C’est une vision, à un instant T, d’un lieu magique, suspendu dans les années 20 d’une industrialisation triomphante en pleine nature.
Nous sommes venus rêver Val-Jalbert.
Ce lieu est un songe en effet, une bulle comme hors du temps, figée au pied d’une majestueuse chute d’eau qui raconte inlassablement son histoire à celles et ceux qui lui tendent l’oreille.
Cette cascade, c’est le début de l’histoire, celle d’un village qui s’est créé autour d’un progrès, d’une modernité de début de siècle. En 1901, un certain M. Jalbert monte une compagnie d’exploitation de pulpe de bois, qui attirera des travailleurs qui y bâtiront leurs maisons et s’y installeront avec leurs familles pour quelques 27 années.
La fermeture du site, accélérée par la concurrence d’usines de papier plus performantes dans la région, entraîne l’abandon progressif du village. En moins de deux ans, sans emploi ni moyen de subsistance, l’ensemble des familles quittent Val-Jalbert, laissant leurs maisons, le magasin général, le couvent et l’église veiller sur ce petit bout de territoire qui jouxte le Lac Saint Jean. Ces édifices de bois verront la nature recouvrir lentement mais inexorablement les souvenirs heureux d’une communauté dépossédée.
Aujourd’hui Val-Jalbert est un lieu de visite, de préservation du patrimoine, qui accueille des visiteurs tout au long de l’année, à la découverte de ces rues bordées de maisons ouvrières rénovées et transformées pour la plupart en hébergements.
L’histoire est courte, à peine trente ans, c’est peut-être ce qui lui confère son caractère exceptionnel, comme si un petit miracle utopiste était advenu ici, dans ce coin du Québec.
Ce récit, c’est celui qui nous a été livré aujourd’hui par les descendants de ces familles de travailleurs ; des femmes et des hommes qui nous ont transmis la mémoire vivante de ce lieu où les heures semblent avoir été si lumineuses dans ces années 20, glorieusement éclairées par la fée électricité et baignées d’une eau courante que toute la région du Lac Saint Jean enviait.
Notre mission de révélateurs, nous la menons dans la tradition orale : nous nous sommes assis, et nous avons écouté.
Nous avons laissé ces « petites histoires » composer un tableau sensible par accumulation, par répétition de ces mots dont on sent qu’ils ont été polis d’avoir été tant chéris.
Ici l’émotion fait loi, le récit familial colore le discours patrimonial d’une patine sépia, d’un vernis de nostalgie.
Le magasin général devenu boutique de souvenirs sent bon l’encaustique, son parquet craque sous le pied du visiteur. C’est réconfortant, on se sent comme à l’écart, dans une sorte de refuge spatio-temporel qui nous tient loin du fracas du monde, couvert par le tumulte de la chute.
Cette cascade, c’est bien le début de l’histoire, celle de temps immémoriaux que l’on peut entendre par de discrets bruits de pas, par le bruissement des feuilles, par le passage furtif d’un écureuil apeuré à l’approche de nomades qui traversèrent cette forêt pendant des centaines voire des milliers d’années.
Nous sommes ici sur un chemin, celui qui mène aux territoires plus au nord, giboyeux et généreux pour qui sait les lire et les comprendre.
Nous sommes sur un chemin, celui des Innus, les Premières Nations qui arpentèrent librement ces bois, sans laisser de trace qui pourraient attester de leur présence. En innu-aimun, le mot « liberté » n’existe pas. Il n’a aucun sens. Être libre, c’est l’essence-même de ces premiers peuples qui vivent aujourd’hui tout près de Val-Jalbert, sédentaires.
Cette histoire, elle nous est délivrée dans un endroit très peu fréquenté du village, au cœur de la forêt, à l’aplomb de la rivière. C’est dans ce repli végétal que notre hôte choisit de nous initier à ce qu’il appelle « l’hyper-vigilance de l’environnement ». Ce dernier observe en permanence ce qui l’entoure, son regard saisissant tour à tour et à une vitesse vertigineuse les déchets laissés par les visiteurs, un petit écureuil immobile presque à nos pieds, les baies offertes par les arbustes autour de nous, les lichens comestibles que l’on appelle « kukum ». Cela signifie « grand-mère » et c’est vrai qu’ils ressemblent à une chevelure de vieille femme.
Cette fois-ci, c’est cette nature généreuse que nous tentons d’apprendre à écouter ; elle qui offre ombrage et fraîcheur, plantes médicinales, bois à transformer et à exploiter.
Le cercle d’innovation autour duquel nous, « révélateurs », avons la chance de nous asseoir, rassemble ces jours-ci de nombreuses personnes qui ont accepté de nous livrer leur vision de Val-Jalbert, qu’elle soit affective, émotionnelle, sociale, politique, économique. Ensemble, nous cherchons à regarder vers un futur commun et désirable pour ce lieu si singulier.
C’est une méthode douce, qui prend le pari d’une écoute profonde et d’un temps démultiplié. C’est la raison pour laquelle elle vaut plus d’un billet, et nous continuerons à vous partager ici cette expérience un peu hors norme.
Crédit illustration : Giulia David, facilitatrice graphique de l’immersion à Val-Jalbert