Quelle adresse au monde et à l’avenir ?
Dans quelques heures vont s’ébrouer sur la Seine, entre les Ponts d’Austerlitz et d’Iéna, les embarcations de la cérémonie d’ouverture de Paris 2024. Cette cérémonie « hors stade » doit faire entrer le sport dans la ville que l’on espère redevenir en la circonstance « lumière », décor de tableaux mettant en scène les monuments, les ponts, les façades mais aussi et surtout l’ensemble des délégations nationales (au total, près de 10 500 athlètes). Cette cérémonie, « la plus grande au monde », doit réinventer l’évènement. Comme le firent Jean-Paul Goude sur les Champs Élysées au moment du bicentenaire de la Révolution française le 14 juillet 1989 ou Philippe Decouflé en février 1992 pour les JO d’hiver d’Albertville. Quel sera le message que la France souhaite offrir au monde ? Un message universel, festif, et ouvert ou bien celui d’un pays recroquevillé, frileux et nationaliste ? Les dernières semaines ont laissé comme une impression, surtout de la part de la classe politique, de flou, de bazar, d’indécision. Heureusement, les artistes et les sportifs sont là pour faire vibrer encore un peu l’étendard de notre appartenance collective et de notre capacité à vivre ensemble. De nombreux historiens ont écrit sur le sens de notre attachement à ces communions collectives le plus souvent laïques, qui dans une société en crise et en manque de repères, manifestent au travers de ces évènements un attachement à la République et à un socle commun de valeurs (Olivier Ihl), comme des éléments de « mythologie nationale » ou de l’une des dernières expressions de fierté d’appartenance à une communauté (Pascal Ory).
De cette image découlera sans nul doute notre attractivité globale des prochaines années. Souvenons-nous de Londres et de ses JOP réussis en 2012. La Grande-Bretagne avait parachuté sa Reine durant la cérémonie d’ouverture. Elle était surtout capable de montrer sa modernité, son dynamisme économique, son rayonnement mondial. Londres pouvait de nouveau occuper une place parmi les villes mondes de ce début de 21ème siècle. Destin que connut vingt ans plus tôt Barcelone avec les JO d’été de 1992 : à cette date, à peine plus de 23 000 étrangers y vivaient, ils étaient près de vingt fois plus trente ans plus tard, bénéficiant par sa rénovation urbaine et sa projection planétaire d’une lumière inédite. Les JOP comme cristallisation d’une société et d’une Nation, d’une adresse au monde et à l’avenir ? Un évènement, au-delà des performances, c’est le plaisir de vivre ensemble et de faire société. C’est un enjeu d’attractivité des territoires, attirer des visiteurs et peut-être de futurs habitants, offrir de nouvelles formes d’hospitalité par les territoires, ouvrir sa porte et son territoire et l’affirmation d’une démarche sociétale portée par toutes et tous.
Un message d’une Nation souhaitée solidaire et vivante aux différents impacts
Les impacts des JOP seront assurément multiples. A une dimension tout autre de ce que la France a connu en 2023 à l’occasion de la coupe du monde du rugby ou des évènements, même majeurs, de ce début d’année 2024 comme Roland-Garros et le Tour de France, une suite de grands évènements sportifs récurrents, ou plus modestes, ces milliers de rendez-vous sportifs ou de festivals culturels, aux rayonnements différents. Les impacts de tels évènements sont multiples. Impact médiatique parce que les évènements de toutes taillent rythment nos vies. Cet impact médiatique célébré par Antoine Blondin au sujet du Tour de France. « S’il faut de tout pour faire un monde, il faut du monde pour faire un tour » comme l’écrivit Antoine Blondin… Inutile de compléter la pensée de l’écrivain qui célébrait le vélo. La Cérémonie d’ouverture des JO doit être suivie par plus d’un milliard de téléspectateurs, autrement dit un audimat planétaire en direct inégalable ! Impact patrimonial parce que la question de l’héritage et de la pérennité des infrastructures est aujourd’hui centrale. Elle ne l’était pas lors des premiers grands évènements organisés en France (JO de Paris de 1900) même si la ligne 1 du métro inaugurée pour l’occasion est celle qui accueille encore aujourd’hui le plus de visiteurs dans la capitale (on espère voir les futurs musées et lieux de vie parisiens à proximité des gares du futur Grand Paris Express). Impact financier avec la mesure des retombées sur un territoire : celle de la Coupe du Monde de rugby 2023 ont été estimées à plus de 750 millions € (51% pour la billetterie, 36% pour les hospitalités et 13% environ pour le marketing), 1 € investi par la collectivité pour le passage du Tour de France génère entre 1,50 à 2€ de retombées directes (sans parler des retombées presse : Tour de France à Brest : plus de 290 retombées par semaine, soit l’équivalent de 165 K€ bruts). Impact sociétal et environnemental : l’empreinte carbone de la Coupe du monde du Qatar est estimée proche de 1.000 tonnes de CO2 ramenée à une minute de jeu, soit plus que l’émission moyenne d’un Français pour sa vie entière. Celle de la Coupe du Monde de Rugby 2023 est estimée à 640 000 tonnes de CO2 (soit l’équivalent des émissions annuelles de 64 000 Français). Aller vers la sobriété, le réemploi mais aussi le renforcent du sentiment d’appartenance à la communauté locale. Impact sportif avec l’exemple de ce label « Terre de Jeux 2024 » créé pour donner un visage humain aux prochains Jeux olympiques et paralympiques, pour fédérer une communauté d’acteurs locaux convaincus que le sport change les vies. « Mettre plus de sport dans le quotidien des Français », « plus de sport pour l’éducation, la santé, l’inclusion » et faire émerger « les champions de demain ».
Car c’est cette France qui va offrir un visage au monde. Une France au-delà des nécessaires mesures de sécurité et des barrières qui encerclent le centre de Paris et génèrent le mécontentement de restaurateurs ou d’hôteliers qui pensaient faire chauffer les cartes bleues et exploser leurs chiffres d’affaires (on se souvient avec ironie des discours triomphants d’il y a un an quand les hôteliers parisiens annonçaient des tarifs et des taux d’occupation records pour la période estivale 2024…). Une France au-delà des tarifs prohibitifs (Airbnb peut s’afficher comme sponsor principal des JOP, le nombre de logements loués en région parisienne sur la plateforme américaine est passé en un peu plus d’un an de 58.000 à plus de 134.000) des logements comme des tickets de transport à l’unité (qui laissent penser encore que les visiteurs sont considérés dans notre pays comme de gentilles « vaches à lait » soumises et fidèles). Une France au-delà de discours politiques à géométrie variable à destination du monde et de leur conception démocratique parfois contestable (le dernier avatar est la prise de position de députés LFI contre la présence d’une délégation israélienne). Je crois que le message de la Nation est symbolisé par le long parcours du Relais de la Flamme Olympique, qui depuis son arrivée au Port de Marseille le 8 mai 2024 dernier à Marseille, a traversé en deux mois et demi 64 territoires. Des départements, des villes, des sites culturels, naturels ou sportifs à forte signification. Une véritable épopée pour raconter un pays, sa mobilisation, un pays qui entretient sa flamme pour ses grands sites historiques (des grottes de Lascaux au site d’Alésia), pour ses chefs d’œuvres architecturaux (du Mont Saint-Michel aux châteaux de la Loire), pour ses lieux de mémoire (le Mémorial de Verdun ou les plages du Débarquement). Un message sous la figure tutélaire des grands figures de notre Histoire (de Jeanne d’Arc à Orléans à Charles de Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises).
Mais aussi et surtout un message tourné vers l’avenir, un message qui met en valeur celles et ceux qui s’attachent à entreprendre, à faire preuve d’audace, à sublimer les savoir-faire français (du Viaduc de Millau, prouesse du génie civil, au centre spatial de Kourou, symbole de l’excellence aérospatiale française et européenne), un message sur la place de langue française, langue olympique officielle, dans le monde et le culture d’aujourd’hui et de demain, un message sur les énergies collectives propres au sport et au milieu associatif. Et enfin un message sur notre lien au vivant, au patrimoine naturel, des mer et océans traversés, des paysages naturels les plus majestueux aux parcs, aux forêts et aux lacs qui ont façonné la France et son identité particulière. C’est le sens, enfin, de cette Cérémonie d’ouverture promise grandiose, une cérémonie sur l’eau, une cérémonie sur ce fleuve, la Seine, qui incarne tant la France, autrefois rurale puis industrialisée à tout va depuis près de deux siècles, cette Seine que l’on a souhaité dépolluer pour rendre à l’eau son usage originel. Le symbole est fort et puissant, c’est aussi une façon de raconter la France de demain, plus soucieuse de sa nature et si j’ose dire de sa « nature profonde »…
Vive le capital environnemental et culturel des campagnes !
Dans une société qui manque singulièrement de repères, je crois que notre lien à la nature demeure un phare et un objectif à la fois social, économique et culturel. C’est la raison pour laquelle ce Tour de France olympique et cette Cérémonie d’ouverture me semblent riches d’enseignements. Non seulement parce que nombre de Parisiens s’apprêtent à quitter la capitale pour aller « se ressourcer à la campagne » pendant la période des Jeux, mais surtout parce que les territoires ruraux assurent désormais des fonctions indispensables à l’équilibre républicain (toutes les analyses des résultats des dernières élections européennes et législatives montrent pourtant combien leurs habitants se sentent encore éloignés, raillés et méprisés). Ces fonctions sont au moins au nombre de quatre : une fonction résidentielle (avec la péri-urbanisation, le rare retour de jeunes diplômés et la part souvent élevée des résidences secondaires), une fonction de production (avec bien entendu l’agriculture et ses crises successives, l’essor d’activités tertiaires et d’un temps de travail très partialité, et parfois une vocation industrielle souvent séculaire), une fonction évidemment environnementale ou « de nature » (les acteurs des territoires ruraux sont devenus dépositaires et gestionnaires de biens publics universels que constituent l’eau et les espaces naturels, agricoles et forestiers) et enfin une fonction récréative (avec un tourisme en pleine évolution qui doit réinventer son rapport aux espaces naturels). De ces fonctions diverses, c’est un peu le récit de nos mutations sociétales dont il s’agit, de l’apparition de différentes France rurales qui racontent notre rapport à l’espace, au vivant mais aussi à nos campagnes (on peut parler de campagnes périurbaines, de campagnes dynamiques et de campagnes fragiles).
On l’a compris depuis longtemps, le rapport urbanité – ruralité est l’un des grands enjeux de notre temps. Alphonse Allais écrivit il déjà longtemps la célèbre formule selon laquelle « les villes devraient être construites à la campagne, l’air y est tellement plus pur ». Ce n’est plus le sens de l’histoire. Je crois que l’un de nos messages les plus contemporains devrait être l’urgence de trouver une organisation qui favorise la complémentarité entre territoires ruraux et espaces urbains, liée à la fois aux évolutions sociologiques et culturelles, aux questions d’aménagement et de gestion du territoire, à la gestion et la préservation des espaces naturels et agricoles, mais aussi aux liens à redéfinir entre territoires ruraux et urbains. Certains pensent qu’il faut faire venir un peu de campagne dans les villes. De nombreux travaux sont produits sur les projets de territoire et sur la valorisation du capital environnemental et culturel des campagnes, sans doute le principal levier d’attractivité et d’action pour le développement de ces territoires et principal lien avec le monde urbain en pleine restructuration. C’est le sens de nombreuses actions en cours. Je pense notamment au travail sur le « tourisme agriculturel » mené par le Slow Tourisme Lab, incubateur de l’innovation touristique authentique et durable au service de l’attractivité rurale, porté par Aube en Champagne Tourisme. Cela fera l’objet d’une prochaine chronique.