Le jour où mon collègue robot est parti en vacances à ma place

Publié le 25 octobre 2016
5 min

Pas de solution technique ce matin, mais une pure fiction qui est née alors que hier j’écoutais GiedRé en roulant, dans ma voiture conduite présentement par moi, et non autonome (le détail peut avoir son importance) sur une longue route forestière néo-aquitaine. GiedRé a le verbe sensitif et une vraie compétence pour l’observation. Dans sa chanson Les Priorités, elle nous dit l’essentiel :

Les vraies priorités ne sont pas toujours celles que l’on croit

Les vraies priorités sont parfois les petites choses auxquelles on ne pense pas

giedre
Alors que se terminent les mémorables #ET12 de Pau au cours desquelles on a beaucoup parlé de l’humain, de la bienveillance et de l’éthique, un vrai signal, comme si quelque chose ne tournait pas rond dans notre monde contemporain, je formule ici une situation à laquelle j’ai pensé et que je vous livre pour débat.

Les vacances, une priorité ?

Voilà quelques jours la presse a annoncé que 60% des Américains renoncent à leurs vacances. 658 millions de jours de congés ont été abandonnés. Le nombre de jours de congés pris par les Américains décline : il est passé de 20,3 dans les années 70 à 16,2 l’an dernier. « Les salariés ne veulent pas donner l’impression de pouvoir être remplacés », indique l’auteur de cette étude. Certains ne manqueront pas d’interpréter la compétitivité des Etats Unis par le fait que justement et contrairement aux Européens, les Américains travaillent plus. 

capture-decran-2016-10-25-06-46-04En France, on observe que depuis une dizaine d’années le taux de départ en vacances plafonne à 60% de la population. Et l’Observatoire des Inégalités de rappeler que, si près des deux tiers des Français déclaraient partir en vacances au milieu des années 1990, selon le Crédoc, le taux de départ en vacances a diminué jusqu’à tomber à 50 % en 2008. Depuis 2011, il repart à la hausse et a atteint 60 % en 2014.

Les élections présidentielles et législatives se profilent et s’il apparaît à certains incongru de penser à créer un camping naturiste au coeur de Paris alors que l’on n’arrive pas à trouver des sites pour les migrants, on entend ressortir la ritournelle du travailler plus sur fond de préoccupation majeure autour de l’emploi. On comprend bien cette préoccupation du travail et des défauts de notre système, mais le thème des loisirs (on n’ose plus parler des vacances tellement ça fait daté et égoïste) a disparu des écrans.

Mais pas partout et pas pour tout le monde. C’est comme si la globalisation aidant, aux disparitions d’emplois d’ici, disparaissait aussi l’idée que les vacances c’est aussi bénéfique pour l’économie. Le chômage ronge notre société et il est effectivement le premier mal à traiter, mais il ne doit pas cacher que l’avenir se prépare aussi sur d’autres supports comme la relation des uns aux autres et l’acceptation du temps à y consacrer.

fp1Exemple en Chine, dont l’ascension économique fulgurante des 40 dernières années fera date dans l’histoire du monde, une aspiration majeure se fait jour : les vacances ! Et une économie puissante naît avec elle. Celle du tourisme. La Chine représente 128 millions de voyageurs, soit 13% du tourisme international ! Dont 56% ont entre 26 et 36 ans. Plusieurs plateformes commerciales accompagnent cet essor et contribuent grandement à l’économie du transport et du tourisme. Tuniu.com propose des voyages dans 140 pays et assure un service d’assistance, tenez-vous bien, 24 h sur 24. Mafengwo.com est l’autre acteur majeur de cette économie des vacances, couvrant le spectre total de la recommandation à la réservation.

capture-decran-2016-10-25-07-45-14Le travail gratuit, les vacances une denrée périssable ?

Vérité en deça des Pyrénées, erreur au-delà ou bien l’inverse ? Ici, les frontières du travail s’estompent, se diluent, certains travaillent tout le temps, d’autres pas du tout, et dans le même temps, le travail gratuit s’impose. Le bénévolat de la multitude est à l’origine de l’énorme création de richesse des majors américaines du numérique. On assiste donc à une acceptation du travail gratuit, au détriment du travail rémunéré et de fait, les vacances qui y étaient associées sont aujourd’hui moins perçues comme prioritaires et comme levier économiques. 

Les vraies priorités ne sont pas toujours celles que l’on croit ? J’ai parfois l’impression que maintenant il faut donner un dictionnaire quand on parle vacances ou tourisme à certaines élites de ce pays. 

Un manifeste pour les vacances me paraît nécessaire désormais. Peut être ce blog et sa communauté de lecteurs, plus de 2000 par jour, peut-il en être l’espace de co-production ? Car sinon, je ne vois pas très bien comment le secteur du tourisme va perdurer dans notre beau pays si on laisse filer l’idée de l’importance du sujet. 

Ce matin, fier des droits sociaux qu’il a acquis avec son mouvement syndical puissant du printemps dernier, mon collègue robot est parti en vacances. Il a choisi le camping naturiste pour mettre à nu son bel organisme mécanique et numérique et l’exposer aux bienfaits réparateurs du soleil pour les 15 prochains jours. Tel Monsieur Hulot en vacances, à l’allure gauche, il va cependant vite apprendre l’art et la manière du tourisme. Et probablement se trouver une compagne (ou un compagnon selon son goût).

stash-kuleshEt pendant ce temps, moi qui n’ai plus de boulot, qui ne pèse plus rien collectivement, je regarde défiler ces nouveaux touristes. Et comme la plupart des occidentaux j’ai accepté au cours des années passées de travailler bénévolement. Et ce collègue robot m’énerve, il est toujours disponible pour travailler, avec le sourire et il aime tout le monde lui. Parfois j’ai envie de l’étrangler tellement il fait le jaune. Mais avec le temps, j’avais appris à l’aimer pour ses qualités propres. Jusqu’au jour où il est parti en vacances à ma place. Dans la voiture autonome qui est venu le chercher.

Seulement ce jour, je me suis souvenu de la chanson Les Priorités de GiedRé. Un peu tard.

Pour l’inspiration, merci aussi à la revue Multitudes

 

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François Perroy est aujourd’hui cofondateur d'Agitateurs de Destinations Numériques et directeur de l’agence Emotio Tourisme, spécialisée en marketing et en éditorial touristiques. Il a créé et animé de 1999 à 2005 l’agence un Air de Vacances.  Précédemment, il a occupé des fonctions de directeur marketing au sein de l’agence Haute Saison (DDB) et de journaliste en presse professionnelle du tourisme à L’Officiel des Terrains de Camping et pour l'Echo Touristique. Il [...]
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