L’opération de partenariat entre Voyages-Scnf (VSCNF) et Airbnb avortée sous la pression des syndicats hôteliers est l’occasion de mettre en lumière l’opposition viscérale entre les hôteliers et les hébergeurs du collaboratif.
Dans le round 1 : le client, les hébergeurs collaboratifs l’ont emporté sur l’image de marque auprès des voyageurs.
Dans le round 2 : fiscalité et réglementation, les hôteliers ripostent en exigeant l’application d’un cadre réglementaire et surtout d’une fiscalité en termes d’impositions auprès des plates-formes, des hôtes et de la taxe de séjour pour le voyageur.
Dans ce round 3, les multi-propriétaires et les professionnels investissent progressivement les plates-formes collaboratives comme un nouveau canal de distribution. Pour Airbnb c’est un peu faire entrer le loup dans la bergerie. Bonne ou mauvaise idée ?
Les multi-propriétaires
Le modèle d’intermédiation des plates-formes de l’hébergement collaboratif est finalement très proche de celui des sites historiques de locations entre particuliers (Abritel, Amivac, LeBonCoin, etc.).
C’est particulièrement vrai pour la location d’appartements entiers souvent inoccupés par le loueur. Dans ce cas, la dimension collaborative se résume souvent à la remise de clés à l’arrivée et au départ.
Cela se vérifie moins pour la location de chambres chez l’habitant qui fait le positionnement principal de Bedycasa. On loue une chambre dans un logement d’habitation principale occupée par le propriétaire. Une cohabitation qui va forcément favoriser l’échange avec l’hôte et la démarche collaborative.
Paris reste la première destination pour Airbnb dans le monde, même devant New York ! Le site estime que 93% des hôtes loue un seul logement à Paris. Par conséquent 7% des hôtes en louent au moins deux.
Quel crédit peut-on apporter aux chiffres communiqués par Airbnb ? Particulièrement à l’aune du fabuleux projet “Inside Airbnb” développé par Murray Cox. Ce jeune australien propose une carte dynamique et réalisée à partir des données extraites de la plate-forme. Elle révèle une toute autre géographie : 19,6% de l’offre parisienne (un peu moins de 7000 logements) serait proposée par des multi-propriétaires !
La liste de ces multi-propriétaires est également accessible en un clic. Et avec la référence de l’offre affichée sur la carte, il est assez aisé de retrouver leurs profils sur le site Airbnb.com. Leurs objectifs sont sans équivoques et bien éloignés des valeurs de partage plébiscitées par la plate-forme dans sa stratégie de communication.
“Bonjour, je m’appelle Parisian Home !”. Original comme prénom, vous en connaissez beaucoup des “Parisian” dans votre entourage ? On comprend vite à la lecture de la biographie qu’il s’agit d’une agence spécialisée dans la location d’appartements à Paris qui propose pas moins de 205 annonces. Elle n’a même pas pris la peine de prendre un pseudo et une biographie plus personnalisée. Au moins le deal est clair, on sait à qui s’attendre.
Ou encore Diane et ses 101 appartement à Paris. Elle précise que cette propriété impressionnante d’appartements lui permettent d’assurer “un accueil de qualité professionnelle”. Autrement dit plus on a d’appartements, plus on est professionnel. A-t-elle un don d’ubiquité ? Ou alors c’est Robert qui va vous donner les clés parce que Diane c’est peut être un avatar utilisé par une agence.
Si la part des multi-propriétaires apparaît minoritaire sur l’ensemble des hôtes, il pourrait être intéressant de la rapprocher en volume d’offres. L’Observatoire Valaisan du Tourisme (OVT) s’est intéressé justement à la présence sur le marché suisse d’Airbnb. Selon leur étude 9% des loueurs proposent deux objets, ce qui représente 1’892 objets ou 14.62% de l’offre. Il sont 498 loueurs (soit 5.0% des loueurs) à proposer plus de deux objets : on pourrait donc les considérer comme des loueurs professionnels. À eux seuls, il administrent 2’530 objets, soit 19.56% de l’offre, le rapport est impressionnant.
Alors évidemment la Suisse ce n’est pas Paris et on ne peut pas rapprocher cette répartition pour en déduire le volume d’offre. Cela reste néanmoins intéressant d’avoir une tendance générale avec une part des mutli-propriétaires sans doute volontairement sous-estimée par Airbnb.
Un nouveau canal de distribution pour les hôteliers ?
Comme les multi-propriétaires ou les agences spécialisés dans la location, rien n’empêche aujourd’hui les hôteliers à utiliser Airbnb comme un nouveau canal de distribution (en).
L’hôtel Ibis Bulle s’est par exemple créé un profil sur la plate-forme. L’utilisateur Airbnb s’adressera en tous points à Sophie son hôte pour dormir… dans un hôtel.
Pour Airbnb c’est un peu faire entrer le loup dans la bergerie. On peut s’interroger sur le manque de régulation de la plate-forme sur l’entrée des offres hôtelières. La communication d’Airbnb étant essentiellement centrée sur “la rencontre avec l’habitant”. Dormir dans un hôtel et dormir chez l’habitant n’a rien de comparable en terme d’expériences de voyage. Comment les deux offres pourraient cohabiter ?
Vous connaissez Abritel, un acteur historique de la location de particuliers à particuliers d’abord acheté par HomeAways, avant que le consortium ne soit lui même racheté par Expedia. Les raisons de cette dernière transaction à 3,9 milliards de dollars ? Contrer la montée en puissance d’Airbnb sur le marché de la location de vacances.
Sauf que… En faisant une recherche de location sur Paris, c’est édifiant, il y a autant de locations gérées par des particuliers que par des professionnels qui sont principalement des agences immobilières.
Pourtant Abritel s’affiche clairement comme de la location de particuliers à particuliers jusque dans l’achat de ses annonces publicitaires qui renvoient vers la page d’accueil où l’on peut trouver tout type d’offre.
Airbnb : 1er site e-tourisme dans le monde en 2017 ?
En ouvrant les portes aux multi-propriétaires et aux hôteliers, Airbnb fait entrer le loup dans la bergerie.
La belle affaire pour les professionnels qui s’engouffrent. La commission des principales OTA (Booking, Expedia, etc.) est autour de 15 à 20% alors que celle d’Airbnb est à 3% pour l’hébergeur. Le calcul est vite fait. Super aubaine, je suis hôtelier, je m’inscrit viiiite ! Au revoir Booking, bonjour Airbnb !
Scénario A : L’industrialisation de la plate-forme.
En ouvrant ses canaux à l’hébergement professionnel; Airbnb risque de rompre la promesse client, de nuire à la visibilité des offres de particuliers à particuliers et de créer la déception pour le voyageur qui n’est pas dupe. Je n’y crois pas une seconde.
Scénario B : L’effet boomerang.
Plus le site augmente son nombre de lits hôteliers ou de chambres chez l’habitant, plus il va séduire les capital-risqueurs. La dernière levée de fond s’élève à 1,5 milliards de dollars pour une capitalisation totale à plus de 25 milliards de dollars. Un chiffre qui ne parle à personne tant il est démesuré. Mettons le en perspective. C’est deux fois la valorisation d’Accor par exemple juste derrière Hilton. À regrets de vous le dire, mais tremblez chers hôteliers.
Un article de LesClésDeDemain précise que “Brian Chesky rappelait un peu plus tôt dans l’année que s’il réfléchissait effectivement à terme d’extérioriser la valeur de son entreprise, les traders devraient encore patienter quelques années.” Autrement dit, tant qu’on peut lever quelques milliards on va pas se priver de remplir le porte-feuille pour se développer.
Une fois la dépendance commerciale bien installée chez les hôteliers auprès de ce nouveau canal de commercialisation. Il s’imposera comme un incontournable du marché, rien n’empêchera la plate-forme de revoir sa grille tarifaire et de s’aligner avec Booking qui se rachètera peut être une réputation au passage. C’est 3% aujourd’hui, attendez, revenez demain finalement c’est 15%, prix d’ami.
Pendant que les hôteliers se seront battus contre des moulins à vent, Airbnb aura eu la bonne idée de développer tout son back-office de collecte de la taxe de séjour et peut être même un système d’imposition auprès des hôtes. Poussé par qui ? Les hôteliers qui pressent pour que la plate-forme se mettre en conformité. L’arroseur arrosé.
Faire entrer le loup dans la bergerie pour Airbnb, ne serait-ce pas une stratégie délibérée, pour le prendre à son propre piège ? C’est l’effet boomerang. En écho au round 1 sur l’image de marque, les hôteliers entretiennent malgré eux leur image de loup (les méchants qui râlent) et Airbnb (le gentil berger) se taille une belle réputation auprès des hôtes et des voyageurs, autrement dit sa communauté (la bergerie).
Il va évidemment vendre de l’hébergement. Pas seulement, il proposera aussi des activités organisées par les hôtes. Puis demain de la restauration cuisinée par des hébergeurs gastronomes, de la location de voiture ou pourquoi pas de bateaux mis à disposition par les propriétaires côtiers. Avec l’émergence de la tendance « bleisure » (profiter d’un déplacement pro pour prolonger en vacances), on n’est pas à l’abri que l’hôte propose aussi tous types de services : réparer un ordinateur, retoucher les photos de vacances. Vous en doutez ? Airbnb est aussi sur la branche business. Bref, une gigantesque machine à voyager qui va révolutionner l’industrie touristique ! On prend les paris ?
Les hôteliers ne doivent pas baisser leur garde
J’y vais franchement dans la prospective, quoique. Les hôteliers pavanent fièrement après avoir réussi à faire plier Voyages-Sncf dans le partenariat à peine engagé avec Airbnb. Une manche mais certainement pas une victoire. Le gong sonnera le jour où Airbnb rachètera peut-être Voyages-Sncf.com et ne demandera pas son avis aux hôteliers. Fumisterie ? Les lignes bougent vite dans l’industrie du tourisme et 2016 s’annonce comme l’année des fusions et des rachats. Je dirai même plus : 2016, l’année du pèze ! 🙂
Ces 3 premiers rounds sonnent un peu les hôteliers sans toutefois les mettre KO. Les hôteliers se battent sur le plan réglementaire et fiscal. Ils ont raison. Mais ce n’est pas suffisant. Cette manche est perdue d’avance même s’ils ont l’impression qu’elle est bien engagée pour eux. Alors que faire ? Comment peuvent-ils riposter sans baisser leur garde ?
Et bien je vais vous le dire… L’année prochaine ! Rendez-vous en 2016 pour le verdict de ce match palpitant.
Enfin quand même, je dois vous féliciter si vous êtes arrivés jusqu’ici !
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D’ici janvier prochain, toute l’équipe du blog se joint à moi pour vous souhaiter de belles fêtes de fins d’année ! Profitez bien de votre famille et de vos amis. On espère que vous trouverez sous le sapin, plein de voyageurs pour vos territoires ou de réservations pour vos établissements.