Le vendredi, on reste au lit

Publié le 11 octobre 2024
7 min

Le vendredi est le jour le plus télétravaillé : 24% en Ile-de-France. Cela inaugure-t-il un changement en matière de tourisme ? La question est d’importance alors que dans de nombreuses entreprises, on considère désormais le télétravail inauguré en urgence sanitaire, comme un obstacle au lien social et à l’innovation. Les faits sont là : le concept de la semaine de 4 jours, les contraintes de circulation, l’envie de produire de manière plus confortable, tout cela contribue à détacher progressivement le vendredi de la semaine de travail. Pour autant, une majorité d’actifs n’en est pas encore à rester au lit.

Tout va tres vite mon bon monsieur

L’IA occupe les écrans et les esprits, la fulgurance de ses livraisons nous rend obsolètes en termes de temps de production. L’on se plaint si le wifi ou la fibre ne sont pas assez rapides. L’impatience gagne dans les commerces. Bref tout le monde court après le temps. Les 35 h devaient donner plus de temps, mais on a l’impression que plus on avance, plus on en perd. La crise du Covid a bouleversé la relation au travail et notamment, les déplacements pour se rendre sur le lieu de travail. Le quartier de La Défense est ainsi malmené avec ses immenses surfaces de bureaux qui n’ont plus la même attraction que dans le passé. Face à ces constats et aux difficultés de recrutement dans de nombreux secteurs, le concept de la semaine de 4 jours revient régulièrement sur la table. Il pourrait avoir une incidence touristique.

Une étude réalisée par le Crédoc pour la Fondation The Adecco Group et l’analyse d’une consultation citoyenne menée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) montrent qu’une partie de la population active aspire à une évolution de son rythme de travail. Cependant, des dispositifs comme la semaine en quatre jours ou la flexibilisation des horaires ne font pas l’unanimité : la moitié des actifs y serait favorable, mais l’autre moitié se montre indifférente ou réticente. Les actifs s’interrogent notamment sur la soutenabilité de journées de travail plus longues. Ils évoquent aussi des difficultés liées à l’inclusion de publics subissant des contraintes particulières.

« Les foyers monoparentaux, souvent confrontés à des contraintes organisationnelles plus strictes, peuvent trouver plus difficile de s’adapter à ces nouveaux rythmes de travail. Ils se montrent d’ailleurs légèrement moins enthousiastes que le reste des actifs à l’idée de passer à une semaine en quatre jours. Les personnes en situation de handicap ou atteintes de maladies chroniques montrent également plus de réserves, généralement en raison des effets potentiels sur leur santé et de la fatigue due aux longues journées ».

LA SITUATION DU VENDREDI

Une étude du Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires soulignait qu’en 2019 les Français consacraient 1 h 02 par jour à se déplacer, soit…6 minutes de plus en 2008. Cette augmentation du « budget temps quotidien » s’explique d’abord par un allongement de 2 minutes du temps moyen de déplacements entre 2008 et 2019. Un déplacement moyen dure désormais 20 minutes et cette augmentation s’observe pour tous les modes de transport.

Ainsi, en moyenne :

  • un déplacement en voiture dure 19 min (3 min de plus qu’en 2008) ;
  • un déplacement à pied dure 14 min (1 min de plus qu’en 2008) ;
  • un déplacement à vélo dure 18 min (2 min de plus qu’en 2008) ;
  • un déplacement en transport en commun dure 41 min, soit 3 min de plus qu’en 2008.

En 10 ans, les modes de transport empruntés se sont légèrement modifiés :

  • la voiture est un peu moins utilisée qu’en 2008 mais reste le premier mode de transport, choisie pour 114 millions de déplacements (62,8 %) ;
  • le second mode de transport est la marche à pied dont la part augmente légèrement pour s’établir à 23,7 % des déplacements ;
  • les transports en commun sont empruntés pour  9,1 % des déplacements ;
  • le vélo représente 2,7 % des déplacements, une part stable entre 2008 et 2019.

Le temps de déplacement total d’une personne en Ile de France sur une journée pour l’ensemble de ses motifs de déplacements et tous modes confondus, est de 92 minutes un jour moyen de semaine, de 67 minutes le samedi et de 49 minutes le dimanche. Ce budget-temps est 10 minutes supérieur pour les employés et les ouvriers et 10 minutes inférieur pour les 65 ans et plus. Quant à la durée moyenne d’un déplacement domicile-travail, elle est de 38 minutes, tandis que celle d’un déplacement tous motifs confondus est de 24 minutes.

Beaucoup plus récemment, l’Institut Paris Région a publié son enquête régionale sur la mobilité des Franciliens (2024).

Le sujet intéressant révélé par cette étude porte sur le vendredi. Ce jour-là, il y a trois fois plus de flux entrant ou sortant de l’Île-de-France que le lundi. La pratique du télétravail est très variable selon les jours : de 16 % le lundi à 24 % le vendredi. Chez les cadres, cette variation est amplifiée avec 27 % de télétravailleurs le lundi et 40 % le vendredi. Ce n’est pas rien !

Le samedi représente 84 % des déplacements d’un jour de semaine, le dimanche 55 %. Quelque 24 % des Franciliens ne se déplacent pas le dimanche (26 % pour les hommes, 22 % pour les femmes), contre 11 % le samedi, jour pour lequel il y a 5 % de déplacements pour le motif travail. L’usage de la voiture augmente et celui des TC diminue. Le week-end (samedi ou dimanche), la part modale de la voiture dépasse de huit points celle d’un jour de semaine (de 34 % à 42 %), et inversement celle des TC baisse de huit points (de 26 % à 18 %). Le motif achat est le premier motif le samedi avec 30 % des déplacements, alors qu’ils en représentent 14 % lors d’un jour ouvré et 25 % le dimanche.

Le vendredi, 24% des actifs ont télétravaillé, ce taux montant à 40% pour les cadres et professions intellectuelles supérieures. Si l’on s’intéresse aux flux entrants et sortants d’Ile de France, le samedi est le jour des grandes mobilités. Mais le vendredi compte également pour beaucoup. Et le vendredi, au regard des activités, on note un retrait des déplacements liés au travail.

UNE RESISTANCE A LA VITESSE PROFESSIONNELLE

Le New Yorker, magazine hebdomadaire de qualité de New York, a récemment un consacré un article au slow work, à la résistance à la vitesse dans le monde professionnel. Face aux études nombreuses qui évoquent l’épuisement professionnel, l’auteur de l’article conclut en écrivant « La question que je soulève ici n’est pas de savoir si une semaine de travail plus courte est une mauvaise idée, mais si elle suffira à résoudre le problème limité mais urgent de l’épuisement professionnel croissant des employés de bureau. Je ne pense pas que ce soit le cas. L’autonomie qui définit la vie professionnelle de ceux qui peinent devant un écran d’ordinateur nous a conduits dans le piège d’un volume de travail excessif. Nous ne pouvons pas échapper à ce piège en allongeant le week-end. Nous devons finalement nous préparer à relever le défi plus vaste de ralentir le rythme de la journée de travail elle-même ».

Pour rappel, le nombre d’heures travaillées chaque semaine est proche de 40 en Europe (Source Eurostat). Avec des niveaux légèrement en dessous aux Pays-Bas, en Norvège, en Lituanie, France et Irlande, mais supérieurs en Suisse ou Autriche par exemple. L’accélération technologique, la pression continue sur la productivité, la concurrence mondiale et technologique, tout cela conduit à exercer une pression qui se traduit notamment par un besoin de vitesse, de gain de temps. A ce compte-là, le vendredi en télétravail est un confort pour les salariés (réduction du temps perdu en transport, qualité du travail fourni) et une tentative pour une partie de la société de vivre autrement, voire ailleurs. Naturellement, comme toujours, le statut privilégie : 40% des cadres télétravaillant le vendredi, certains peuvent le faire depuis leur résidence secondaire ou location touristique. En contrepartie des incidences se font jour dans l’univers du tourisme.

Nous observons déjà une augmentation régulière des séjours au printemps et en automne.
La saison est moins marquée que dans le passé. On n’est pas loin d’arriver à trois tiers d’activités comme je peux le constater désormais sur de nombreuses destinations : un tiers d’occupation en automne hiver, un tiers au printemps et un tiers en été. Par ailleurs, certains hôtels voient leur taux d’occupation professionnelle se réduire aux lundis, mardis et mercredis soirs, le jeudi devenant plus incertain.

De plus en plus de campings équipés de locations proposent des formules allant du vendredi au dimancheLes villes patrimoniales voient de l’affluence les vendredis, samedis, dimanchesSi la vague post covid se traduit par un moindre intérêt pour les résidences secondaires, conjugué au durcissement de collectivités territoriales, à la fois sur les taxes appliquées et sur la pression exercée pour réduire les locations meublées, le tourisme des 3 jours de fin de semaine tend à devenir observable sur une période plus longue que dans le passé. S’il réduit la pression sur les conditions de déplacement et sur les transports en commun le vendredi, cela se traduit aussi par une baisse d’activité et de revenus pour les compagnies de transports publics.

Légendes photos :

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Photo Dimitry-dreyer-Unsplash

Plus d’information sur l’Observatoire de la Mobilité : https://www.utpf-mobilites.fr/observatoire-de-la-mobilite

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François Perroy est aujourd’hui cofondateur d'Agitateurs de Destinations Numériques et directeur de l’agence Emotio Tourisme, spécialisée en marketing et en éditorial touristiques. Il a créé et animé de 1999 à 2005 l’agence un Air de Vacances.  Précédemment, il a occupé des fonctions de directeur marketing au sein de l’agence Haute Saison (DDB) et de journaliste en presse professionnelle du tourisme à L’Officiel des Terrains de Camping et pour l'Echo Touristique. Il [...]
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