Les Rencontres du tourisme de Pau inaugurent cette année un format de joutes oratoires, « Le tribunal des flagrants défis du tourisme », inspiré de l’émission culte de France Inter. Je vous propose ce matin une plaidoirie tout en mauvaise foi qui défend la promotion internationale des organismes de tourisme…
Il incombe à l’avocat que je suis d’éclairer le Tribunal et d’apporter la preuve de l’innocence de mon client.
Qui ici peut supposer qu’un procès, selon la théorie de la séparation des Pouvoirs, cède à la facilité d’un gazetier telle que nous avons pu l’entendre par la voix du Procureur ?
Sa démonstration ne fut-elle pas un hymne à vulgarité qui trouva son inspiration dans la fange, insinuant corruption, détournement et gabegie ?
Mais de quoi parlons-nous précisément aujourd’hui ?
Qui est l’accusé dont nous avons entendu un portrait sans nuance, grossier, et pour tout dire mensonger ?
Devons-nous céder à la facilité ou pouvons-nous encore, dans l’espace préservé de ce Tribunal, faire entendre raison ?
J’ose rappeler au Procureur, et prenez-en note, vous toutes et tous, Mesdames, Messieurs Jurés, Public, Maîtres, Compagnons ou Apprentis qui tentez de maitriser l’art de la balance, à l’image de ce qu’écrivit François-Marie Arouet, que l’Histoire retint sous le nom de Voltaire, qu’un « jugement trop prompt est souvent sans justice. »
Mon client est, jusqu’à preuve du contraire, présumé innocent des crimes dont il est accusé. Dont je précise que le Procureur l’imagine coupable, sans en en avoir apporté la moindre preuve.
Monsieur le Procureur, vous vous comportâtes en messager de vils ragots, à l’image de ce petit corbeau médiatisé dont vous prononçâtes le nom, qui depuis de longs mois se plait sur le canal télévisé des nouvelles revendiquées comme patriotiques, prononcer jugement à l’égard de l’étranger.
La promptitude à ériger l’étranger, son pouvoir d’attraction, sa petite musique corruptrice, ne tient pas deux secondes face à la puissance de la cause défendue par mon client.
« La justice immanente est rarement imminente » écrivit Pierre Dac, l’un des penseurs éminents du siècle dont nous ne sommes plus que de vieilles reliques.
Soyez assuré(e)s, Public chéri qui n’est animé que par la voie de la sagesse, ce Tribunal est bien celui des flagrants défis et nos des flagrants dénis du tourisme.
J’ose espérer que Monsieur le Procureur ne souffre d’aucune infirmité car son raisonnement démontre une incompréhension des défis et souligne un déni de ces derniers. Est-il sourd car n’entend-il pas la musique de l’évidence que les témoins ont rapportée ? Est-il aveugle à ce point qu’il ne voit pas ce chemin qui mène naturellement mon client vers le monde qui l’entoure ?
De qui accuse-ton mon client ? Si la synthèse m’est permise, Monsieur le Président, je résumerai l’acte d’accusation autour de trois idées.
- Des dépenses publiques par trop dispendieuses
- Un goût immodéré des voyages lointains
- Des lanternes commerciales long courrier au détriment de nos compatriotes
Mon travail d’avocat doit permettre une lecture objective des faits.
Mon client est un citoyen d’un monde mobile. Ce monde n’est pas celui qu’on décrivit plus tôt, rabougri, recroquevillé, apeuré, ratatiné, ramassé.
Mon client est l’héritier des Lumières, celles de la France du XVIIIème siècle, cette France généreuse dont la lumière continue de guider les Peuples vers leur liberté. Mon client est l’héritier des Encyclopédistes. Il répond chaque jour à cette définition de Marc Fumaroli. « Un dégel du sacré, une religion poignante et profane du bonheur et de l’instant de grâce, et dont la Jérusalem céleste est Paris. » C’était le siècle durant lequel l’Europe parlait le Français. Mon client, par son action, contribue à ce que le monde parle encore aujourd’hui cette langue magnifique, s’imprègne de sa culture, s’inspire de ses terroirs, désire ses paysages, convoite sa gastronomie, courtise ses vins, s’abreuve de sa diversité. Bref, il est l’héritier de notre bien le plus précieux, notre civilisation.
Mon client est le héraut d’une histoire contemporaine, qui échappe visiblement à Monsieur le Procureur. Et je vais vous l’expliquer Monsieur le Président, Mesdames et messieurs les Jurés, Membres éminents du Tribunal, en réduisant à néant car il n’en restera rien dans quelques minutes, les arguties populistes et accablantes de celui qui a outrepassé la fonction qui doit être normalement la sienne dans le système judiciaire français.
- Des dépenses publiques par trop dispendieuses
A quoi peut bien servir l’argent public du tourisme ? Cette question n’a pas été posée directement, et il me semble qu’elle fera l’objet d’un prochain tribunal.
Mon client, ce modeste OGD, pour lequel on pourrait trouver un nouvel acronyme. Il existe bien l’Observatoire géopolitique des drogues ou l’Œso-Gastro-Duodénoscopie, donc pourquoi pas l’Organisme Généreusement Distributeur ? Mais distributeur de quoi, précisément ?
Distributeur qui diffuse le Génie français par-delà les frontières de l’Hexagone, apporte le souffle de nos dernières lumières dans un monde où semble régner l’obscurantisme ?
Car oui, c’est de la survie de la culture française et de l’attractivité de nos territoires dont il s’agit. D’une lutte quotidienne contre les prosélytes et les intégristes.
Les élus de la République, notables parisiens déconnectés des réalités de terrain, ont voulu depuis la Révolution française découper notre belle République en départements, en communes. Puis plus tard, avec la succession de régimes et de constitutions, en Régions et en EPCI. Je n’évoquerais pas ici les contrats de destination devenus incompréhensibles, les SPOTT, ou les labels qui par centaines sont sensés donner une visibilité aux destinations touristiques Le fameux millefeuille à la française !
Est-ce la faute de l’OGD si certains élus s’attaquent à lui pour le transformer en Organisation Grangrénée par le Déclin ? Non ! L’OGD fait en fonction de moyens qui se raréfient, vous la savez bien, avec toujours plus de missions et toujours moins de moyens ! Comparez Monsieur le Président, le budget de fonctionnement de l’Agence nationale de promotion du tourisme française, Atout France à d’autres, y compris chez nos voisins les plus immédiats. Il est moins important que celui de la promotion d’une ville comme Londres ! Sincèrement, voyez-vous dans la modicité de cette manne manière de concurrencer la ville qui symbolise la perfide albion ?
Mon client, l’OGD, est au-contraire sous-doté par les collectivités. On pourrait multiplier les exemples et les comparaisons, y compris jusqu’au Québec où l’argent public semble ruisseler par dizaines de millions de dollars pour le moindre projet. Non gardons raison, et ayons à l’esprit qu’aucun impôt direct, pourtant l’un des spécialités françaises les plus partagées depuis Hugues Capet, n’a été encore pensé pour lui contrairement aux transports publics. Juste cette famélique taxe de séjour, que les deux dernières années que nous venons de vivre ont réduit à peau de chagrin.
Allons, mes amis, ressaisissez-vous et ne cédez pas aux sirènes nationalistes qui vous enfermeraient aux limites de vos provinces. Faites preuve de justice et de justesse, comme le pensait Voltaire, « le premier devoir d’un magistrat est d’être juste avant d’être formaliste ». Et pensez que le tourisme, ce n’est pas le repli sur soi mais bien le goût de l’autre, du monde, de l’altérité.
- Un goût immodéré des voyages lointains
Le deuxième axe de l’accusation porte sur le supposé goût immodéré des élus locaux et de leurs cohortes de courtisans, les techniciens des collectivités visiblement très grassement rémunérés, pour des voyages lointains et onéreux.
Mais qui peut encore aujourd’hui écouter pareille fadaise sans défaillir ? Le Sieur Procureur reste-t-il assis à son bureau basque pour connaitre la France, pour sentir et vibrer pour la France ? Non !
Il en est de même pour les professionnels du tourisme. Un territoire doit être vivant, agile, conquérant. Il doit connaitre le monde, remplir ses Humanités en somme. Mais il est vrai qu’en pareille assemblée il pourrait être ardu de rappeler le souvenir des temps glorieux d’un OGD ancestral, l’Origine de la Gnose de notre Destinée. Et pourtant, Monsieur le Président, je crois, comme tout avocat, en l’intelligence de notre public. « La justice doit être cultivée pour elle-même. » écrivait Cicéron. Je dirai ici qu’elle doit également être cultivée pour vous toutes et tous, admirateurs saumâtres de cette joute que d’aucun souhaiterait transformer en mise à mort de nos destinations ?
Je rappellerai simplement qu’aller au-devant du monde est une obligation pour l’ensemble des acteurs du tourisme. Que serait un Négresco à Nice ou un Martinez à Cannes sans les visiteurs internationaux ? Que serait une ville comme Strasbourg sans les clientèles européennes ? Que serait un festival comme Jazz in Marciac sans les musiciens américains qui irradient le Gers de sonorités qui ne rappellent pas seulement le confit de canard ?
Non, je ne crois pas que le goût des voyages constitue un acte d’accusation recevable. Mais plutôt qu’il fédère nos énergies, contribue à notre humanité. Regardez la préparation des Jeux Olympiques de 2024, comme le fut en son temps la Coupe du Monde de 1998. C’est par ces évènements à ambition mondiale que la France revit encore et fait société, qu’elle prouve sa grandeur et son génie, qu’elle délivre au Monde ses derniers messages universalistes.
Mon client est farouchement opposé à la déliquescence de ce qui a forgé notre identité républicaine. C’est d’un Orgueil Global de Délivrance qu’il s’agit bien et non d’une Organisation générale de décadence.
- Des lanternes commerciales long courrier au détriment de nos compatriotes
Et puis le troisième argument porte sur l’opposition qui existerait entre l’étranger, par exemple l’oligarque Russe qu’on devine forcément corrompu et le milliardaire saoudien qui viendrait dépenser sans compter dans les Palaces de notre hexagone, et le Français, dépourvu de tout ou presque et qu’il conviendrait de regarder avec commisération.
Mais Monsieur le Procureur, le Grand Hugo n’écrivait-il pas que « mort, il se tient droit, lui qui vécut à plat ventre » ? Pas de misérabilisme, pas de discours franchouillard. Que diantre, que le Français se lève ! A-t-on jamais lu depuis plus d’une année de grands discours sur le monde d’après. Sur notre monde d’après. Le local, le local ! La proximité, la proximité ! La vérité viendrait de nos propres habitants.
C’est une France étriquée que vous dessinez, vous toutes et tous, une France qui ferme ses frontières, qui clôt sa culture, qui vit en autarcie. Je ne dirai pas comme d’autre visiblement plus expert que ce monde rappelle celui des Amish. Mais gardons foi en ce qui fait notre culture, en notre droit, « ayons la force, il nous reste le droit » comme l’écrivait Hugo.
Les lanternes commerciales doivent baliser le chemin de nos OGD, des Ovnis dans un Gloubi-boulga Dégoulinant. Je plaide pour leur ouverture sur le grand et vaste monde. En témoigne Nicolas Bouvier pour qui « on croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. »
Je plaide la volonté de franchir les océans, de rencontrer la diversité. Nos territoires n’en sortiront que grandis, différents. Les discours écolo-bobo-humanistico-décroissanto- ruisselant de bons sentiments me semblent déplacés dans l’enceinte de ce tribunal.
Ce ne sont pas les bons sentiments qui font la justice, mais le droit !
Ce ne sont pas les envolées évanescentes qui vont racheter les émissions de gaz à effet de serre, Monsieur le Président.
Mais c’est la vérité qui doit triompher dans ce tribunal.
C’est la France des Lumières, la France généreuses, la France qui fait entendre sa voix partout dans le monde. C’est la France de nos deux témoins.
C’est notre vieux pays qui doit s’ériger en contre-modèle des conservatismes souvent présentés comme de grandes avancées. Mais avance-t-on en reculant ?
Ce sont les territoires qui doivent poursuivre leur mission civilisatrice.
C’est chaque OGD qui doit continuer à vivre.
Un OGD avec un O comme objectif, la raison de la justice.
Un OGD avec un G comme générations, pour cesser d’ériger les Français entre eux et ostraciser les visiteurs venant du monde entier.
Un OGD avec un D comme développement, l’objectif de toute existence.
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les Jurés,
Membres éminents du Tribunal,
Pour l’ensemble des raisons évoquées précédemment, j’en appelle à votre liberté de conscience.
Ne condamnez pas un innocent, faîtes simplement respecter le droit, le bon droit, le simple droit.
Je requière l’acquittement pour l’OGD !