La pente est raide, la côte sévère, mais il va falloir se renouveler

Publié le 24 mai 2018
6 min

En ce week-end de Pentecôte (et oui, je profite de ce week-end de trois jours pour anticiper mon billet de ce jeudi !), pas de révélation provenant du Saint-Esprit, même pas d’idée de titre (d’où le jeu de mots vaseux), vous m’en voyez désolé, mais des questions, toujours des questions, sur les services que nous apportons à des résidents, locaux, habitants, voyageurs, visiteurs ou touristes toujours plus versatiles.

Après la « tourismophobie« , voici donc que nous arrive le tourisme bashing comme l’évoquait Guillaume récemment.

Déjà que certains n’hésitaient pas à remettre en cause l’utilité des divers acteurs institutionnels dans le tourisme, si en plus les habitants, mais aussi la planète, souffrent d’une activité rémunératrice, certes créatrice d’emploi, mais trop agressive, voire agressante, les choses vont sérieusement se compliquer.

Pourtant, on essaye d’évoluer !

De faire du storytelling , de raconter des histoires, on forme des ANT, des reporters de territoire, mais on peine à se différencier comme le disait encore François récemment dans ce billet. À côté, Apple nous livre une démonstration avec ses trois vidéos réalisées à l’iPhone X sur Paris, Lyon et Marseille.

D’inclure les habitants dans les démarches, de motiver les prestataires à participer, et on dispose partout du lexique du moment (edit : je n’avais pas encore vu le billet de Paul d’avant-hier au moment où j’écrivais ces lignes !) : on fait du tourisme expérientiel, voire transformationnel, on se lance dans le collaboratif, le participatif, la co-création, on fait du marketing relationnel, de la CRM, de la GRC, du social CRM, on essaye de comprendre comment satisfaire au mieux les uns et les autres, des voyageurs aux prestataires, en passant par les élus et les habitants !

Mais est-ce qu’on le fait réellement ? Et surtout, est-ce que c’est vraiment ce que les voyageurs attendent ? Et oui, là aussi, vous l’avez bien compris, on ne parle plus de touristes, mais de voyageurs, plus de prestations, mais d’expériences à vivre, plus d’habitants, mais de locaux. On prend exemple sur tous les grands acteurs privés du marché qui ont fait évoluer leur champ sémantique, on suit les conseils délivrés à grand renfort d’articles quotidiens sur ce même blog… mais à l’arrivée, combien se sont vraiment réinventés ? Ont éliminé les termes « Office » et « Tourisme » de leur appellation ?

Et si, en voulant suivre le grand mouvement du tourisme expérientiel, on était en train de faire la même erreur que celle commise dans la promotion, au nom de laquelle on est allé chercher le client bien au-delà de nos horizons, avec moults traductions et salons internationaux, quand la consommation est avant tout locale, au mieux régionale ?

Et si les touristes « basiques », qui cherchent avant tout un coin sympa où poser les valises et simplement décompresser les doigts de pied en éventail, étaient encore largement majoritaires ? Et si le phénomène Airbnb, que nul ne peut ignorer, ne tenait pas davantage à la recherche d’une location moins chère que sur d’autres sites ou dans d’autres types d’hébergements, qu’à la rencontre du local, d’ailleurs de moins en présent pour l’accueillir (et de toute façon, la plupart s’en contrefiche !).

Le succès d’Airbnb le conduit de moins en moins à être un acteur du « collaboratif », ce que déjà nombre d’observateurs lui contestaient à la base, qu’à être un canal de distribution. La demande a évolué, et les néo-clients Airbnb s’étonnent que les « hôtes » laissent leurs affaires dans leur maison, leur appart’, voudraient bien un petit-déjeuner, que l’on refasse leur lit ??? L’offre change donc en conséquence, intégrant les professionnels de l’hébergement, de la chambre d’hôte à l’hôtelier. D’ailleurs, le mouvement a été bien plus rapide sur les expériences : originellement créées par des hôtes Airbnb, elles sont aujourd’hui le fait de nombreux professionnels de l’activité, qui là aussi, considèrent la plate-forme comme un nouveau canal apportant une visibilité sans égale à ce qu’ils ont pu utiliser jusque-là.

Jean-Baptiste évoquait le Nudge Marketing le mois dernier, et je me demande parfois si les différentes enquêtes, sondages opérés, n’ont pas un peu biaisé notre vision de la demande des clients. Si tu leur demandes s’ils préfèrent vivre une expérience ou consommer une prestation, être accueillis de façon personnelle ou récupérer leur clé dans une boîte à code, manger des plats locaux en circuits courts ou se ruer le samedi après-midi à la grande surface la plus proche du gîte… On connaît déjà la réponse, un peu comme pour ceux qui ont prévu de faire une visite culturelle… ou rester peinard à la piscine du camping 😉

On dispose probablement d’outils de connaissance client hyper pointus, on traque leurs déplacements via leur mobile, le signal repérés par des bornes wifi, on recueille leur adresse email, leur département d’origine et le n° de fax, la liste de leurs amis facebook et leur date d’anniversaire, mais qu’est-ce qu’on en fait derrière ? On voudrait faire de l’hyperpersonnalisation, on s’attache à répondre dans les 5mn aux trois questions et commentaires quotidiens sur Facebook, mais on est toujours pas foutu d’échanger un sms, de segmenter nos campagnes emails, de sortir du sacro-saint duo exhaustivité – neutralité pour donner un vrai bon conseil (sauf qu’on est vraiment en front face au client, mais comme cela devient de plus en plus rare…).

On parle de bienveillance mais on se retrouve plus souvent à faire de l’abattage, on veut construire des parcours personnalisés mais qui passent partout et qui ne font surtout pas de jaloux, on sélectionne l’offre et on connaît les bons spots mais on ne peut/veut pas le dire, on accueille plus de locaux que de voyageurs mais on est obligé de traduire en trois langues, même si personne ne les parle à l’accueil…

Bon allez, j’arrête là ma diatribe probablement due à une mauvaise expérience, au mauvais temps persistant, à la fin des ponts du mois de mai bien long, aux éternelles grèves de transporteurs… probablement.

N’empêche que si l’on considère que « Coordonner les socio-professionnels et tous les acteurs du tourisme » est bien une des quatre missions régaliennes de l’Office de Tourisme, on a un léger problème en ce qui concerne « tous les acteurs du tourisme ». Peut-on continuer à laisser de côté l’offre fournie par des acteurs comme Airbnb et autres plates-formes d’hébergement ou d’activités alors que l’on doit structurer, qualifier l’offre, et « fédérer autour d’une identité de territoire et un récit de destination » ?

Airbnb, toujours, a lancé des guides sur ses grandes destinations et fournit, grâce aux recommandations de ses hôtes, une multitude de bons plans irriguant l’ensemble de la destination (et pas que les spots touristiques). Leur mise en avant est pourtant très limitée, faute d’intérêt (pécunier ?) et de moyens probablement pour le développer de façon plus large… Ne pourrions-nous pas localement mener des démarches similaires de façon plus systématique pour fournir cette capillarité d’informations ? Peut-on se contenter de ne solliciter que les collaborateurs de l’Office, les traditionnels prestataires adhérents si l’on veut être en mesure de recommander un bar, un resto au couple de 60 ans comme au groupe d’étudiants ? Car la recommandation, le bon plan, le secret de local, c’est ce qui fait la différence de perception entre une sélection pourtant bien faite et éditorialisée (chose rare) de l’Office de Tourisme et celle d’Airbnb. Et oui, une fois que vous aurez recueilli la bonne parole de gens sains d’esprit et non pas du Saint-Esprit touristique local, il va falloir la répandre !

L’annuaire est mort, la sélection personnalisée est nécessaire, mais encore faut-il pouvoir l’assumer et surtout la justifier, faute de quoi les Google, Facebook, Tripadvisor, Airbnb, Booking et consorts, à grand renfort de sollicitations et d’agrégation numériques continueront de nous damer le pion malgré l’implantation physique et locale d’un réseau, qui doit encore et toujours s’ouvrir aux acteurs de son territoire.

Allez, un rayon de soleil pointe le bout de son nez, c’est le moment d’en profiter, je vous laisse apporter des réponses en commentaires !

 

 

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Ludovic a démarré sa carrière en Auvergne, à l’Agence Régionale de Développement, puis dans un cabinet conseil sur les stratégies TIC des collectivités locales. Il a rejoint en 2002 l’Ardesi Midi-Pyrénées (Agence du Numérique) et a plus particulièrement en charge le tourisme et la culture. C'est dans ce cadre qu'il lance les Rencontres Nationales du etourisme institutionnel dont il organisera les six premières éditions à Toulouse. À son compte depuis [...]
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