J’ai découvert le mouvement des villes en transition il y a quelques années en visionnant le documentaire de Marie Monique Robin “Qu’est-ce qu’on attend ?” qui raconte comment la petite ville alsacienne d’Ungersheim de 2 200 habitants s’est lancée dans une démarche de transition pour réduire son empreinte écologique. La municipalité a initié en 2009 un programme de démocratie participative, « 21 actions pour le XXIe siècle », qui englobe l’alimentation, l’énergie, les transports, l’habitat, l’argent, le travail et l’école pour atteindre « L’autonomie ». Le film a été tourné en 2015, année qui a vu l’aboutissement de la quasi-totalité du programme de transition. Ce film, extrêmement inspirant, m’avait redonné confiance : un autre modèle est bel-et-bien possible.
Pour cet article, j’avais donc envie de présenter le mouvement de “La Transition”, dans lequel s’est inscrit la commune d’Ungersheim et de voir en quoi ce mouvement peut inspirer de nouveaux modèles dans notre développement touristique.
QU’EST-CE QUE LA TRANSITION ?
La Transition se définit par :
n. 1. passage d’une forme, d’un état, d’un style ou d’un lieu à un autre.
2. une période de transformation.
La Transition est un mouvement de “communautés qui se rassemblent pour réinventer et reconstruire notre monde”. Il est composé de citoyens qui agissent collectivement au niveau local et proposent des solutions face aux défis majeurs actuels.
Ce mouvement de Transition est né en 2006 en Grande-Bretagne, dans la petite ville de Totnes à l’initiative de l’enseignant en permaculture Rob Hopkins. On compte aujourd’hui plus de 4 000 initiatives de Transition à travers le monde réparties dans plus de 50 pays, rassemblées dans un réseau mondial.
L’idée du mouvement est d’inciter les citoyens d’un territoire (bourg, quartier d’une ville, village…) à mettre en place des solutions fondées sur une vision positive de l’avenir et qui visent à :
- Réduire fortement, individuellement et collectivement, la consommation d’énergie d’origine fossile et nos émissions de CO2
- Renforcer la résilience de nos territoires, leur capacité à absorber les chocs à venir, par une relocalisation de l’économie (alimentation, énergies renouvelables…)
- Renforcer les liens, les solidarités et la coopération entre l’ensemble des acteurs du territoire
- Acquérir les compétences qui deviendront nécessaires au renforcement de notre autonomie
Les principes
Les Principes affichés par la Transition sont :
- Vision positive : développer des projets positifs, engageants et attractifs
- Information de qualité : informer et conscientiser sur les enjeux avec une information de qualité
- Inclusivité et ouverture : rassembler TOUS les citoyens autour d’objectifs et d’actions positives pour la communauté
- Collaboration : encourager le partage d’informations, de bonnes pratiques et le retour d’expérience entre les différents réseaux de citoyens
- Résilience : encourager et participer à la résilience de la communauté, c’est-à-dire l’aider à faire face aux crises sociétales
- Transition intérieure et extérieure : aider et soutenir les citoyens à entamer sereinement la Transition du monde et d’eux-mêmes
Objectif
L’objectif du mouvement est de favoriser une culture de solidarité qui prend soin de l’individu, du groupe et de la nature, en se réappropriant l’économie, en stimulant l’entrepreneuriat, en réimaginant le travail, en apprenant de nouvelles compétences et en tissant des toiles de liens et de soutien.
Dans son “Manuel de la transition” (2010), Rob Hopkins imagine une société plus résiliente. En matière d’économie, il préconise des échanges plus locaux avec le développement d’entreprises familiales ou des monnaies locales. Concernant l’alimentation, l’idée est de créer des exploitations plus petites et polyvalentes, avec une augmentation de la main-d’œuvre consacrée à l’agriculture, et de développer le jardinage urbain. Pour lui, la sécurité alimentaire devrait être considérée comme une priorité nationale, ce qui implique de relocaliser les stocks alimentaires. Sur le plan énergétique, l’objectif affiché est de réduire la consommation de 50 % et de fournir les 50 % restant par des énergies renouvelables produites localement. Concernant la mobilité, Rob Hopkins appelle au développement des transports en commun, de l’auto-partage et du vélo, au ralentissement du tourisme longue distance et à la réduction de l’étalement des villes. Enfin, il préconise une meilleure efficacité énergétique des logements et le développement des habitats groupés.1
Pour en apprendre plus sur ce mouvement, je vous invite à consulter le Guide Essentiel de la Transition.
Les initiatives lancées et les communautés déjà formées en France sont répertoriées sur le site https://www.entransition.fr/
D’AUTRES MODELES ALTERNATIFS DE DEVELOPPEMENT TERRITORIAL
En dehors de ce mouvement de la Transition, il existe d’autres initiatives pour inventer un nouveau modèle de développement territorial, à l’instar du projet TERA dans le Lot-et-Garonne.
« La raison d’être de TERA est de créer les conditions matérielles et immatérielles pour que chacun puisse expérimenter le chemin de son propre bonheur dans le respect des humains et de la nature. Pour ce faire, ce projet expérimental a pour finalité la construction d’un écosystème coopératif qui s’articulera autour de six axes fondamentaux :
- Redessiner la démocratie
- Améliorer le bien-être & le vivre ensemble
- Produire localement le nécessaire
- Habiter durablement
- Mutualiser les ressources
- Choisir ses activités
- Évaluer et partager les connaissances »
Le mouvement des villes en Transition ou le projet TERA ne sont pas sans rappeler une initiative beaucoup plus ancienne : Auroville. Cette cité universelle « où hommes et femmes apprendraient à vivre en paix, dans une parfaite harmonie, au-delà de toutes croyances, opinions politiques et nationalités » a été fondée en 1968 par Mirra Alfassa, « la Mère », compagne française du yogi indien Sri Aurobindo, avec qui elle avait dirigé un ashram à Pondichéry (Inde).
Si l’idée de départ était avant tout humaniste, la dimension écologique n’en est pas moins absente du projet. En 60 ans, quelques idéalistes ont réussi à planter des millions d’arbres sur les terres arides, Auroville est devenue un laboratoire écologique, ayant reçu plus de cinquante prix internationaux dans les matériaux isolants, la conservation de l’eau, la reforestation,… Organisées en une centaine d’unités de travail, chaque communauté développe des projets spécifiques dans des domaines variés comme agriculture, éducation, santé, médecine holistique, artisanat, recherche scientifique, informatique ou encore architecture. Auroville offre de nombreuses écoles, des centres de musique et d’arts, de permaculture, de botanique, d’éco-construction, de projets de reboisement, de management de la forêt, etc.
QUELLE INSPIRATION POUR NOTRE DEVELOPPEMENT TOURISTIQUE ?
L’exemple d’Auroville montre que l’inventivité et la singularité des projets humanistes et alternatifs attirent : Auroville compte jusqu’à 700 000 visiteurs par an. De nombreux services et équiments ont été construits pour permettre l’accueil des touristes, qui participent à l’économie locale : un centre d’interprétation, un café-restaurant, de la vente d’artisanat et de vêtements, des cours de yoga, massages ayurvédiques, de la location de vélo… Et 92 chambres d’hôtes ! Un tiers des revenus est reversé à la fondation, le reste servant à régler les charges (comme le salaire des personnes qui viennent de l’extérieur et réinvestissement dans l’entreprise).
Nous pourrions donc imaginer, nous, professionnels du tourisme, lancer nos propres mouvements à notre échelle.
Dans la liste des initiatives mondiales du réseau Transition, on retrouve de nombreux projets qui pourraient être impulsés avec une dimension touristique, parmi lesquels : créer un marché fermier, créer un Café des Surplus, créer une monnaie locale; lancer des Rues en Transition, apprendre à cultiver, stages découverte et des formations actions pour découvrir et apprendre des savoir-faire manuels, artisanaux et agricoles, …
Comment démarrer ?
D’après le site du réseau, une Transition réussie trouve un équilibre entre la tête, le cœur et les mains
- La Tête : nous orientons nos actions en fonction des meilleures informations disponibles et utilisons notre intelligence collective pour trouver de meilleures façons de vivre.
- Le cœur : nous travaillons avec compassion, en accordant une place aux aspects émotionnels, psychologiques, relationnels et sociaux de nos projets.
- Les mains : nous donnons vie à notre vision et à nos idées, nous lançons des projets pratiques et nous commençons à construire une nouvelle économie saine là où nous vivons.
La clé : sensibiliser et rassembler. “Il faut être capable de créer des liens au-delà de nos cercles naturels d’amis et d’alliés… ce qui nécessite du temps et de la patience. Plutôt que de se demander comment impliquer les gens dans la Transition, nous devons donc nous demander : comment faire en sorte que la Transition ait un sens pour tous les habitants de notre région ?”
Alors, on s’y met ?
1Wiliquet, C. (2011). Villes en transition : vers une économie conviviale. Revue Projet, 324-325, 83-88. https://doi.org/10.3917/pro.324.0014