Profitez, durant ce mois d’août, de rediffusion des billets écrits par les rédactrices et rédacteurs d’Etourisme.info tout au long de l’année.
Ce billet de Vincent Garnier a été publié pour la première fois en septembre 2021.
« Sur les rayons des bibliothèques, je vis un monde surgir de l’horizon » (Jacques London). De l’écrit à l’ailleurs, petit bréviaire d’un lecteur déraisonnable. Premier article d’une revue littéraire à suivre…
Il faut mériter ses voyages, je veux dire par là qu’il faut y avoir longtemps rêvé. Selon Freud, le rêve est l’accomplissement d’un souhait refoulé. Avec surenchère de la part de Joseph Kessel, maître incontesté du roman et du reportage, pour qui : « Rien n’approche en puissance de terreur la puissance des rêves ». Alors le voyage doit-il seulement être considéré comme l’exutoire de nos frustrations (notamment sociales) ou, pour les plus optimistes d’entre nous, l’accomplissement d’une nouvelle sociabilité dont Rachid Amirou, notamment, s’était fait l’écho (« L’imaginaire touristique / CNRS Editions) ?
Par-delà ces interrogations, reste pour nous le plaisir d’une immersion dans l’écrit, d’une rencontre littéraire avec celles et ceux qui ont tracé le chemin, risqué l’inconfort et partagé l’émotion. D’Isabelle Eberhart à Sylvain Tesson, de Pline l’Ancien à Florence Aubenas, inspirons-nous quotidiennement de toutes celles et ceux qui nous ont précédé sur le champ de la découverte et d’un humanisme perpétuellement menacé. C’est donc « serein, contemplatif, ténébreux, bucolique » (merde à la camarde, Brassens est mort il y a déjà quarante ans), que je vous ouvre les portes de mon panthéon littéraire tout au long de ces prochaines semaines.
Aujourd’hui, l’éloge du rien.
« On estime la richesse d’un homme au nombre de choses qu’il peut se permettre de laisser de côté » (Henry David Thoreau).
« Should I stay or should I Go » ? chantait The Clash. Depuis Ulysse et ses homériques aventures, l’homme a toujours pratiqué l’art de la fugue. L’Iliade, l’Odyssée, l’amer de tous les vices de forme ? Car « Hélas ! en quelle terre ais-je échoué » s’interroge souvent le voyageur. Jurant, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus. D’ailleurs, « on croit qu’on fait un voyage, mais c’est lui qui nous fait ou nous défait ». (Nicolas Bouvier).
Survivre à la crise sanitaire
Plusieurs mois de mise en demeure ont rétréci le champ des possibles. Difficile encore à ce jour de continuer à « voyager pour vérifier mes rêves » (Gérard de Nerval). Dans ces conditions, pourquoi ne pas s’imaginer l’explorateur de ces petits riens qui meublent notre quotidien, se faire le chantre de l’épure, de la « simplicité austère », « objectif élevé » auquel s’est voué Henry David Thoreau ?
Alors qu’à l’heure de la Covid-19 il n’est plus désormais question que d’économie, celle que prône Thoreau désigne, anachronique définition, l’art de vivre. Celui cultivé à l’occasion de son exil volontaire, de 1845 à 1847, au bord du lac Walden (Massachusetts). Il s’y impose une « pauvreté volontaire », une ascèse de l’esprit. Réflexion écologiste autant que manuel « d’économie domestique », Walden s’avère être une espèce de récit de voyage en position latérale de sécurité.
Sylvain Tesson aussi, cent cinquante ans plus tard et pour six mois, choisit l’exclusion. Tout au moins au sens donné par Pascal dans ses Pensées : « rejeter une chose comme incompatible avec une autre ». Et cette chose, c’est l’anthropocène qui marque une rupture dans la relation qui unit les hommes à la nature.
Cette fois-ci, l’ermitage a pour cadre le lac Baïkal, Dans les forêts de Sibérie. Là encore, une modeste cabane en guise de refuge. Le choix de la solitude ? Il aspire à « disposer de solitude, d’espace et de silence ». Thoreau, également, l’assume : « Je n’ai jamais trouvé compagnon d’aussi bonne compagnie que la solitude ». Pour mieux se retrouver et s’interroger sur le sens de toute chose ? L’énergie vagabonde, titre du happening de ses textes anciens voire inédits qui vient de paraître dans la collection Bouquins, consiste précisément aux yeux de Tesson « à faire moisson d’idées dans les collines inspirées ». Et « Tant qu’il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu » ajoute-t-il par ailleurs.
Allez, avec de tels compagnons de voyage, vous êtes parés pour le prochain confinement…
Dans la même série : lire les autres articles de cette revue littéraire.