« Le Futur, c’est maintenant » : une rétroprospective des 20 dernières années! #ET20

Publié le 12 novembre 2024
9 min

Pour une dixième fois, j’ai participé avec plaisir aux Rencontres du etourisme à Pau en octobre dernier. Cette 20e édition était particulière, car elle marquait deux décennies de etourisme. C’était l’occasion de prendre du recul et de dresser un bilan lucide : promesses technologiques, réalisations concrètes, désillusions… L’objectif était de débusquer les effets de mode et de souligner les réelles solutions innovantes qui auront été durables dans le temps.

Crédit photo : Maria Alberola

« Le Futur, c’est maintenant » : notre intervention, entre humour et lucidité

Avec Ludovic Dublanchet, nous avons eu le plaisir d’offrir une conférence qui se voulait à la fois inspirante et pleine d’humour! Plutôt que de nous focaliser sur les dernières tendances technologiques, nous avons proposé une analyse lucide et pragmatique de l’évolution du etourisme ces 20 dernières années, en invitant l’audience à la réflexion et à l’autocritique. Le tout ponctué des remarques pertinentes de Ludo, créant une dynamique riche et stimulante!

1. L’ivresse technologique et ses mirages

Nous avons rappelé avec humour l’enthousiasme aveugle qui a pu accompagner chaque nouvelle technologie, avec – à chaque fois – la promesse que «le boulot va se faire tout seul ». Bornes interactives, applications mobiles, réalité augmentée, QR codes… la liste des «gadgets» technologiques qui ont suscité un engouement disproportionné est longue. On a souvent succombé à la tentation de la solution miracle, sans réellement réfléchir à sa pertinence et à son intégration dans une stratégie globale. J’ai illustré ce propos avec l’exemple des applications mobiles : «Les applis, ça a été un grand moment! Les prestataires voulaient que les Offices de tourisme fassent une application! On a fait des applis, ça a coûté très cher, et personne ne les a utilisées!» Un bel exemple de l’écart entre les promesses et la réalité. 

Cette tendance à l’engouement irréfléchi pour la technologie s’explique par plusieurs facteurs : la volonté de se démarquer de la concurrence, la pression des prestataires et la difficulté à évaluer la pertinence d’une innovation avant sa mise en place. Il est donc essentiel de cultiver un esprit critique et de ne pas se laisser séduire par les modes passagères. L’innovation doit être guidée par une réflexion stratégique et non par l’effet « Waouh! ».

2. Contenu et expérience utilisateur : les fondamentaux

Nous avons critiqué la «muséification» des offices de tourisme, transformés avec des écrans tactiles peu ergonomiques. «On a transformé nos offices de tourisme en Apple Store, c’était horrible!», a déploré Ludo a renchéri en ironisant sur la réalité augmentée, une petite couche de plus souvent superflue et coûteuse : «Et après dans les applis on a mis de la réalité augmentée… Est-ce qu’on aurait 100 000 € à mettre en plus là-dedans? ». L’objectif n’est pas d’accumuler les technologies, mais de proposer des contenus pertinents, accessibles et engageants qui incitent les visiteurs à découvrir la destination et à interagir avec les acteurs locaux. La technologie doit être au service du contenu et de l’expérience, et non l’inverse. Il faut privilégier la qualité à la quantité, et s’assurer que chaque outil technologique mis en place a une réelle valeur ajoutée pour le visiteur.

3. S’adapter aux nouveaux usages et aux plateformes émergentes

Nous avons souligné l’importance de s’adapter aux plateformes émergentes comme Instagram, où les jeunes générations s’inspirent pour leurs voyages. «Aujourd’hui les trends de voyage pour 2025, c’est sur TikTok qu’on les trouve. Je dois me résigner à accepter qu’Instagram, YouTube et TikTok sont les canaux par lesquels les plus jeunes accèdent désormais au monde», ai-je observé. 

Ludo a rappelé à ce propos l’engouement, parfois démesuré pour les événements hybrides durant la pandémie : «Il y a eu un moment où beaucoup de centres de congrès ont investi dans des systèmes hybrides, des studios de télé… On s’est mis à rêver que le tourisme d’affaires allait être révolutionné.» Un exemple qui montre qu’il faut être attentif aux tendances sans pour autant céder à tous les effets de mode. L’enjeu est de comprendre les nouveaux usages des voyageurs et de s’adapter à leurs attentes, en proposant des expériences digitales fluides et immersives, tout en gardant un esprit critique et en évitant les investissements inutiles. Il est important de ne pas se laisser dicter sa stratégie par les plateformes, mais de choisir celles qui correspondent le mieux aux besoins de sa cible et à ses objectifs de communication.

4. Le Big Data et l’intelligence artificielle : des outils au service du tourisme

L’intelligence artificielle (IA) a aujourd’hui le potentiel de faire ce que d’autres innovations n’ont pas entièrement réussi : améliorer la productivité et faciliter les échanges. Des exemples pratiques commencent à se multiplier, comme les assistants virtuels capables de personnaliser les recommandations en fonction du profil du voyageur. Ludo a apporté une touche d’humour en racontant comment ChatGPT a généré un programme d’atelier erroné : «On avait un QR code qui menait vers le programme, que personne n’utilisait… et en fait le papier était faux parce que quelqu’un dans l’équipe avait demandé à ChatGPT de faire un tableau à partir du site internet, et il a fait n’importe quoi!» Une anecdote qui montre que l’IA, aussi puissante soit-elle, n’est pas infaillible. Il est essentiel de garder un esprit critique et de ne pas déléguer toutes les décisions aux algorithmes. L’IA doit être utilisée comme un outil d’aide à la décision et non comme un remplacement de l’expertise humaine.

Le Big Data est un autre phénomène qui a marqué le tourisme ces dernières années. Des données en abondance, oui, mais comment les exploiter ? Les avancées en Business Intelligence montrent que la réponse réside dans la qualité des analyses et non dans la quantité des données. J’ai cité l’exemple de Destination Québec cité qui a misé sur l’IA pour analyser les données et personnaliser ses offres touristiques. «Destination Québec a fait un choix audacieux. L’office de tourisme de Québec a décidé d’assujettir le marketing de destination à l’intelligence d’affaires», ai-je expliqué., Des insights bien conçus peuvent guider des décisions de marketing de manière chirurgicale. L’IA peut nous aider à mieux comprendre les données, à automatiser certaines tâches et à personnaliser l’expérience touristique, mais elle ne doit pas nous faire oublier l’importance du contact humain et de l’émotion dont est fait le voyage.

5. L’humain au cœur de l’expérience

Nous avons insisté sur la nécessité de comprendre les usages et les comportements des voyageurs pour créer des outils pertinents. «Si on ne comprend pas les usages touristiques ainsi que les comportements de nos clients, on fabrique des trucs qui ne servent à rien», ai-je analysé. Ludo a soulevé la question de la pérennité des innovations : «Toute la question, c’est est-ce que l’innovation est pérenne et est-ce qu’elle va permettre à nos structures de survivre sur le long terme?» Une question fondamentale qui invite à dépasser les effets d’annonce. L’innovation doit être au service d’une vision stratégique, et non une fin en soi. Elle doit permettre de créer de la valeur pour les voyageurs, pour les acteurs du tourisme et pour la destination dans son ensemble. 

Avant de conclure notre présentation, nous avons souhaité synthétiser les principaux enseignements à tirer de ces 20 années de etourisme. Voici les points clés que nous avons mis en avant :

Au-delà des tendances et des gadgets, nous avons voulu rappeler quelques fondamentaux pour réussir sa transition numérique :

  • Nécessité de comprendre les usages touristiques : Inutile de déployer des technologies si elles ne répondent pas aux besoins réels des voyageurs. L’observation et l’analyse des comportements sont essentielles pour concevoir des outils et des services pertinents.
  • Ce n’est pas parce que la technologie le permet que ça va fonctionner : La technologie doit être au service d’une stratégie et non l’inverse. Il est important de ne pas se laisser séduire par les nouveautés sans s’interroger sur leur réelle utilité.
  • Une techno fonctionne lorsqu’elle est transparente, sans effort : La meilleure technologie est celle qui se fait oublier. Elle doit être simple, intuitive et s’intégrer naturellement à l’expérience du voyageur.
  • Obtenir de la data c’est une chose, l’exploiter c’en est une autre : La collecte de données est importante, mais elle ne suffit pas. Il faut savoir analyser ces données et en tirer des enseignements pour améliorer l’offre touristique.
  • Générer n’est pas prédire ! : L’IA offre des perspectives prometteuses, mais il est important de ne pas la surévaluer. L’IA doit être utilisée avec discernement et encadrement.

Table ronde : Regards croisés sur 20 ans de etourisme

Pour clore cette rétrospective, Solenne Ojéa-Devys, Marion Oudenot-Piton et Axel Auschitzky ont partagé leurs points de vue sur les défis et opportunités à venir dans le tourisme. Chacun a offert un éclairage unique, basé sur son domaine de spécialisation.

Solenne Ojéa-Devys : L’humain au centre de l’expérience hôtelière

Solenne Ojéa-Devys, directrice générale d’Okko Hôtels, a rappelé que l’innovation doit avant tout servir l’humain, et non le remplacer. «Nous utilisons la technologie pour simplifier, pas pour supprimer l’interaction humaine. Nos clients viennent pour vivre une expérience conviviale, pas pour cliquer sur des écrans» a-t-elle affirmé. Elle a souligné l’importance de miser sur des innovations invisibles, qui rendent le travail du personnel plus fluide sans perturber le contact direct avec le client. Dans cette vision, la technologie devient un support de l’accueil, et non une fin en soi.

Pour Okko Hôtels, cette approche se traduit par une simplification des processus pour le personnel, permettant ainsi aux équipes de consacrer davantage de temps à l’accueil. En mettant l’accent sur un service chaleureux et personnalisé, l’entreprise maintient la satisfaction client élevée tout en intégrant des solutions technologiques pratiques pour gérer les tâches administratives.

Marion Oudenot-Piton : L’innovation adaptée aux besoins réels

Marion Oudenot-Piton, de l’Agence de Développement et d’Innovation de Nouvelle-Aquitaine, a partagé une approche pragmatique de l’innovation. Selon elle, l’innovation doit avant tout être utile aux utilisateurs finaux : « L’innovation doit être pensée pour les usagers. Une technologie sans valeur ajoutée n’aura pas d’impact sur le marché.” Dans cette optique, l’ADI s’attache à accompagner des initiatives qui répondent à des problématiques concrètes, plutôt que de promouvoir des gadgets séduisants mais inutiles.

Elle a notamment évoqué les expérimentations de gestion des flux touristiques dans les zones naturelles des Pyrénées, une initiative qui vise à réduire l’impact environnemental des visiteurs tout en favorisant une cohabitation harmonieuse avec les populations locales et les activités pastorales. Cette stratégie, qui mise sur une compréhension fine des dynamiques locales, montre comment l’innovation peut être un levier pour un tourisme plus durable et responsable.

Axel Auschitzky : L’IA comme outil d’accompagnement et non de substitution

Axel Auschitzky, directeur de Routard.com, a conclu le panel en abordant le potentiel de l’IA pour enrichir l’expérience des voyageurs, sans toutefois se substituer aux interactions humaines. Pour lui, l’IA est un outil puissant pour compléter le travail des équipes, en facilitant la création de contenu et en automatisant certaines tâches répétitives. “L’IA peut nous aider là où nous avons des besoins, mais elle ne remplacera jamais l’expertise humaine et l’authenticité de nos contenus”, a-t-il expliqué.

Il a notamment évoqué l’usage de l’IA pour générer des descriptions de lieux de transit, comme les gares ou les aéroports, que les journalistes ne couvrent pas nécessairement. Ces contenus, souvent techniques, peuvent enrichir l’offre de Routard.com et fournir aux utilisateurs des informations pratiques sans compromettre l’aspect éditorial et authentique du site.

Conclusion : Innover pour un tourisme humain et durable

Cette conférence rétrospective et le panel de clôture ont mis en lumière la nécessité de questionner l’usage des technologies dans le tourisme. Innover oui, mais avec discernement, en gardant toujours à l’esprit l’humain et l’expérience du visiteur. Ludo et moi, ainsi que les intervenants du panel, voua rappellent que le succès d’une technologie réside dans sa capacité à se rendre invisible, à simplifier les processus et à laisser l’humain au cœur de l’expérience.

La vidéo de la conférence et du panel peut être visionnée ici!

Rendez-vous à Québec en janvier 2025 pour le sommet sur l’innovation et la durabilité !

p.s.: est-il besoin de préciser que de nombreux outils de l’IA ont été tentés dans la rédaction de ce billet, avec plus ou moins de succès!

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Expert en tourisme, Paul Arseneault est également professeur au département de marketing de l’ESG UQAM ainsi que co-fondateur et administrateur de l’incubateur MT Lab.
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