Un peu plus tôt cette année sur ce blogue, je vous parlais de l’évolution rapide dans le monde de l’IA générative en tourisme. Je référais notamment à cette mode croissante de voir des porte-paroles et/ou influenceurs créés artificiellement par la technologie pour faire la promotion de produits, d’expériences ou de destinations. En d’autres mots, l’émergence d’influenceurs artificiels.
L’exemple français de la Bretonne Anne Kerdi, avec ses plus de 12,000 abonnés sur Instagram et milliers de relations sur Linkedin, est d’ailleurs fort éloquent et a représenté un moment fort des #ET20 qui se déroulait à Pau, la semaine dernière. En effet, son concepteur – Sébastien Keranvran, de l’agence Adeliade – a expliqué l’idéation et les processus qui ont mené à ce personnage, avec des tenants et aboutissants qui ont bien sûr fait réagir les participants dans la salle.
Il faut savoir que les influenceurs artificiels existent depuis quelques temps déjà. Comme je l’évoquais dans cet article paru dans le bulletin TourismExpress en mars dernier, on n’a qu’à penser à des influenceuses comme Lil Miquela, Aitana Lopez ou encore Noonoori dans le milieu de la mode, chacun comptant des centaines de milliers d’abonnés et des collaborations payantes avec des marques comme Revlon, Gucci, Victoria’s Secret, YouTube, Prada, Samsung, Calvin Klein et plusieurs autres!
L’Allemagne se lance… avec Emma
J’étais sur le train entre Pau et Tarbes, tout juste après la fin des Rencontres du etourisme à Pau justement, quand j’ai vu une publication dans un groupe Facebook dont je fais partie. Il s’agit d’un groupe de créateurs de contenu et influenceurs spécialisés en voyage, et on y parlait d’une toute nouvelle polémique: Germany Tourism venait d’annoncer la naissance d’Emma, une influenceuse IA qui agira dorénavant comme collaboratrice privilégiée au sein de la stratégie de communication pour la destination.
Ce serait un euphémisme de vous dire que la nouvelle a été très mal reçue dans ce groupe d’influenceurs. D’ailleurs, si vous allez regarder la publication en question (ci-dessus), vous remarquerez un nombre de commentaires bien au-dessus de la moyenne pour ce genre de publications, soit plus de 1,500 au moment où je rédige ces lignes. La vaste majorité des commentaires provient toutefois de journalistes voyages, créateurs de contenu et autres influenceurs qui s’en prennent à Germany Tourism pour cette idée qui semble provenir du Diable lui-même!
On peut les comprendre. Ce genre d’initiative pourrait-il éventuellement venir à remplacer des contenus produits et publiés par d’authentiques humains? Le contenu qui sera proposé par Emma sera-t-il moins pertinent pour les clientèles cibles de l’Allemagne sur les marchés internationaux?
Il est encore trop tôt pour conclure quoi que ce soit sur cette initiative – donnons la chance au coureur, comme on dit. Mais je crois qu’il faut néanmoins faire attention aux réactions épidermiques et prendre le temps d’analyser le tout à froid. Voici quelques éléments qui me semblent dignes de mention.
Les collaborations vont se poursuivre
Les gestionnaires de communauté de Germany Tourism ont dû se mettre en mode « gestion de crise » et on a vu leur axe de communication poindre de manière bien évidente. Non, ceci ne signifie pas la fin des collaborations avec des influenceurs et créateurs de contenu, au contraire. Oui, on va continuer de travailler avec différents collaborateurs, et Emma viendra tout simplement ajouter une corde de plus à l’arc des communications de la destination.
On s’entend, c’est habile. Et je crois que cela sera toujours vrai dans une très grande mesure. Mais est-ce qu’on peut imaginer, à terme, une certaine réduction dans les budgets marketing (frais de déplacement, hébergement, restaurations, etc.) pour les tournées de journalistes et influenceurs, afin d’en mettre un peu plus dans une stratégie d’influenceurs IA? Comme gestionnaire, je crois que la question est valide. Si l’expérience est concluante avec Emma, qu’est-ce qui empêche Germany Tourism de créer Jules, un homme dans la cinquantaine faisant partie de la communauté LGBTQ, ou encore Ahmed, à la tête d’une famille de 4 enfants, qui pourrait parler à une autre niche de clientèle. Je dis ça, je dis rien…
L’IA n’est pas forcément non-pertinente
Je vous avoue, j’ai un peu ri et souri quand j’ai lu certains des commentaires émis par des blogueurs et influenceurs sur la publication en référence, ci-dessus. « Quel intérêt de suivre un personnage artificiel, digne d’un cartoon, pour découvrir des bons restos », ou encore « si Emma suggère un endroit et s’excite pour les trucs à y faire, je me dis que c’est OK pour d’autres personnages IA, mais pas forcément pour moi, un humain ».
Quelle mauvaise foi, quand même!
Déjà, je pense qu’on n’a qu’à suivre la page d’Anne Kerdi pour voir et réaliser qu’il y a des trucs vraiment bien, des conseils et astuces qui peuvent être partagés par une IA, sans que ça pose problème, bien au contraire.
Et je crois que certains influenceurs risquent de se retrouver comme les pompiers qui s’arrosent eux-mêmes. C’est-à-dire qu’on va se pencher sur leur métier de créateur de contenu et d’influenceurs pour voir si les contenus y sont toujours pertinents, à la hauteur des contrats qui étaient en place, et pertinents (et générant des taux d’engagement) aux yeux des abonnés et voyageurs ciblés par des territoires qui ont initié des collaborations avec eux et elles. Vous savez quoi? Ce n’est pas toujours du joli.
La quête d’authenticité, encore et toujours
Au fond, la vraie question qui émerge de cette polémique revient à la nature même des publications, des contenus qui seront partagés par Emma vis-à-vis des contenus d’influenceurs et ceux créés par une destination. Au final, les gens recherchent des informations utiles et concrètes pour mieux planifier leur séjour, découvrir ces pépites peu connues et avoir une expérience positive lors d’un prochain voyage. Est-ce que les contenus partagés par une foodie que l’on suit depuis plusieurs années sont plus pertinents que ceux qui seront partagés par Emma? Ils seront plus authentiques, certes. Mais la notion de pertinence, ou « utilité », est bien plus subjective.
Là où je me pose une question est sur comment seront perçus les contenus d’Emma par les moteurs de recherche comme Google. Cette dernière a récemment laissé savoir qu’elle pénaliserait les contenus générés par l’IA sur des sites web, dans les résultats de son moteur de recherche. Dans ce cas-ci, est-ce que le social search pour Germany Tourism risque d’avoir un impact négatif avec cette initiative? Permettez-moi d’en douter, mais je pose quand même la question bien naïvement…
Mieux vaut tester et ajuster… que d’attendre et d’être en retard!
Certaines critiques peuvent ainsi être justifiées, alors que d’autres jaillissent surtout d’une forme de résistance au changement. Je trouve que Germany Tourism a de l’audace de lancer cette initiative de manière aussi transparente. Il y aura certainement une période de rodage et d’ajustements, et j’ose imaginer qu’ils ont déjà prévu un calendrier d’action et de contenu, en parallèle avec les autres collaborations en cours avec leurs partenaires réguliers.
Nous serons bien sûr plusieurs à observer le cheminement d’Emma, tout comme on le fait avec Anne Kerdi (même si cette dernière n’est pas une collaboratrice officielle d’une organisation touristique, on s’entend). On lui souhaite bonne chance… et qui sait, peut-être aurons-nous le goût d’aller faire un tour en Bavière l’été prochain?