Les OGD ont abandonné leurs communautés 

Publié le 29 mai 2024
7 min

Souvenez-vous, c’était il n’y a pas si longtemps que ça. Je parle d’une époque où on regardait la réussite sur les réseaux sociaux dans la capacité à afficher des gros chiffres. Nous avons passé le cap des 100k followers. Champagne ! Cette course à la plus grosse communauté était ridicule mais dans le fond elle avait un avantage, celui de considérer la notion de communauté. Du moins sur le papier. Si le nombre de fans est à présent moins central dans les stratégies digitales, le regard s’est tourné sur leur capacité à générer un maximum d’audience. Un changement d’approche qui questionne. A quoi donc servent les réseaux sociaux ? Est-on vraiment sûrs qu’ils sont utiles aux territoires ? 

Ces questionnements ont été abordés ici-même par Guillaume il y a quelques semaines. Son billet relate le cheminement de pensée de Jack Conte (fondateur de Patreon). Il aborde les sujets des « true fans » et de la place laissée à la créativité sur les réseaux sociaux. Guillaume conclut son article par une série de questions : 

  • Quelle responsabilité pour un OGD face à la perte de créativité dans sa destination à cause des nouveaux algorithmes ? Comment y remédier ?
  • Comment positionner désormais la stratégie webmarketing / SMO – social media optimisation d’un OGD en intégrant cette question de « responsabilité » ?
  • Comment une destination parle-t-elle à ses « true fans » ? Les connait-elle vraiment ?
  • Comment investir au mieux dans les true fans ? Quels contenus exclusifs pourrait-on les apporter ?
  • Ne serait-il pas pertinent de soutenir et d’accompagner les créateurs locaux de contenus, véritables ambassadeurs du territoire et de la destination ?
  • Réfléchit-on vraiment à la notion de fidélisation des visiteurs pour une destination ?
  • Y a-t-il de la place pour une destination pour investir ces nouvelles plateformes d’échange et de soutien avec les « true fans » ?

Vous avez 4 heures. Bon, essayons déjà de prendre 5 minutes.

Image réalisée avec de l'IA représentant une communauté abandonnée sur les réseaux sociaux, avec des profils vides, des publications négligées et une ambiance générale de désolation
Illustration réalisée avec Dall-e

De la course aux followers à la conquête de l’audience 

Les réseaux sociaux sont nés d’une belle idée, créer de la transversalité dans les échanges en réponse à des médias classiques au fonctionnement descendant. Les marques, les personnalités, les territoires ont développé leurs communautés sur ces plateformes. On s’appuyait alors sur les ambassadeurs pour parler et faire parler du territoire. Les stratégies d’animations étaient concentrées sur le coeur de communauté. 

Puis, vint le sujet de la conquête. S’adresser uniquement à ceux qui connaissent, aiment ou vivent sur le territoire est trop limitant. Après tout on fait de la promo, nous. Allons chercher le chaland, on a un taux d’occupation a assurer. Plus question de communauté, on se parle ici de ciblage publicitaire. Et quitte à mettre quelques euros au pot, autant que ça amène du trafic sur mon site web. Pourquoi ? Bonne question. Si ça n’impacte pas ma fréquentation touristique, ça boostera au moins celle de mon site. 

Covid, nouveau paradigme. 

Mes sites phares, fiertés locales, sont trop visibles sur les réseaux sociaux et causent du « surtourisme ». Aborder le sujet sur les réseaux sociaux, c’est tendre le bâton à la presse, aux aficionados du spot et habitants locaux exaspérés. Pas grave, on a des pépites. Sauf que ces dernières, plus confidentielles n’ont pas le même potentiel de conquête. Et qu’entre temps, on a oublié de parler avec notre coeur de communauté, nos « true fans »,  pour concentrer les discours à destination d’une audience de visiteurs potentiels. Retour à la case départ ? 

Cette lecture ne serait pas complète sans un parallèle avec l’évolution de ces outils de communication. Comme l’explique parfaitement Jack Conte, l’apparition du bouton « Subscribe » a impulsé cette notion de communautés en ligne. Mais tout ça a bien changé avec l’évolution des algorithmes qui font la pluie et le beau temps des contenus

Tout d’abord, la question de la visibilité. Alors que 10 000 followers devraient donner un potentiel de 10 000 personnes atteintes, les algo voient la chose d’un oeil bien différent. Le reach se repartit à présent entre fans et non-fans, et on observe un basculement vers une visibilité ultra réduite auprès des abonnés. Sans même parler de visibilité organique ou payée, c’est le fonctionnement même des réseaux sociaux qui a évolué. Tout est à présent misé sur le contenu. Selon le sujet abordé, l’algorithme diffusera du contenu auprès des personnes susceptibles d’être intéressées, qu’elles suivent ou non notre page. Une nouvelle façon d’animer ses réseaux qui n’invite pas à concentrer les efforts sur les communautés mais plutôt sur les contenus. 

Le second point qui questionne c’est la nécessité de plaire à l’algorithme, qui impose un format très spécifique aux publications. Un cadre qui dérange, qui bride nécessairement la créativité, ou du moins les démarches artistiques. Car c’est dans la contrainte que nait la créativité. D’un point de vue d’agence, cette contrainte algorithmique nous questionne mais elle nous anime aussi et favorise les idées. Par contre, lorsque Instagram décide que les reels (format vidéo) deviennent les contenus les plus plébiscités sur un réseau créé pour la photo, les photographes se sentent pris au piège. 

Médias sociaux ≠ communauté 

Ces dernières années, le panorama des réseaux sociaux s’est stabilisé. Les audiences sont concentrées sur META pour le grand public et Linkedin pour le B2B. Tiktok bouleverse cette hégémonie, et apporte de l’innovation dans les usages. S’il n’a pas inventé le social SEO, TikTok l’a rendu ultra-tendance. Une nouvelle donne qui ajoute de la complexité aux stratégies de contenus. En plus de plaire aux algorithmes, il faut à présent penser aux requêtes des utilisateurs. J’y vois pour ma part une bonne occasion d’apporter de la valeur. J’y reviendrai un peu plus loin. Mais là-encore, on ne parle plus vraiment de communautés mais bien d’optimisation des contenus.

On assiste a une sorte de scission entre médias sociaux et plateformes communautaires. Facebook, Linkedin ou TikTok par exemple concentrent une masse d’utilisateurs qui publient un volume important de contenus, dont certains sont rendus très visibles par la magie des algorithmes. Ce qui compte ici avant tout, c’est le message. 

Aujourd’hui les communautés se trouvent ailleurs, dans des espaces plus fermés, plus confidentiels. Le dark social (qui n’a rien à voir avec le dark web) concentre un volume important d’échanges comme l’a d’ailleurs confirmé il y a quelques temps Adam Mosseri, le patron d’Instagram. Les communautés sont donc passées d’échanges « one-to-many » à « one-to-few », notamment via les discussions de groupes. Point d’algorithme ici, les canaux sont directs. On retrouve cette tendance sur Instagram, WhatsApp, mais aussi Discord ou Slack par exemple. 

Les micro-communautés se multiplient sur diverses plateformes. L’évolution actuelle de Substack, par exemple, est particulièrement intéressante. Cet outil, qui combine les fonctionnalités de newsletters, de blogs et d’interactions sociales, redonne de l’autonomie aux créateurs de contenus et favorise les liens avec les communautés. Il ne s’agit plus d’atteindre le plus grand nombre de personnes possible, mais plutôt de résonner en « tribu » partageant une même « culture commune spécifique ».  

C’est donc un travail de fond qu’il faut entreprendre, bien au-delà du seul sujet des réseaux sociaux. Mais est-on prêts à s’impliquer réellement dans une stratégie communautaire qui demande du temps et de la durabilité. Les opportunités dans le tourisme sont nombreuses, comme par exemple pour entretenir une bonne relation entre visiteurs et visités, ou pour inviter nos communautés à vivre et découvrir les territoires de façon plus responsable. 

Ce qui me fait douter de la capacité des OGD à s’impliquer sur ce sujet, c’est le manque de considération que j’observe sur le sujet de la modération et des échanges avec les gens sur les réseaux sociaux depuis trop longtemps. Cela demande un temps considérable et ce dernier est rarement valorisé. Alors, les équipes opérationnelles se lassent et les communautés se délitent. Mécaniquement, les performances de visibilité baissent et on tente alors de rattraper tout ça avec des budgets pub. Plutôt que de participer au financement des GAFAM, pourquoi ne pas investir dans l’humain ?    

Apporter de la valeur sur les réseaux sociaux est souhaitable et possible. Même dans un contexte contraint par le temps disponible des équipes, les moyens financiers et des algorithmes trop souvent volatiles. A condition de considérer ces outils et leurs utilisateurs. Au même titre que l’on considère les visiteurs d’un territoire.  

Apporter de la valeur sur les réseaux sociaux nécessite aussi de jongler au quotidien avec des paradoxes, entre tendances éphémères et souhait d’inscrire son action dans la durabilité. Et finalement, tout cela est compatible. Alors oui, les stratégies social media doivent s’adapter aux algorithmes mais elles doivent surtout comprendre l’évolution des usages et les intégrer au mieux pour répondre à un macro-objectif : être utile. 

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Sébastien est cofondateur du projet KAIRN , société a mission qui fait le lien entre numérique responsable et tourisme responsable. Il est aussi directeur de my destination, agence de communication numérique et engagée. Leur crédo : placer les réseaux sociaux au service des stratégies touristiques.
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