Le diable est dans les Airbnb

Publié le 25 septembre 2024
7 min
Juan Carlos Pachón – Hell Sant Grafitti – Flickr

Airbnb a révolutionné le secteur de l’hébergement en offrant aux voyageurs une alternative aux hôtels traditionnels. La marque a réussi un coup marketing extraordinaire en passant dans le langage courant à l’instar du frigidaire. En effet, aujourd’hui on réserve « son Airbnb » comme « sa chambre d’hôtel » pour les vacances. Encore plus fort, sans posséder la moindre chambre, ni le moindre patrimoine immobilier, la valorisation d’Airbnb en milliards d’euros est neuf fois supérieure à celle du groupe Accor.

Cette innovation purement technologique de mise en relation de l’offre avec la demande, pratique pour les voyageurs et lucrative pour certains propriétaires, a également engendré des conséquences inattendues, notamment sur le marché locatif de longue durée et sur l’attractivité économique des territoires. Pour les nouveaux arrivants, qu’il s’agisse de jeunes professionnels, d’étudiants ou de familles, la recherche d’un logement devient de plus en plus difficile dans certaines villes où l’offre de location de courte durée est florissante, mais où à l’inverse l’offre locative traditionnelle se réduit comme peau de chagrin.

Un marché locatif en tension

Dans les grandes villes et les destinations touristiques populaires, une part importante des logements qui auraient pu être destinés à la location de longue durée est désormais proposée sur des plates-formes de location courte durée comme Airbnb. Il suffit de comparer le nombre d’offres disponibles entre Airbnb et les sites de locations immobilières traditionnels (SeLoger, PAP, etc.) pour s’en rendre compte. Certes Airbnb propose depuis la location longue durée (plus de 30 jours) mais elle reste considérablement réduite et sans proposer de prix réellement attractifs. Ce phénomène de déplacement de l’offre locative entraîne une diminution de l’offre de logements disponibles pour les locataires à longue durée, ce qui aggrave la tension sur le marché locatif. Les logements deviennent donc moins disponibles pour les locataires souhaitant s’installer de manière permanente, les maigres offres disponibles partent en quelques jours seulement au gram dam des locataires déchûs.

Les propriétaires préfèrent souvent opter pour Airbnb, car la location courte durée peut rapporter bien plus qu’une location traditionnelle. En effet, en louant un appartement ou une maison sur Airbnb, un propriétaire peut percevoir en une semaine ce qu’il gagnerait en un mois avec un bail classique. Dans un contexte économique et inflationniste, cette dynamique s’explique facilement. L’une des principales conséquences de cette diminution de l’offre locative est l’augmentation des loyers. Lorsque l’offre diminue et que la demande continue de croître (comme c’est souvent le cas dans les villes dynamiques et attractives), les prix des loyers grimpent en flèche. Le besoin de se loger étant indispensable pour les nouveaux arrivants, déjà confrontés à un coût de la vie souvent élevé, ils se retrouvent dans une situation où ils ne peuvent pas se loger dans des quartiers autrefois accessibles. Les villes moyennes notamment deviennent moins attractives, les populations chutent et les nouveaux potentiels habitants des centres-villes n’ont pas d’autres choix que de se tourner vers les périphéries.

Les quartiers se meurent

Ce phénomène contribue également à la gentrification de nombreux quartiers. Les propriétaires, attirés par les rendements élevés d’Airbnb, préfèrent louer leurs logements aux touristes plutôt qu’aux résidents permanents. Cela entraîne une transformation des quartiers, avec une hausse du coût de la vie et l’exclusion progressive des résidents à faibles revenus, souvent remplacés par une population plus aisée ou des visiteurs temporaires avec un budget vacances dépensé principalement dans l’hébergement.

Dans les quartiers où Airbnb est dominant, le va-et-vient constant des touristes change la vie des quartiers. Les commerces locaux s’adaptent aux touristes, au détriment des résidents permanents. Les quartiers perdent leur caractère authentique, les boîtes à clés se multiplient, les bailleurs emploient une conciergerie locale, les logements sont occupés temporairement et uniquement par des voyageurs, réduisant ainsi l’interaction entre voisins, augmentant les nuisances sonores (le bruit des valises à roulettes dans les communs, les fêtes organisées quotidiennement, les cris nocturnes des voyageurs couche-tard et lève-tard, etc.).

Jusotil_1943 Devil sur Flickr

Une pression supplémentaire sur le transport

Face à l’augmentation des loyers et à la raréfaction des logements en centre-ville, de nombreux habitants n’ont pas d’autre choix que de s’installer en périphérie. Ce déplacement vers les zones suburbaines allonge les trajets domicile-travail avec des conséquences sur le bien-être au travail, sur l’organisation familiale. Par ailleurs, il accroît la pression sur les infrastructures de transport en commun, qui sont souvent sous-dimensionnées pour répondre à cette nouvelle demande croissante.

Parallèlement, pour répondre aux enjeux climatiques et de GES, les villes interdisent l’accès aux véhicules les plus polluants, double peine pour les banlieusards les plus modestes qui n’ont pas les moyens de se payer des véhicules électriques hors de prix. Les collectivités investissent massivement dans le développement de nouveaux axes de tramway ou de métro, souvent situés en centre-ville et autour des attractions touristiques. Bien que ces infrastructures améliorent l’accessibilité pour les visiteurs, elles profitent souvent davantage aux touristes qu’aux résidents permanents qui se sont éloignés en périphérie.

Ironiquement, ces projets de voirie intercommunaux sont en grande partie financés par les impôts locaux des habitants, qui voient ainsi leur contribution servir à des aménagements dont ils bénéficient peu, créant un sentiment d’injustice et accentuant les inégalités et la fracture entre le centre-ville et les zones périurbaines.

attirer des talents est une difficulté

Un marché locatif tendu, avec des loyers exorbitants et une offre limitée, peut avoir un impact négatif sur l’attractivité économique d’une ville. De nombreuses entreprises et start-ups, en particulier dans les secteurs technologiques et créatifs, ont besoin d’attirer des talents venant d’autres régions ou pays. Cependant, lorsque ces talents arrivent dans une ville où il est pratiquement impossible de trouver un logement abordable, cela devient un frein à leur installation, voire un stop définitif.

Les entreprises peuvent parfois offrir des primes au logement ou des aides spécifiques pour compenser la difficulté d’accès au marché locatif, ce qui alourdit leurs coûts de recrutement. En conséquence, certaines entreprises peuvent choisir de s’implanter ailleurs, dans des villes où le marché immobilier est plus abordable, réduisant ainsi les opportunités économiques pour la ville concernée

Des initiatives pour réguler Airbnb, mais insuffisantes ?

Face à ces effets indésirables, certaines municipalités ont tenté de réguler les plateformes de location courte durée. Des grandes villes comme Paris, Barcelone, et New York ont introduit des limites sur le nombre de jours pendant lesquels un logement peut être loué via Airbnb, et ont imposé des taxes spécifiques. Ces mesures visent à protéger l’offre de logements de longue durée et à freiner l’explosion des prix. Lorsque l’on dresse le bilan, un an après la réglementation drastique à New York, l’équation n’est pas si simple.

Les locations Airbnb échappent souvent à certaines taxes imposées aux hôtels traditionnels, créant ainsi une distorsion de la concurrence dans le secteur touristique. Cependant, ces réglementations se heurtent souvent à des défis pratiques et à des lobbys puissants. De nombreux propriétaires contournent les restrictions, soit en louant de manière non déclarée, soit en fractionnant leurs offres sur plusieurs plates-formes. Les nouvelles arrivées dans ces villes restent donc confrontées à un marché locatif tendu, malgré les efforts de régulation.

L’arme absolue serait très probablement en France de raboter la niche fiscale qui profite aux bailleurs de meublés de tourisme, ceux-ci peuvent déduire 50 % des loyers perçus, dans la limite de 77 700 euros de revenus (et même 71 % dans la limite de 188 700 euros pour les logements classés. Une proposition de loi ayant résisté à la dissolution serait toujours dans les tuyaux. Si cette mesure voyait le jour, elle pourrait favoriser la diminution du parc des meublés de tourisme dont les hébergements classés. Auparavant les conséquences aurait pu être majeures pour le classement d’une commune en « station de tourisme » qui doit obligatoirement intégrer une partie d’hébergements classées. Or, l’arrêté du 3 juin 2024 a pour objet d’exclure les meublés de tourisme du calcul des 70% d’hébergements classés sur le territoire de la commune demandant son classement en station de tourisme.

pour un équilibre responsable des destinations touristiques

Le développement d’Airbnb a incontestablement transformé le paysage de l’hébergement et offert une nouvelle source de revenus à de nombreux propriétaires. Néanmoins, pour maintenir l’attractivité économique des grandes villes et offrir des conditions de vie acceptables aux nouveaux arrivants, il est essentiel de trouver un équilibre.

Bien que le déploiement d’une offre de location de courte durée soit un indicateur de performances touristiques, cette problématique devrait être prise à bras-le-corps par les destinations et leurs collectivités qui s’engagent dans un positionnement de tourisme responsable dont les habitants sont les premiers concernés par les conséquences désastreuses du développement exponentiel des Airbnb.

Des solutions telles que l’encouragement à la construction de logements abordables, une meilleure régulation des plates-formes de location courte durée, et la mise en place de politiques incitatives pour les propriétaires afin de favoriser la location longue durée, doivent être sérieusement envisagées. À long terme, cela pourrait permettre de garantir que les villes restent des lieux vivables et attractifs et proposent un marché immobilier équilibré, tant pour les touristes, les résidents permanents et les potentiels nouveaux arrivants.

En tant que consommateurs, conscients de ces implications, nous avons aussi certainement un rôle à jouer en passant par la réservation d’hébergements en direct pour nos propres vacances, et en évitant les plates-formes. Comme professionnels du tourisme, même si la bataille est rude, une des soluitions pourraient être de s’engager dans un travail conséquent de mise en marché de l’offre et d’accompagnement des prestataires pour se sortir des griffes diaboliques de la plate-forme Airbnb, d’instaurer un dialogue constructif avec les propriétaires pour trouver un juste équilibre immobilier.

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Directeur marketing et communication à Clermont Auvergne Tourisme. Enseignant vacataire à Clermont-Ferrand, Perpignan et Lyon.
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