On est tous pareil. Tous excité·e·s, tous impatient·e·s, tous enthousiastes… mais aussi parfois un peu méfiant·e·s, souvent pas trop pressé·e·s, et bien souvent, au fond, un peu inquiet·e·s. Car oui, l’IA polarise. Elle divise autant qu’elle rassemble. Elle questionne, interroge, stimule. Elle traverse toute notre société, notre secteur touristique, ses principaux acteurs… et chacun d’entre nous. Et c’est bien normal.
L’IA est une innovation de rupture, un game changer, un tsunami. Elle dessine, peu à peu, un nouveau paradigme dont les contours sont encore très flous.
Dans ce contexte, il est dur d’imaginer de quoi sera fait notre quotidien dans quelques mois ou années. À quoi ressemblera notre petit monde une fois que l’IA en aura intégré chacune de ses principales composantes ? Est-ce que ce type d’article, écrit au clavier à l’intérieur d’un Gdoc, puis retranscrit dans un back-office et mis à disposition à l’intérieur d’un article de blog, existera encore ? Certainement pas. Tout du moins, pas sous cette forme, pas en ayant subi ce processus de création et de transmission archaïque (exit les navigateurs et les sites web qui nous paraitront peut-être bientôt aussi désuet que peut l’être actuellement la machine à écrire et les courriers postaux !).
1. Des débuts timides puis un grand emballement
J’ai entendu parler des prémices de l’IA il y a une petite dizaine d’années, et des premiers modèles de LLMs (Large Language Models) il y a 4 ou 5 ans. J’étais au départ assez dubitatif. Vu de loin, ça ressemblait à un simple levier d’évolution pour les chatbots et les traducteurs automatiques, pas bien plus. Je suis vite passé à autre chose.
Oh, comme je me suis planté ! Je ne comprenais pas ce que j’avais sous les yeux (et je ne suis pas le seul, en témoigne le rapport que Cédric Villani a fait suivre au gouvernement en 2018, et qui n’a été déterré que très récemment).
Car depuis 2 ans tout s’accélère :
- L’arrivée de ChatGPT dans sa version 3.5 a démocratisé les LLMs.
- L’explosion de MidJourney a fait connaître les IA génératives.
- De nouveaux mots ont intégré la langue courante : IA, LLMs, prompts, toolbox…
- Petit à petit, l’IA s’est installée dans chacun de nos outils métiers.
- Et on nous demande à présent de l’intégrer partout.
Alors, à force d’injonctions, et pour être sûr de ne pas louper la vague, on cède, on fonce tête baissée, on veut en être. Car oui, c’est aussi de cela qu’il s’agit : en être.
Il faut dire que la hype, l’appât du gain, sont assez alléchants. Il suffit de passer 10 minutes sur LinkedIn pour s’en rendre compte : un post sur deux nous vend une application miracle de l’IA (spoiler : elle ne l’est pas toujours). On passe de découvertes en découvertes : d’abord le texte, puis les images, la vidéo, le deep search… jusqu’aux outils capables de tout interconnecter. Chacun rivalise d’ingéniosité et chaque jour voit naître de nouveaux usages prometteurs, dans tous les secteurs et pour tous les corps de métiers. Personne n’est épargné !
2. Hype VS FOMO : tout change – rien ne change.
Je vois autour de moi : des enthousiastes, des convaincus, des donneurs de leçons… mais je vois aussi des inquiétudes. Je vois la peur. La peur de passer à côté de quelque chose de grand. Je vois aussi bien la hype que le FOMO (Fear Of Missing Out) s’installer.
Cette appréhension est rationnelle. La peur d’être mis de côté également. C’est très humain de vouloir faire comme les autres.
Je vous invite cependant, aujourd’hui, à nous questionner. Que nous arrive-t-il ?
- Est-ce bien raisonnable de vouloir intégrer l’IA à tous les niveaux ? Est-ce à nous de défricher ce nouveau terrain de jeu ? Je n’en suis pas certain.
- Tout ce que nous avons fait jusque-là est-il déjà caduc ? Ce web que nous avons patiemment construit depuis 25 ans : oublié, balayé ? Je ne pense pas.
- Vos audiences ont-elles commencé à chuter ? Vos bureaux d’informations touristiques seront-ils fermés cet été ? Je ne crois pas.
Les utilisateurs, les touristes, leur soif de découverte, leur besoin d’information : pour le moment, rien n’a changé. Tout le monde est là. Tout change, mais rien ne change.
J’aime assez l’image de l’avion dans lequel tout le monde est monté, qui accélère sur la piste… et au moment où il commence tout juste à s’élever dans les airs, on se rend compte que personne ne le pilote.
3. Et maintenant on fait quoi ? Un simple pas de côté.
Non, je ne connais pas le futur. Je ne connais pas le cap à suivre, ni la temporalité du changement. Oui, je suis excité autant qu’inquiet.
Alors, ce que j’essaie de faire – ce que je vous propose de faire – c’est un simple pas de côté. Prendre un moment pour évaluer les pour et les contre. Penser aux impacts. Directs et indirects.
- Certes, je peux automatiser une partie de la rédaction de contenu…Mais quid du rédacteur avec lequel je bosse depuis toutes ces années ?
- Certes, je peux générer de super visuels, voire même un spot promotionnel de ma destination…Mais quid de l’authenticité de ce que je montre à voir ?
- Certes, je peux doper mon site web et embarquer plein de nouvelles fonctionnalités sur-vitaminées à l’IA…Mais cela permettra-t-il de mieux répondre aux besoins de mes utilisateurs ?
Car oui, l’avènement de l’IA n’est pas neutre. Et on commence tout juste à en mesurer les impacts, à la fois sociétaux et environnementaux.
Sur le plan sociétal, on a évoqué la mise en péril directe de certaines professions, mais ce sont en réalité des secteurs d’activité entiers qui risque à minima d’être transformés en profondeur, voire de disparaitre complètement (source). L’IA fait également trembler nos démocraties : on peut pointer notamment l’avènement des systèmes de reconnaissance faciale qui permet actuellement à de nombreux pays (on pense facilement à la Chine, mais plus proche de nous l’Angleterre est également concernée) de mettre en place facilement des systèmes de surveillance de masse (source). Vous avez dit Big Brother ? Dans la même veine, l’IA est également une arme redoutable sur le plan de la rétention du savoir et de la diffusion de l’information : on l’a vu notamment à l’oeuvre lors des récentes élections présidentielles aux US ou encore dans le conflit qui oppose aujourd’hui la Russie et l’Ukraine (source).
Sur le plan environnemental, vous avez certainement entendu parler de ces énormes data centers que l’on ouvre à tour de bras (source) aux quatre coins du monde – mais aussi de ces commandes de (mini) réacteurs nucléaires que les géants de la tech comptent construire pour les faire tourner à moindre coût (source). On parle peut-être un peu moins de la guerre au micro-processeurs qui a lieu dans les coulisses (source) et qui pousse certains grands acteurs de la scène internationale (US, Chine) à lorgner sur les terres rares de leurs voisins (source). L’impact est bien là. Un peu caché, mais très tangible. Et si aujourd’hui on estime à 3–4 % la part du numérique dans l’émission des gaz à effet de serre (source), les projections annoncent une accélération de cette croissance – en grande partie portée par l’avènement de l’IA – pour devenir le premier secteur d’émission de GES d’ici 2050 (avec une croissance x3 par rapport à 2020 si aucune régulation n’est mise en place – source) !
4. Ce n’est pas l’outil qui compte… mais l’usage qui en est fait !
Je ne vous dis pas qu’il ne faut pas intégrer l’IA. Ni qu’il faut fermer les yeux sur ce qu’il se passe. Au contraire.
- Soyons curieux, tout en étant attentifs.
- Soyons enthousiastes, tout en étant modérés.
- Soyons impatients, tout en sachant attendre.
Et surtout, ne faisons pas table rase de ce que nous avons patiemment construit ces dernières années. Continuons à prendre soin de nos sites web, intégrons la qualité tout au long de nos projets (source), soyons inclusifs (vous avez dit accessibilité ?), et enfin soyons frugaux en cherchant toujours à minimiser nos impacts (écoconception).
Face à cette IA que l’on veut doter d’une capacité de raisonnement, sachons faire preuve de discernement et nous montrer responsables. Ce qui compte, ce n’est pas tant l’intégration ou non de l’IA, mais l’usage que l’on en fait. Nous avons tous ce pouvoir. Cette possibilité de choisir, de jouer avec les curseurs, en pleine conscience des impacts environnementaux et sociétaux.
Enfin, pour celles et ceux qui veulent agir dès maintenant, je vous invite à suivre les initiatives émergentes qui œuvrent pour un usage plus raisonné de l’IA. On parle de plus en plus de modèles frugaux, moins énergivores. Des acteurs s’emparent également des sujets de respect des données personnelles, voire de propriété intellectuelle (tiens tiens, quand j’interagis avec ChatGPT, qui me dit que je n’alimente pas sa base de données ?). On commence même à évoquer les liens entre IA et accessibilité (transcription auto, simplification des interfaces…).
Bref, tous ces sujets prennent corps, mais restent encore assez confidentiels, faute d’ambassadeurs et de publics.
Alors, rejoignons le mouvement.
Soyons ouverts, soyons critiques…
Bref, reprenons les commandes de notre avion !
Si ce sujet vous interpelle, je vous invite à partager cet article, à le commenter, à en discuter. Ensemble, faisons vivre le débat autour d’une IA plus responsable. Et pour celles et ceux qui souhaitent aller plus loin, n’hésitez pas à me contacter directement : nous lançons, avec plusieurs experts du Green IT et de l’IA, un groupe LinkedIn de réflexion et d’échange autour de l’IA responsable. Toute contribution est la bienvenue.