Le monde d’après… Une expression en vogue depuis les débuts du confinement. Entre les aspirations des uns et le cynisme des autres, quel est finalement le monde qui se dessine progressivement et qui émergera une fois ce fichu virus vaincu, ce qui ne semble pas être pour tout de suite, le scénario d’une seconde vague européenne faisant partie des futurs possibles. Au-delà des espérances optimistes par trop enthousiastes ou du défaitisme extrême, le futur s’anticipe et notre secteur ne pourra réellement découvrir les conséquences profondes de la situation actuelle qu’à moyen terme au plus tôt. Il est temps de se poser certaines questions sur le rôle de l’industrie touristique et son adaptation nécessaire à un monde qui aura changé… Et sans boule de cristal magique, difficile de savoir dans quel sens. Bref, nous ne pouvons anticiper que ce qui peut l’être raisonnablement.
Le déconfinement, un avant-goût du « monde d’après » ?
Si le scénario de la consommation « hyper-locale » s’est effectivement confirmé, on ne peut malgré tout pas dire que cela se soit fait aussi massivement que certains l’envisageaient. On constate en effet une proportion non-négligeable (j’attends impatiemment les statistiques de fréquentation au terme de la période estivale) d’irréductibles adeptes des destinations de tourisme de masse, bien loin de leur domicile (plus de mille kilomètres voire au-delà pour certains). En témoigne le rush estival de bon nombre d’européens, Français et Belges compris, vers la péninsule ibérique, avec les conséquences que l’on connait déjà aujourd’hui pour la Catalogne. Entretemps, la Bretagne et la Région Paca sont passées elles aussi dans le rouge, un rouge à relativiser bien évidemment puisqu’il coïncide avec une augmentation des tests de dépistages. Quand bien même, l’afflux de touristes dans ces destinations n’est certainement pas étranger à ces courbes à la hausse. Et ne parlons pas de l’incivisme, de l’insouciance dangereuse et de l’égoïsme de certains de nos congénères incapables de comprendre que si des mesures sanitaires existent, c’est pour le bien de tous.
De la communication des destinations
Je me livre ici à une réflexion toute personnelle que j’assume tout en étant conscient que d’aucuns ne seront pas d’accord avec moi, pas totalement en tout cas.
Voilà: je trouve que beaucoup trop de destinations ont utilisé le même champ sémantique et les mêmes arguments pour promouvoir le tourisme en cette saison plus que singulière: ressourcement, « se retrouver », prendre l’air, redécouvrir,…
Si je peux comprendre que le contexte (et le fameux scénario de la consommation hyper-locale) a justifié ce positionnement, on ne peut quand même pas dire que les agences de com qui se sont inscrites dans cette mouvance aient fait preuve d’originalité.
Hors-tourisme, de nombreux consommateurs m’ont confié ne pas être tellement touchés par ce type de message: durant le confinement, pour bon nombre de ceux qui ont été éloignés du travail, le seul moyen d’occuper les journées consistait justement à se ressourcer, à se balader et à découvrir des paysages proches, à retrouver les valeurs essentielles de la vie en famille ou en cercle restreint… Bref, bon nombre d’activités qu’on leur propose aujourd’hui alors qu’ils aspirent justement à autre chose.
Bref, une fois la crise terminée, il sera nécessaire de faire preuve d’innovation dans l’offre, dans la communication et surtout, se différencier; anticipation à déjà réfléchir dès aujourd’hui; je me doute que c’est déjà le branle-bas de combat sur certains territoires pour cela et je m’en réjouis. Pour les autres, il n’est pas trop tard mais il ne faut pas trainer.
Le bilan de l’après-guerre
C’est probablement à un triste bilan socioéconomique qu’il faudra procéder une fois la pandémie terminée ou plutôt efficacement maîtrisée. Ce ne sera plus que vraisemblablement pas le cas avant la fin de l’année 2020, voire même courant 2021, pour autant que le virus ne mute pas.
Un reconfinement généralisé aura-t-il lieu à la rentrée ou même avant. On sait que les milieux économiques ne le souhaitent pas et considèrent que le conséquences d’un second reconfinement global auraient un impact plus que tragique. Néanmoins, les défenseurs de « l’économie avant tout » devront bien se plier aux recommandations des experts de la santé que même nos responsables politiques les plus obstinés craignent d’affronter trop radicalement car l’opinion publique n’a jamais autant été derrière nos chercheurs et professionnels de la santé qu’aujourd’hui. Et c’est heureux.
Mais quel bilan pourrons-nous tirer au terme de cette crise ? Quels sont les socio-pros qui auront pu traverser cette période ? Quelles conséquences pour l’attractivité de nos territoires ? Comment repenser notre offre ?
Aujourd’hui déjà, des restaurants (et pas forcément les moindres !), des attractions, des musées, des hébergements et j’en passe, n’ont pas pu rouvrir. C’est déjà une offre mise à mal qui est, de facto, proposée au consommateur.
Nous sommes aussi déjà dans un monde où des événements majeurs et attractifs sont soit annulés, soit organisés dans une certaines tristesse: Tomorowland, Festival d’Avignon,… Dans un petit pays comme la Belgique, fin mars 2020, c’étaient déjà 10.000 événements qui étaient annulés ! Imaginez ces chiffres rapportés à l’échelle française ! C’est autant d’organisations culturelles, de sociétés événementielles, de prestataires logistiques et d’artistes qui sont en péril.
Plus que jamais, il faudra se serrer les coudes entre professionnels du tourisme et de la culture, au sortir de la crise, pour consolider et réinventer une offre à même de redynamiser nos destinations. Ce futur doit déjà se préparer aujourd’hui et j’ai déjà le plaisir de collaborer avec des destinations en Belgique qui s’inscrivent déjà dans cette démarche à moyen terme: nous ne travaillons pas sur la saison en cours mais pour innover dans l’offre et les services en 2021-2022 et même 2023; et les socio-pros sont enthousiastes: l’enjeu pour eux cette année est de « sauver les meubles », de rentabiliser au maximum la saison, juste pour survivre et maintenir le plus possible l’emploi. Mais ils comptent bien consacrer une bonne partie de leur temps hors-saison touristique pour une réelle révolution copernicienne. Et en parlant d’emploi, le portefeuille des touristes aura lui aussi probablement souffert… Avec les conséquences que cela implique.
Si le « monde d’après » n’est pas totalement ce qu’on attendait de la part des consommateurs, les changements profonds pourraient bien venir des opérateurs touristiques de terrain !
Quel rôle pour les OGD ?
L’une des premières tâches sera de réaliser ce fameux inventaire de l’offre du territoire post-crise: les socio-pros qui s’en seront sortis auront plus besoin d’accompagnement sur le terrain que de campagnes marketing.
Ce sera l’occasion pour les OGD de jouer un rôle majeur dans la mise en réseau des acteurs de terrain et de susciter des collaborations innovantes, de créer des ponts entre acteurs culturels, touristiques et artisans locaux, plus encore qu’aujourd’hui s’entend, pour proposer des expériences territoriales nouvelles qui ne pourront fonctionner qu’avec l’intervention d’un « connecteur » fort et indépendant, un rôle que les OGD sont les plus à même d’assurer.
Bref, il ne faut ni espérer, ni attendre le « monde d’après » mais contribuer à le construire et en définir les contours dès aujourd’hui.