Et voilà le septième épisode de Monsieur Sauternes, confiné dans une maison qui ne lui appartient pas. Espèce de majordome, payé on ne sait trop comment, l’est-il d’ailleurs ?, pour remettre en état et assurer l’activité touristique d’une belle villa en bois, quelque part à Bourrindays, au temps du Covid19, près de l’océan Atlantique. Les jours et les nuits passent en solitude, alors que Sauternes rêve de devenir écrivain et découvre la vie naturelle dans son environnement forestier. La Pension des Fuites est une histoire à épisodes de 2019 signes chacun qui s’infiltre dans les vies en rétention de l’époque où la recherche de voies inexplorées le conjugue à la découverte de sensations nouvelles. La nuit prend ici une importance particulière dans l’épaisseur du temps long qui augmente avec la durée du confinement. Amie lectrice, ami lecteur, si tu as raté les premiers épisodes, tu en retrouves la trace à partir de mon profil ici. Très bonne lecture.
Le début du printemps 2020 fut beau. Les cieux bleus s’emboîtaient comme des pièces d’un puzzle dans un périmètre confiné. Lors d’une nuit, au cours de laquelle Sauternes grattouillait son banjo sur la terrasse, il remarqua une harde de cervidés à la lisière de la forêt. Le groupe avançait lentement lorgnant du côté de la villa et de l’écheveau de notes métalliques qui en sortait. De nouveaux animaux arrivaient par divers sentiers jusqu’à constituer un attroupement sur le pare-feu. De la clôture à la lisière de la forêt, l’espace sableux était occupé de chevreuils attentifs, beaucoup se frottaient le museau aux troncs des pins.
Sauternes, dont l’esprit se projetait alors dans un bain astral, goûtait les notes qui surfaient sur le murmure de l’océan frôlant les têtes des arbres. Il ne s’attendait pas à ce public si bienveillant. D’abord flatté, puis incrédule, il arrêta sa mélodie grinçante. Un autre son inhabituel charpentait l’ambiance. Un léger sifflement arrivait par vagues depuis l’océan. Les chevreuils constituaient une longue file quasi compacte qui ne manifesta pas de mouvement particulier à l’arrêt du banjo. Sauternes attendit longtemps avant de constater le repli des chevreuils dans le bois à l’arrêt du bruit parasite.
La nuit suivante, le même phénomène d’arrivée d’une première harde, puis de plusieurs se produisit, alors que Sauternes ne pinçait pas les cordes de son instrument. Une chose était désormais prouvée : le banjo ne gênait pas les cervidés. Cependant, il ne les attirait pas non plus. Le sifflement persistait.
La troisième nuit, Sauternes, habillé de noir, avait enfilé sa cagoule militaire, alors qu’il décidait de se planquer au niveau du second sentier latéral à la dune, sous le couvert forestier. Là, sous les genêts, il attendit le creux de la nuit. Un sifflement apparu, précédant un fin trait de lumière sautillant au gré du relief dunaire et remontant vers le nord. L’évasion des chevreuils avait commencé alors que le faisceau et son bruit apparaissaient de manière plus distincte. Un cycliste fonçait sur un fat bike équipé d’un éclairage réduit. Un sac accroché au dos, il filait droit devant. Puis un deuxième, un troisième. Au total, plus de 20 équipages espacés dans le temps remontaient vers le nord. Une vraie piste Ho Chi Minh. Voilà qui régalerait le Maréchal des Logis Chef Chablis. Le flux passé, Sauternes attendit le retour des cervidés pour regagner la villa des bois.