Aujourd’hui, je vous propose de partager le premier épisode d’un dossier entièrement dédié au contenu des sites web de destinations touristiques. Une série didactique en 6 épisodes, pour tenter d’aborder le sujet du contenu web dans une perspective globale et transversale, avec un seul objectif : (re)donner du sens à la “performance” de ces contenus (ce qui nécessitera d’ailleurs de définir les critères de cette performance…).
Un dossier, 6 épisodes, vraiment ?
Oui, vraiment ! 🙂 Le sujet du contenu web m’a semblé particulièrement adapté pour inaugurer ce nouveau format de votre blog préféré. Il a été imaginé pour permettre de prendre le temps de traiter certains sujets de fond au long cours. Sur le sujet du contenu web, les angles de traitement sont multiples et pour apporter une vision d’ensemble, il est confortable de prendre ce temps, pour éviter de réduire la portée du contenu web à l’une ou l’autre de ses dimensions.
Dans ce premier épisode, qui se veut prologue, nous essaierons de bien définir la valeur réelle et globale du contenu web et de l’appréhender dans toutes ses dimensions, faire le tour de ses vocations et des enjeux sous-jacents. Les épisodes à suivre permettront de rentrer dans le détail des enjeux clés, comprendre le rôle du contenu dans le parcours client et la qualité de l’expérience utilisateur, cartographier les différents types, formats et rôles de contenus, appréhender les grandes lignes d’une stratégie de contenus et outils permettant de la mettre en oeuvre, mesurer l’importance du pilotage de la performance de ses contenus, et enfin évaluer les possibilités de mise en oeuvre opérationnelle en fonction de son contexte et de ses moyens. Bien entendu, chacun de ces épisodes s’attachera à traiter des différentes dimensions du contenu, du SEO au content marketing, de l’éditorial immersif à la fiche SIT, de l’information neutre au conseil engagé… bref, il devrait y en avoir pour toutes les sensibilités ! En revanche, et c’est un vrai aveu de faiblesse, je vais me cantonner au contenu web, mettant volontairement de coté le volet réseaux sociaux, en tous cas dans un premier temps (je n’exclus pas de réouvrir plus tard). Pour autant, un bonne partie de ce que je vais évoquer pourrait s’appliquer au social média, en particulier ce qui est lié au positionnement marketing et à la ligne éditoriale.
Le contenu est ROI ! oui… mais DE quel royaume ?
On assène cette grande vérité depuis des années : “le contenu est ROI !”. OK, mais concrètement, ça veut dire quoi et pourquoi on insiste tant en servant cette rengaine à toutes les sauces ?
Retour à la préhistoire, 1996, le Web commence tout juste à se développer, Bill Gates alors encore aux manettes de Microsoft s’allie avec la NBC pour créer du contenu sur Internet. Il ouvre son discours par une punchline qui restera mémorable : “Content is King”. Il prédit que c’est le contenu qui sera la principale source des revenus générés par Internet dans le futur. Quel visionnaire ce Billou, il nous alertera d’ailleurs 20 ans plus tard sur un virus qui pourrait bien nous emmerder un jour… Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, certaines de ses prédictions se sont révélées relativement pertinentes, et chacun s’est réapproprié la chose pour servir ses propres intérêts.
En France, on a plus tard jugé opportun de passer le “roi” en majuscules, histoire de convoquer l’acronyme “ROI” (Return On Investment) pour affirmer que le contenu était LE meilleur investissement qu’on puisse réaliser dans une stratégie web (ce qui, en soit, est très clairement la réalité).
Parmi les porteurs de cette idée, on retrouve principalement 4 secteurs d’expertise :
- l’école du “SEO”, qui considère que le contenu est la matière première idéale pour nourrir les moteurs de recherche et qu’il faut des contenus optimisés pour répondre aux recherches Google ;
- l’école du “content marketing”, pour laquelle le contenu (« brand content ») est devenu l’eldorado de la communication de marque à l’heure où la pub traditionnelle s’essouffle ;
- l’école des rédacteurs, très hétérogène, mais dont le point commun est globalement l’expertise rédactionnelle, souvent associé à une expertise complémentaire (SEO, storytelling, journalisme…) ;
- l’école des faiseurs du “web”, dont l’objectif est (ou devrait être…) de proposer la meilleure expérience en délivrant un contenu utile et facilement accessible à des utilisateurs en recherche d’information ou de service.
Même si je suis génétiquement plus proche de cette dernière école sans pour autant être insensible aux 3 autres, il me semble que la véritable valeur du contenu s’exprime pleinement lorsque l’ensemble de ces expertises sont parfaitement concertées.
Le contenu web, un mouton à 5 pattes
L’idée principale est de considérer que tant qu’on aborde un contenu par une seule de ses dimensions vocationnelles, alors sa valeur n’est que très partielle voire quasi-nulle. Je suis toujours effaré de constater que l’on puisse encore en 2021 créer du “contenu (pour le) SEO” ou à l’inverse un “contenu d’image” ignorant la dimension SEO. Pire, la plupart du temps, ces contenus sont créés sans tenir compte un instant de leur place ou rôle dans le parcours client global ni de l’intention ou du besoin de l’utilisateur. Pire de pire, on mesure son efficacité, sa “performance” à sa position sur Google, au nombre de vues, et pour faire croire qu’on s’intéresse à la dimension qualitative, on y ajoute le taux de rebond ! Je reviendrais dans l’épisode dédié à la performance sur ces indicateurs en trompe-l’œil…
Bref, tout ça pour dire que si chaque “métier” a parfaitement raison de valoriser l’importance du contenu, ce n’est qu’avec une vision et une stratégie d’ensemble que nous allons pouvoir générer une performance réelle, imaginer des contenus qui chacun :
- servent la notoriété et nourrissent le positionnement et l’image de la destination (marketing / communication),
- captent une audience ciblée et pertinente (SEO),
- accompagnent le visiteur dans son parcours, dans son cycle de décision (expérience utilisateur),
- influencent, orientent, canalisent les pratiques touristiques (mission, responsabilité de l’OGD),
- favorisent les retombées économiques sur le territoire (promotion, intermédiation, commercialisation…).
Essayons de disséquer chacune de ces dimensions pour comprendre le rôle qu’elles devraient jouer dans cette complexe alchimie.
Le contenu, faiseur de la destination
Une stratégie de contenus pertinente trouve d’abord et avant tout son inspiration dans le positionnement marketing de la destination. Si ce positionnement a bien été travaillé, on connaît nos cibles (voire personas) et nos thématiques prioritaires (ou piliers) qui portent le discours. A partir de là, l’enjeu de la stratégie de contenus va être d’imaginer, cartographier et qualifier les contenus, de différentes formes, qui vont permettre de raconter la destination, inspirer, séduire, informer, convaincre, réassurer…
D’expérience, la meilleure manière de réussir ce travail est de faire brainstormer un (petit) échantillon hétéroclite de l’équipe de l’OGD, allant des experts du web aux conseillers en séjour, en organisant des sessions thématiques. Par exemple, ne pas hésiter à prendre ½ voire 1 journée sur la rando. Brainstormer, rebondir, enrichir, organiser, relier les idées entre elles… sans à ce stade se préoccuper de la moindre notion d’arborescence, encore moins de SEO, mais en commençant à se projeter sur des idées de formats, de cibles et d’objectifs. Je reviendrais en détail sur cette démarche créative dans un des derniers épisodes de ce dossier, mais à ce stade, il faut comprendre que c’est bien cette réflexion stratégique qui guide la stratégie de contenu et rien d’autre. Sinon, on ne parle pas de stratégie de contenus mais tout au plus de planning éditorial (indispensable par ailleurs, mais plutôt en tant qu’outil au service de la stratégie de contenus).
Le contenu et le SEO, une histoire d’amour (opportuniste ?)
Autant mettre les pieds dans le plat tout de suite au risque de me faire quelques copains : dans l’univers du SEO, il y a comme partout du bon, du très bon, et du… moins bon ! L’objet de ce billet n’est pas de porter un jugement ni de régler des comptes, je ne vais donc pas m’étendre sur cet épineux sujet, mais je pense que certaines pratiques (« black hat ») ont porté préjudice à la profession et, surtout, à la perception de la vraie qualité du contenu. Un bon contenu, un contenu performant, ce n’est pas un contenu qui a pour objectif premier de capter du trafic, encore moins qui a été créé spécifiquement pour servir cet objectif. C’est d’abord et avant tout un contenu qui remplit un rôle stratégique et qui, parce qu’il a été produit selon les règles de l’art, est optimisé pour capter son audience légitime (contrairement à ce billet qui n’a fait l’objet d’aucune optimisation 😱). Ça sonne comme une évidence, mais ça ne coûte rien de rappeler l’ordre naturel des choses…
Cela veut donc dire que la stratégie de contenus n’est pas dirigée par le SEO, les volumes de recherches et autres potentiels de trafic, mais bien par la stratégie marketing de la destination et la mission de l’OGD aux manettes. En revanche, élaborer une stratégie de contenus sans avoir une parfaite connaissance et compréhension des recherches Google des cibles de la destination serait tout aussi aberrant ! Le bon sens commande dès lors de définir les contenus à produire pour servir la stratégie de la destination, puis, avant de les rédiger, les confronter aux études SEO qui apportent alors des éclairages permettant de prioriser la production (équilibre entre importance stratégique et volume d’audience cible) et affiner les angles éditoriaux en les alignant sur les intentions de recherche (dans la limite où ça ne dénature pas le fond).
Ces mêmes études SEO peuvent par ailleurs être une formidable matière première pour comprendre les attentes des cibles et leur connaissance / compréhension de la destination. En revanche il y a un vrai danger à mécaniquement faire le cheminement “étude de mots clés > potentiel > faut produire du contenu pour choper le trafic”.
Le contenu, facteur clé de l’expérience utilisateur
Mon propos sera très superficiel sur ce point car je vais lui consacrer l’intégralité du prochain épisode, tant il me semble être le cœur du sujet et la clé de compréhension de toute l’importance stratégique du contenu. Retenons simplement ici qu’au cours de son “parcours client” (que nous prendrons le temps de modéliser), un utilisateur va interagir avec des sites web (entre autres) avec un objectif précis (trouver des idées de vacances, comprendre l’offre d’une destination, trouver un hébergement, réserver une activité, consulter l’agenda ou la webcam…). Lors de ces interactions, un certain nombre de facteurs vont façonner son expérience utilisateur, dont la qualité va déterminer en grande partie de la suite immédiate (poursuivre avec le site, ou un autre) ou future (revenir plus tard, ou pas). La qualité (pertinence, précision, utilité, exclusivité, fiabilité…) des contenus consultés est reconnue comme étant tout simplement parmi les facteurs les plus déterminants de cette expérience utilisateur !
Tout l’enjeu va donc être de parfaitement maîtriser les arcanes du parcours client pour proposer des contenus adaptés aux cibles et (surtout) à leur objectif de l’instant, exprimé au travers de leur “intention de recherche”. Dit autrement, un contenu va s’adresser principalement à une cible en répondant à une intention précise et viser un objectif opérationnel précis. Tout cela sera plus clair dans le prochain épisode, exemples à l’appui !
Le contenu, influenceur des (bonnes) pratiques touristiques
A ce stade, si on confronte le positionnement stratégique de la destination, les études SEO et les intentions des cibles, il est fort probable que l’on se heurte à quelques “conflits d’intérêts », en tous cas si la destination est engagée, par exemple sur un tourisme responsable. En effet, l’étude de mots clés va très certainement mettre en exergue des volumes de recherche, peut-être même considérables, sur des sujets incompatibles avec le positionnement et/ou des sites posant des problématiques de saturation à certains moments. Charge à l’OGD d’arbitrer entre un potentiel de trafic et son image ou sa mission ! Ou, avec un peu de créativité, trouver le moyen de concilier l’inconciliable… promis, ça se fait 😉
Indépendamment de la question du trafic que l’on pourrait considérer anecdotique, la vraie question ici posée est celle de la ligne éditoriale. En fonction de la mission (voire du combat) de l’OGD, la sélection de thématiques et sujets et leur angle de traitement devrait être fortement influencée. Jusqu’à il y a très peu de temps, un site de destination classique traitait globalement de toutes les thématiques avec l’idée de tout valoriser au plus haut niveau. Certains se sont risqués à des top 10, mais en y valorisant bien souvent les 10 incontournables, contribuant par là même à leur saturation, plutôt que les 10 trucs vraiment cool à faire hors des sentiers (trop) battus. Sauf que le tourisme de masse n’est pas réservé qu’à Venise ou Barcelone, et que nombre de destinations et de spots se sont retrouvés récemment dans des situations bien complexes, fussent-elles ponctuelles. Pour certains OGD, il devient absolument nécessaire de réfléchir à une ligne éditoriale engagée, pour tenter d’influencer les pratiques touristiques et canaliser les comportements inciviques. Par exemple, il peut s’agir de plus valoriser les “pépites” que les incontournables, mais également d’adopter un angle de sensibilisation et de conseil pour traiter un incontournable plutôt que se limiter à réaffirmer à quel point ce spot incontournable est si exceptionnel : venir hors saison, le matin, en train / vélo, valoriser un petit spot alternatif à proximité… Une autre approche, plus pointue à déployer, consiste à réguler la diffusion / visibilité d’un contenu pour répartir dans le temps l’intérêt qu’il génère pour un spot inadapté à l’accueil en masse. Bref, il existe pas mal de possibilités pour contribuer à protéger les sites tout en proposant la meilleure expérience touristique possible au visiteur.
Dans un autre registre, d’autres renonceront à traiter d’une thématique pourtant porteuse sur la destination mais incompatible avec l’engagement environnemental de l’OGD (activités polluantes ou non respectueuse de la faune / flore…).
Quoi qu’il en soit, ces choix stratégiques et structurants gagneront à être mûrement réfléchis et documentés dans une “ligne éditoriale”, qui pourra d’ailleurs être rendue publique sur le site de l’OGD, aux côtés du manifeste.
Le contenu, créateur de richesse
Parmi les rôles essentiels des OGD, le développement des retombées économiques n’est pas anodin. Et je ne parle pas ici des quelques miettes générées par les places de marchés mais bien de l’économie touristique globale de la destination. En faisant bien notre travail de promotion de la destination, on contribue à développer sa fréquentation (de la destination, pas du site web, hein) et se faisant, on développe les retombées économiques. Mais nous pouvons aller plus loin en incitant à la consommation ceux que l’on aura convaincu de venir nous rendre visite.
Le premier niveau, assez bien maîtrisé par la plupart des OGD, consiste à favoriser la mise en relation, la prise de contact, avec les socioprios, au travers de leur fiche SIT. Les plus affutés auront pris le soin de finement tracker cet acte de conversion qui pourra être valorisé pour démontrer le poids représenté par l’OGD (le cas échéant).
Au-delà on peut surtout agir sur les contenus et leur maillage (ou mise en relation). On peut par exemple imaginer des formats de contenus, type storytelling, qui mettent en scène un produit, un producteur, un label, une AOP, une recette… afin de mettre en lumière la production locale et inciter à sa consommation. On peut également, plus finement, profiter d’un contenu rédigé pour répondre à une intention initiale (visiter la ville, balade à vélo) pour en proposer d’autres, connexes, sous la forme de conseil : profiter d’une visite en ville pour passer sur le marché, profiter d’une balade à vélo pour déguster un produit chez le producteur à 2 pas d’ici…
Plus globalement, l’idée est d’exploiter le plus habilement possible le phénomène de sérendipité favorisé si naturellement par le web.
Quand la sérendipité s’invite dans une stratégie de contenus
Si on cherche à faire la synthèse de ce premier épisode, on s’apercevra que les 5 dimensions exposées se complètent et s’enchaînent assez naturellement dès lors qu’on prend les choses dans le bon ordre.
Si on est bien parti du positionnement marketing de la destination, les contenus que ce positionnement va nous inviter à produire devrait nous permettre, via le SEO, d’accueillir un visiteur “compatible” avec notre proposition de valeur. Arrivé sur notre site, notre priorité absolue devra être de répondre à son besoin, à son intention, et favoriser l’atteinte de son objectif : c’est tout l’enjeu de l’expérience utilisateur. Mais notre priorité secondaire pourrait, et devrait, être d’orienter la suite de son parcours client vers nos enjeux stratégiques, que ce soit pour influencer sa pratique touristique ou l’inviter à consommer le territoire.
C’est, en tous cas de mon point de vue, l’ambition que devrait avoir une véritable stratégie de contenus. Dans le cas contraire, si on omet la dimension SEO, on raconte de belles histoires que personne ne lira jamais, si on oublie le reste, on fait de l’audience web en oubliant juste la raison pour laquelle on fait ce job !
Je vous donne donc rendez-vous d’ici quelques semaines pour essayer de mieux comprendre le rôle du contenu dans le parcours client et la qualité de l’expérience utilisateur, ainsi que la relation entre stratégie digitale, stratégie de contenus et conception web.