Deuxième épisode de notre feuilleton du samedi. Nous relatons les merveilleuses aventures de Monsieur Sauternes au temps du Covid 19. Le tout en moins de 2019 signes. Ami lecteur, chère lectrice, tu peux aussi commencer par le début qui a été publié ici, avec les principes du feuilleton et l’épisode 1. Bonne lecture !
La pension des fuites #2
Monsieur Sauternes avait pris ses marques. La maison appartenait à des amis qui lui en laissaient la jouissance printanière en vue de la préparer pour de futures locations saisonnières. Au temps d’un confinement nouveau, dont Sauternes avait cherché la définition précise de ce mot peu usité dans le dictionnaire, la perspective touristique s’éloignait.
Le sous-sol abritait des réserves alimentaires faites maison (cèpes, confitures, tomates et haricots en bocaux, thon fondant dans l’huile). Il abritait aussi un vieux projecteur de cinéma super 8. On n’aurait pas tenu un siège, cependant 4 personnes pouvaient y loger, moyennant un prix de location que d’aucuns jugeaient élevé. Chaque semaine amenait de nouveaux occupants. En temps normal.
Le jardin était séparé de la forêt maritime par un pare-feu sableux. Des sentes conduisaient à l’océan à travers les pins, chênes verts et arbousiers. Dans les premiers jours, Sauternes compléta les stocks alimentaires en mode survivaliste et minimaliste. L’eau du puits, bouillie, était potable. A l’inverse de l’écrivain réputé Bernie Descrussecs, indiquant dans son Journal d’un Confiné avoir planqué son auto parisienne pour ne pas la laisser en évidence devant sa résidence secondaire, Sauternes avait garé la sienne de manière visible.
L’ennui arriva à grands pas. Sauternes faisait défiler son répertoire téléphonique. Peu sociable, sans être édenté, il entrevoyait que l’on ne viendrait pas à lui. L’horizon se rétrécissait. Le proche était devenu inaccessible. La réclusion le plongea dans la lecture de Kundera. L’éternel retour à la normale s’affirmait comme mythe au fil des jours de réclusion et des nuits sans météorite.
Un matin, Sauternes rêvait qu’il franchissait des frontières. D’abord celles des propriétés voisines. Des coups de fusils retentirent. Deux hommes en treillis s’adonnaient à un ball-trap dans la forêt attenante. L’un d’eux lançait des bouteilles de vin alors que l’autre les visait avec son fusil de chasse. « On tire. On tire les tessons du confinement » lui cria l’un d’eux. « On s’entraîne à la chasse au vol ». Des éclats de verre retombaient en brillant au soleil tels une pluie diamantaire.
La nuit suivante, Sauternes guettait les étoiles filantes. Planqué derrière sa clôture de bois et de brande, il assista au passage d’une harde de sangliers masqués alors que dans la brume montante, plastronnait sous les pins un groupe de cervidés, dont un magnifique cerf cintré dans une blouse bleue.