cet écosystème, il ne faut pas oublier que Google est avant tout un moteur de recherche même s’il a la fâcheuse tendance de se détourner plus ou moins de son activité principale comme pour mieux nous endormir. Heureusement le gentil Panda est là nous ramener à la dure réalité du référencement même si le coup de bambou semble moins sévère dans le tourisme.
Et la place des systèmes d’informations touristiques (SIT) face à Google Adresses ?
Deux modèles s’affrontent :
- celui de Google basé sur 6 milliards potentiels de contributeurs (si on compte les couffins et les grabataires 🙂 puisque ce sont les internautes qui alimentent directement la base de données, avec la possibilité tout de même pour les propriétaires d’établissements de revendiquer leur Page Google Adresses. Dans la pratique c’est beaucoup moins simple, sans doute une des raisons à l’ouverture d’une boîte à suggestions pour donner des idées à Google dans le cadre de futurs développements.
- celui des systèmes d’informations institutionnels organisés en réseaux, qu’ils soient chef de projets, animateurs, ou en charge de la saisie de l’information sur le terrain, ils sont généralement plusieurs centaines de personnes à travailler autour d’un véritable écosystème à l’échelle d’une destination (administrative).
Google en trois mots est simple, rapide et efficace. La recette marche à tous les coups, on adopte l’ergonomie en quelques secondes et c’est encore plus révélateur sur les mobiles !
Les systèmes d’informations touristiques sont fiables, alors que Google Adresses regorgent de manques, pire de doublons ou d’informations non actualisées. L’information y est qualifiée, sans doute insuffisamment exploitée aujourd’hui, alors que Google se limite aux informations basiques comme le prix et les horaires d’ouvertures (pourquoi on s’embête franchement ? :-). Et enfin, l’organisation en réseau qui fait parfois vivre un enfer aux administrateurs n’est qu’un garde-fou nécessaire pour pérenniser la qualité de l’information.
Mais Google s’assoit sur les SIT (grand moment de solitude sur le jeu de mots..) car il ne connaît même pas leurs existences, comme l’avait traduit la réponse de Matthias Papet (Travel Industry Head – Google) en 2010 aux Rencontres Nationales du Etourisme Institutionnel.
Pourtant l’un et l’autre pourrait avoir un avenir commun, les systèmes d’information touristiques venant alimenter la base Google Adresses d’informations fiables et actualisées, pour le bénéfice du voyageur et par voie de conséquence du territoire, de sa fréquentation touristique et enfin de son développement économique. Au delà de toute polémique sur la monétisation éventuelle des données, n’est ce pas une des missions régaliennes des organismes institutionnels du tourisme ? Et hop ni vu, ni connu, je lance un pavé dans la mare des données ouvertes comme un nouvel envol pour les systèmes d’informations touristiques tels que nous les connaissons aujourd’hui, ouvrez ouvrez la cage aux oiseaux, chantonnait Pierre Croizet dans un billet animé et commenté, preuve que le sujet intééresse.
Dans ce schéma, comme le seul interlocuteur potentiel de Google reste l’Agence de développement touristique de la France. Ainsi, Atout France devrait être en mesure de fournir un flux de données national et pas seulement un format de données commun plus ou moins respecté. Et l’on se prend à y croire lorsqu’au séminaire SITRA, nous avons eu la chance d’écouter un représentant de la mission Etalab (Placé sous l’autorité du Premier ministre et rattaché au Secrétaire général du Gouvernement) qui “coordonne l’action des administrations de l’Etat et apporte son appui à ses établissements publics administratifs pour faciliter la réutilisation la plus large possible de leurs informations publiques.” Avec quelques inquiétudes, à la vue des quelques 273 Fans de la Page Facebook et aux dires de son représentant, Alexandre Quintard, la mission ne placerait pas les données touristiques au rang de ses préoccupations premières. Le bas blesse ! Il est vrai qu’il vaut mieux s’intéresser prioritairement aux données cadastrales qu’aux informations touristiques dans un pays où le tourisme représente un peu plus de 6% du PIB et près d’un million d’emplois directs, dura lex sed lex comme dirait l’autre.
Ce qu’il faut en retenir ?
Google est un facilitateur de recherche doublé d’un modèle économique nobélisable, il ne sera jamais producteur mais toujours à la recherche de diffuseurs, et pourquoi pas les SIT ?
Et pour faire preuve d’à propos, c’est beau de rêver, non ?