Quatrième épisode de notre feuilleton du samedi. Nous relatons les merveilleuses aventures de Monsieur Sauternes au temps du Covid 19. Le tout en moins de 2019 signes. Si tu as raté le début du feuilleton, tu peux commencer par le début qui a été publié ici, avec les principes du feuilleton et l’épisode 1. Puis retrouver l’épisode 2 ici. Et l’épisode 3.
Monsieur Sauternes courait. Par les chemins de sable dans la pignada. Sautant entre genêts et ajoncs, contournant arbousiers et chênes lièges, Sauternes s’adonnait à son épreuve quotidienne sans contrainte. Au loin, le chien Médoc girait comme un derviche tourneur pour défaire l’attache autocollante qui tenait le smartphone actif que Sauternes lui avait collé sur les flancs. Le chien se dépensait follement dans le jardin clos pendant que Sauternes avalait les kilomètres dans les dunes. Ce dernier redoutait la surveillance de ses traces en géolocalisation. En apparence finaud, Sauternes se sentait libre par cette manigance. Il approchait du rivage. A marée basse, les lumières fondaient un tableau rassurant sur l’étal sableux. Sauternes évaluait qu’il pourrait discrètement pratiquer du surfcasting à reculer. Quelques bars viendraient se prendre à son hameçon. Il faudrait trouver lequel, la saison n’étant plus au maquereau. Il ne risquait ni concurrence halieutique ni contrôle sur cette côte isolée. Les gendarmes étaient bien occupés.
Ce jour portait deux mauvaises nouvelles : l’hospitalisation de Monsieur Merlot et la brutale de disparition de Christophe, l’éternel compagnon musicien de ses nuits bleues scellées au bourbon. Sauternes écrivait et pratiquait d’intenses activités manuelles nocturnes. Il aimait, tel son maître en sons de dentelle, enregistrer les meilleurs bruits de la nuit sur son Nagra à bandes magnétiques. Foulant la grève de sable dorée, Sauternes avait dessiné d’un trait de bois flotté sur le sable, le doux visage de son amoureuse qui lui souriait. Il ne plut pas sur cette plage, mais les vagues bientôt effaceraient son souvenir. Personne n’avait crié pour qu’elle revienne.
Les rêves propulsent loin les pensées et les joggeurs. Un bourdonnement lui fit lever la tête. Un drone l’avait décelé. Activant sa course en rebroussant chemin il fonça vers la pinède pour se mettre à couvert. Mais le drone s’affranchissait des têtes des arbres et tenait le rythme. Pis, il savait l’axe de course de Sauternes. Il le précédait même. Sauternes tenait l’allure mais s’essoufflait d’étonnement. Le vrombissement augmentait, passant à droite et à gauche. Qui pouvait donc pourchasser ainsi Roger Tornhill ? Sortant de la pinède et traversant le pare-feu conduisant au portillon du jardin, Sauternes retrouva ses esprits quand il aperçut le Duster de la gendarmerie qui l’attendait. Gyrophare allumé.
Il sortit ses lunettes bleues.