Cyber-entretien(*) avec Rasmus Andersen, président de l’association C/OPEN/HAGEN.
Bonjour. Pourriez-vous nous dire comment est née l’opération « Holidays, Everyday » ?
Tout ceci est parti d’un voyage d’études que les responsables du tourisme institutionnel de Copenhague ont fait à Séoul, il y a trois ans. Ils y ont rencontré Jan Chan-Wook (voir ici ), un éminent spécialiste du etourisme. Et ils ont été particulièrement séduits par son idée de vacances numériques. Ils ont alors décidé de lancer une recherche et une expérimentation sur ce thème. Mais comme ils voulaient aller vite, ils ont opté pour un partenariat avec une association déjà reconnue. Au Danemark les institutions ne prétendent pas détenir toute la science et se retournent très souvent vers les acteurs privés ou associatifs. De plus ce partenariat n’entraine pas d’effet d’aubaine, car il n’y a pas de subvention à la clé. Il y a tout au plus des frais d’études ou d’amorçage. Les subventions sont un cancer incurable pour la créativité ! Ceci nous a amené à lancer un projet d’étude en open innovation (**). De nombreux articles et publicités ont été publiés et faisaient appels aux idées des habitants de Copenhague. La participation fut massive , des plus jeunes aux plus âgés , des plus pros aux plus amateurs. Et c’est ainsi qu’est né le projet « Holidays, Everyday »
Pouvez-vous nous le décrire en quelques mots ?
Beaucoup de gens viennent dans notre ville sur des durées courtes de l’ordre de 2 à 4 jours. Ils sont bien entendu touchés par la qualité des lieux et par l’accueil, mais passent à côté de nombreuses richesses et finesses. C’est pour cela que nous leur proposons de rester en vacances «virtuelles» dans notre ville toute l’année ! De façon à mieux nous connaître et à mieux nous comprendre. Le but est clair: nous voulons les inciter, soit à revenir, soit à préconiser notre destination. C’est quand même dommage de voir les sommes colossales investies pour les faire venir et l’absence de tout investissement pour les faire revenir ! Comme certains ont promu le « slow food » nous essayons de proposer les « slow holidays ». Un peu de profondeur, un peu de recul et beaucoup de temps pour savourer et mieux comprendre. Notre mission commence quand les gens arrivent dans notre ville. Notre objectif est de faire du recrutement de touristes permanents. Nous agissons bien entendu à l’aéroport, auprès des loueurs de véhicules et surtout via la communauté des restaurateurs. Notre argument est le suivant : « un an de vacances à Copenhague ! » . S’ils acceptent de remplir un petit questionnaire accessible par un QR code situé sur les documents de promotion, ils se voient invités, eux et leur famille, à rester à nos côtés pendant un an.
N’est-ce pas une forme de ségrégation que de ne s’adresser qu’aux´possesseurs d’outils numériques ?
C’est vrai. Mais peut-on faire autrement ? Notre action n’est possible que grâce aux miracles du numérique. Nous mettons en œuvre une belle idée issue de l’économie du 2.0 : » offrir des bits pour vendre des atomes » . Le coût marginal du numérique est quasi nul et n’est pas en contradiction avec nos principes de développement durable. Si certains vivent encore avec les habitudes du 19eme siècle, ce que nous respectons, nous ne pouvons les faire bénéficier des avantages du 21eme ! Le tourisme à tout à gagner à faire de gros efforts vis à vis des franges modernes de sa clientèle. Ce sont eux qui créent les tendances, qui créent des contenus, qui propagent les idées et surtout qui animent les réseaux sociaux. Le bouche à oreille numérique passe par un petit pourcentage de touristes qu’il faut savoir traiter avec beaucoup d’efficacité !
Revenons donc à ceux qui s’inscrivent. Que leur proposez-vous ?
Nous commençons par « offrir des bits » tout au long de l’année . Nous avons créé un parcours des lieux « interdits ou inédits » de notre ville. Interdits parce que trop fragiles ou habités. Pour cela nous avons réalisé des visites virtuelles qui permettent de visiter certains lieux secrets au coeur des palais royaux, des demeures historiques privées ou des monuments religieux. Certaines visites mettent également en avant des collections d’objets non présentés dans les musées. Et surtout, chaque expo temporaire donne lieu à une visite virtuelle qui va servir d’archive et qui sera l’un des composants envoyé à nos i-visiteurs. Le tout est mis en scène sur une carte qui géolocalise tous ces lieux et qui est alimentée semaine après semaine. Chaque trimestre nous faisons également parvenir aux abonnés des ebooks, dans leur langue, pour leur présenter des textes anciens ou modernes de nos principaux auteurs. Nous leur faisons également parvenir des lithographies « prêtes à imprimer » pour qu’ils puissent profiter des œuvres de nos talentueux artistes amateurs. De temps en temps nous leur envoyons une sélection musicale d’artistes locaux. Nous avons notamment une création jazzistique très riche et notre action en fait une promotion régulière.
Et pour le côté « atomes » que leur vendez-vous ?
Tout d’abord, ces envois réguliers contribuent à vendre des séjours. Que cela soit pour les destinataires ou pour les réseaux sociaux auxquels ils appartiennent. Nous avons pu mesurer un coefficient multiplicateur de diffusion de 100 à 200 sur de nombreux envois. Ce qui veut dire que nos abonnés relaient nos messages vers leurs amis. Ceci d’autant plus que ces message n’ont jamais un caractère commercial. Ils ont toujours un fond culturel ou pédagogique. Il y à plus à gagner à montrer des choses passionnantes qu’à essayer de vendre. L’achat est la résultante logique d’une pédagogie subtile. Ce qui fait que ceci à drainé d’importants flux de nouveaux visiteurs vers notre destination. Nous avons également créé une boutique en ligne d’objets culturels et d’artisanat. La qualité et l’universalité de notre design font que nous sommes devenus un important site de cadeaux en ligne. Et puis, plus récemment, nous nous sommes lancés dans l’alimentaire; nous envoyons chaque semaine des recettes typiques présentées par des habitants et nous proposons de commander les ingrédients de base à notre boutique en ligne des produits du terroir. Une nouvelle fois, la pédagogie entraîne le désir et l’achat.
Quelles animations ont le mieux fonctionné ?
Celle qui a le plus grand succès actuellement est « Live in Copenhagen ». Nous avons installé un réseau de webcams sonorisées en haute définition qui permettent de visiter en temps réel les principaux clubs musicaux de la ville. Nous sommes une ville très en pointe sur le plan musical et la musique est par essence internationale. Une autre initiative, beaucoup plus simple, remporte un très grand succès du fait de la multiplication des écrans tactiles; à chaque changement de saison nous présentons les plus belles photos de notre ville, prises par 10 photographes de renom et nous proposons aux abonnés et à leurs réseaux de les télécharger pour les mettre sur les écrans d’accueil de leurs tablettes et de leurs téléphones. Une fois de plus, nos images sont mieux sur les écrans de nos visiteurs ou de nos prescripteurs, que protégées par un copyright dans nos photothèques !
Quels futurs projets dans les cartons ?
Beaucoup, bien entendu ! Car les mécaniques d’open innovation continuent à être alimentées par les habitants et maintenant par les nombreux abonnés. Nous allons bientôt lancer l’abonnement bière ; des cuvées spéciales en quantités limitées réservées aux souscripteurs. Nous venons d’autre part de passer un accord avec les principaux clubs de cyclotourisme de la ville pour réaliser des video-randonnées à l’aide de caméras embarquées de type Hero 3(***) Nous offrons les caméras et ils nous offrent les vidéos. Avec ce type de vidéos nous escomptons un très gros buzz sur Youtube.
Comment diffusez-vous toutes ces informations ?
Nous avons créé un système dynamique entièrement automatisé qui crée lors de chaque abonnement un blog au nom de l’abonné et qui le nourrit semaine après semaine grâce à des routeurs de diffusion. Chaque publication est accompagnée d’un mail qui avise de la disponibilité d’un nouveau contenu et qui met en valeur l’intérêt de s’y rendre rapidement. Ainsi on s’appuie sur le mail sans l’envahir. Chaque publication du blog peut bien entendu être re-routée vers les réseaux sociaux de l’abonné. Le tout étant bien entendu consultable et re-routable sur ordinateur ou sur nomade. N’oublions pas que les touristes sont massivement mobinautes.
Quels échos avez-vous reçu à ce jour ?
Les gens sont surpris que l’on s’intéresse à eux alors qu’ils on « déjà acheté » ! Les études démontrent un gros appétit. Les gens en veulent plus, et le disent en nous proposant de nouvelles idées. En cela, ils enrichissent constamment le processus. De plus la viralisation est forte et, alors que nous avons choisi de ne pas avoir de page Facebook, nos messages sont puissamment relayés sur ce réseau. Une preuve de plus, s’il en fallait une, que pour être présent sur les réseaux sociaux il faut surtout avoir une approche éditoriale riche, variée, pédagogique et spontanée. Et non une page où l’on se fait plaisir en comptant les fans !
En conclusion, quels conseils donneriez-vous a d’autres sites touristiques ?
Intéressez-vous plus aux gens qui viennent vous visiter une fois qu’ils sont partis. Ils deviennent alors des prescripteurs attentifs et bienveillants. Considérez-les comme des clients et non comme des souvenirs. On a tout à gagner à garder une relation de proximité avec des gens qui ont fait l’effort et le pari de venir nous voir. C’est vraisemblablement l’investissement le moins cher et le plus productif.
Merci
(*) cyber-entretien : entretien qui aurait très bien pu être réel et qui ne recourt qu’à des technologies à notre disposition 😉
(**) open innovation ou innovation ouverte : approche visant à faire appel au public pour trouver des idées et solutions sur des nouveaux produits ou services. C’est un peu le concept des petites annonces appliqué à l’intelligence créative collective. Un site exemplaire en est : www.innocentive.com
(***) Hero 3 de GOPRO : http://fr.gopro.com/hd-hero3-cameras