Les femmes dans la communication touristique : stéréotype ou diversité ?

Publié le 31 mars 2025
6 min

Si vous avez participé à l’une des dernières éditions des Rencontres nationales du E-Tourisme à Pau, vous avez sûrement constaté que les femmes ont été au cœur des réflexions : place des femmes dans les organismes touristiques, relation femmes-hommes, respect, inclusion … autant de sujets abordés en conférences et en ateliers. Et ça, c’est une excellente nouvelle !

Aujourd’hui, j’avais envie d’ajouter ma petite pierre à cet édifice, en vous parlant d’un autre angle de la question : l’image des femmes dans la communication touristique. Un sujet qui, jusqu’à présent, me trottait dans ma tête sans trop prendre forme. Mais récemment, une étincelle est apparue dans un lieu assez banal : une gare belge.

En traversant le hall, je suis tombée sur un grand présentoir où trônait fièrement l’édition 2025 du guide touristique de la ville dans laquelle je me trouvais. Evidement, cette brochure s’est vite retrouvée dans mon sac en perspective d’une lecture attentive durant mon trajet. Confortablement installée dans le train (et oui, cela arrive parfois :)), j’ai commencé à feuilleter le guide et les bras m’en sont tombés ! Ce n’est pas le contenu des activités ou la qualité des infos qui m’ont interpellée, mais la manière dont les femmes y étaient représentées : des femme stéréotypées par leur physique, leurs attitudes et mode de consommation. Je me suis alors posé la question : est-ce une exception ou une tendance générale ?

Une femme jeune

Dès lors, à quoi ressemblent les femmes dans l’imagerie touristiques des destinations européennes ? Pour dresser leur portrait, j’ai donc exploré les sites web de plusieurs destinations touristiques européennes, grandes et petites, prises au hasard. J’ai ensuite donné toutes les images à mon assistant Léo (IA) en lui demandant de faire le portrait robot de la touriste européenne. Sa réponse était la suivante « Les femmes sont fréquemment représentées comme jeunes et attirantes, mettant en avant des critères esthétiques conformes aux standards dominants de beauté ». Effectivement, dans la communication touristique la femme est généralement jeune (entre 20 et 35 ans), plutôt grande, mince, avec une peau lisse, un visage symétrique, des cheveux longs et brillants et un maquillage discret mais présent. Elle est souvent blonde, brune ou parfois légèrement rousse. Elle est vraiment jolie, certes. Mais représente-t-elle vraiment la majorité des femmes que vous croisez dans la rue ou au bureau ?

Image générée par IA

Selon les statistiques d’Eurostat et de l’Organisation Mondiale de la santé relatives à la structure démographique de la population européenne, la femme que vous croisez le plus a un âge moyen de 44 ans, une taille moyenne (1m64) et a quelques rondeurs. Statistiquement, on est donc assez loin de cette jeune femme. Peut-être que le modèle « vendeur » est celui qui colle aux codes de beauté traditionnels. Mais dans un contexte où les femmes plus âgées représentent une part croissante de la population et des visiteurs, cette représentation unique devient problématique. De plus, dans la mesure où beaucoup plus de femmes ressemblent à la seconde, seront-elles concernées par une communication touristique si stéréotypée ? Cette question est d’autant plus importante que l’âge moyen de vos visiteurs ne fait qu’augmenter. Selon l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED), la proportion des personnes de plus de 60 ans, qui au début des années 2000 était de 20%, atteindra 35% à 40% en 2050 en Europe. Aujourd’hui, les femmes de plus de 40 ans sont trop invisibles dans l’imagerie touristique. Ou alors, elles apparaissent dans la rubrique « en groupe » avec des produits de visites guidées ou pour illustrer des séjours « seniors ».

Image générée par IA

Une femme mère ou épouse

Dans la communication touristique, la femme voyage ou visite rarement seule. En grande majorité, elle est soit « femme de… » ou « mère de… ». La femme ne semble alors exister que par le prisme de la présence de son conjoint ou de ses enfants comme si elle n’avait pas de légitimité à voyager seule ou à être au centre du récit touristique.

On remarque aussi que cette femme est souvent « attachée » à quelqu’un. Une main tenue, une épaule enserrée, un regard échangé soulignent qu’elles ne sont jamais « seules au monde », mais toujours reliées à « un autre », souvent dans un rôle affectif ou familial. Même dans les pays nordiques plus réputés égalitaires, les femmes sont majoritairement représentées à deux ou en groupe, rarement en solitaire !

Et pourtant, ces représentations sont loin de la réalité sociale. Selon Eurostat, près d’une femme sur quatre vit seule au sein de l’Union Européenne et ce chiffre grimpe à 43,4% chez les femmes de plus de 65 ans.

En continuant d’associer les femmes à des rôles traditionnels, comme celui de mère ou d’épouse, on contribue à réduire leur place dans l’imagerie touristique à des instants « romantiques » ou « familiaux ». On laisse ainsi de côté une part importante de la société et toutes celles qui veulent voyager pour se retrouver, apprendre, explorer. Et cela se confirme également dans les filtres proposés sur les sites touristiques qui vous proposent de choisir des séjours « en famille », « en amoureux » mais rarement « en solo » ou « entre femmes ».

Voici quelques images trouvées dans la communication touristique de destinations européennes permettant d’illustrer le propos.

Une femme peu active

Que font les femmes pendant leur vacances ? En dehors des activités de visites avec leur amoureux ou leur famille, elles apparaissent souvent dans des postures passives, voire contemplatives : elles admirent un paysage, dégustent un plat, s’étendent au bord d’une piscine ou flânent dans une rue commerçante. On les assigne ainsi souvent à des moments de plaisir doux, presque silencieux plutôt que dans des rôles actifs d’exploratrices ou d’aventurières.

Image classique de la femme dans la communication touristique européenne

Quand des activités plus dynamiques sont montrées, elles restent modérées, maitrisées, plus « soft ». On les voit alors faire du vélo, de la marche, du yoga… Trop peu d’images les montrent en train de faire de l’escalade, du VTT, du trail… activités pourtant pratiquées par de nombreuses femmes dans la réalité. Ainsi, les visuels liés à des expériences touristiques plus sportives, plus exigeantes ou techniques sont presque systématiquement associés à des hommes, seuls ou en groupes. Le masculin est valorisé dans l’effort, la performance, l’adrénaline alors que celui de la femme est figé dans le repos, l’élégance ou le plaisir sensoriel.

Image classique dans la communication touristique pour illustrer les activités sportives

Même dans l’univers du bien-être, pourtant largement féminisé, l’homme n’est jamais loin. On le retrouve sur le transat voisin, dans le jacuzzi.. Comme si la détente féminine n’avait de sens que si elle est partagée, observée et non vécue par elle seule.

Toutes ces représentations interrogent. Pourquoi tant d’activités (principalement les activités sportives) sont-elles genrées dans la communication touristique ? Pourquoi la femme autonome, curieuse, sportive ou audacieuse est-elle encore si peu visible ? Et surtout, quels modèles invisibilise-t-on en continuant à diffuser ces représentations figées et normées ?

Et si on regardait vraiment les femmes ?

Dans nos sociétés, on parle beaucoup, et à juste titre, de diversité, d’inclusion ou encore de représentativité. Ces sujets sont indispensables (surtout au regard de ce qui se passe ailleurs). Et pourtant, dans la communication touristique, l’image des femmes reste très codée, restreinte et souvent stéréotypée. Comme si rien n’avait bougé au cours des dernières décennies !

Ce décalage est d’autant plus frappant que le secteur touristique est massivement féminin. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), les femmes représentent 46 % de la population active dans le domaine du tourisme à l’échelle mondiale. En Union européenne, ce pourcentage serait de 56% et en Wallonie, près de 2 postes de direction sur 3 dans les administrations et OGD sont occupés par des femmes. Pourquoi, un tel écart entre la réalité du terrain et le positionnement marketing des destinations?

Et puis franchement, vous imaginez Brad Pitt remplacer Olivier de Carglass ? Pas très crédible non ? Alors pourquoi faudrait-il que le touriste soit toujours une égérie de pub pour un parfum en robe fluide ? Pourquoi persister à vendre le tourisme avec une femme fantasmée, là où ce sont des femmes bien réelles qui le font vivre chaque jour ? N’est-il pas grand temps de renouveler notre imaginaire touristique en montrant des femmes imparfaites, de tous les âges, seules ou pas, sportives ou pas… des femmes vraies !

Image générée par IA

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Consultante en innovation touristique et développement territorial, Laurence Docquir accompagne au quotidien les acteurs publics et privés du tourisme en Belgique francophone et en France dans leurs projets de développement. La qualité des services et l'expérience client sont deux de ses sujets de prédilection. Elle est Directrice associée chez Un Tour d'Avance, bureau spécialisé en innovation et ingénierie touristique.
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