Les robots font partie de l’imaginaire des hommes depuis toujours. Ils ont bercé notre enfance, peuplé les romans, les contes, les fictions, les films d’animation. Depuis la référence majeure de Metropolis, produit par Fritz Lang en 1927, les robots se sont multipliés dans les œuvres de science-fiction, particulièrement dans les années 1960 et depuis les années 2000. Ils présentent parfois un visage rassurant, comme C3-PO et R2-D2 dans la Guerre des Etoiles, parfois un danger monstrueux, comme Terminator. Plus récemment, certaines œuvres ont montré une plus grande complexité sur la place qu’ils pourraient prendre dans notre société, comme la série télévisée Real Humans, où les robots occupent toute une série de fonctions à la place des humains, du domicile au bureau en passant par les commerces.
Mais alors que nous nous étions habitués à ce que ces machines douées d’intelligence restent cantonnées à des rêves futuristes bien éloignés de notre quotidien, voici qu’une série d’initiatives très concrètes se multiplient de par le monde depuis quelques années. A tel point qu’on peut estimer aujourd’hui que les humanoïdes vont bel et bien arriver parmi nous d’ici 5 à 10 ans, et que le tourisme va être un des tout premiers secteurs impactés !
Pour faire le point sur cette perspective proche et en même temps complexe, le Welcome City Lab accueillera le 27 novembre 2014 une conférence inédite sur l’avenir des robots dans le tourisme, organisée par Patrick Vicériat et Sophie Lacour, de l’Association Francophone des Experts et Scientifiques du Tourisme (AFEST), avec de nombreux spécialistes, dans le cadre de la Semaine Européenne de la Robotique.
A lire également un article très intéressant, avec un angle sociologique poussé, du prochain numéro de la revue professionnelle Touriscopie.
Voici en avant-première quelques pistes de réflexion.
Rappelons tout d’abord quelques définitions.
Par robot, on entend un dispositif mécatronique (alliant mécanique, électronique et informatique) accomplissant automatiquement des tâches dangereuses, pénibles, répétitives, ou bien des tâches simples mais avec une efficacité plus grande qu’un humain. Les domaines dans lesquels on les retrouve sont les industries militaires, automobiles et aéronautiques. Plus récemment, les robots sont apparus dans l’univers domestique, avec notamment le succès des robots aspirateurs : plus de 10 millions ont été vendus dans le monde par la marque I-robots ! Ils se multiplient également dans l’univers de la logistique, avec la généralisation des drones, capables de transporter et de livrer toutes sortes de colis.
Mais là où la prochaine révolution va se produire, c’est avec l’arrivée de robots humanoïdes, dotés d’intelligence artificielle, capables de se déplacer en toute autonomie, de parler et d’interagir avec les humains et surtout de prendre des décisions autonomes et d’apprendre à se perfectionner.
Faisons le point sur quelques exemples récents en matière de robotique appliquée à l’univers du tourisme et des loisirs. La plupart d’entre eux viennent d’Extrême-Orient. Si on connaît depuis longtemps la fascination des Japonais pour les robots, ils sont rattrapés depuis peu par la Chine, devenue en 2013 le premier pays asiatique consommateur de robots, et même la Corée du Sud où les initiatives se multiplient.
Depuis deux ans une des attractions majeures de la Tour de Tokyo est Tawabo, un robot quadrilingue, mobile, chargé de l’accueil et du guidage des visiteurs. Le musée national des sciences émergentes et de l’innovation de la ville accueille depuis quelques temps un nouveau genre de guide conférencier, à l’occasion de l’exposition « Android : What is human ? » : Kodomoroid, et Otonaroid, deux androïdes au réalisme saisissant qui peuvent interagir de façon très poussée avec le public.
Crédits : Aldebaran Robotics
Plus récemment, un restaurant de Shanghai s’est illustré en remplaçant les cuisiniers et les serveurs par quatre petits androïdes sur rails qui amènent et débarrassent les plats, pour le plus grand bonheur des familles avec enfants qui fréquentent massivement l’établissement. Le site web Alibaba a été le premier à commercialiser depuis un chient robot qui se révèle un compagnon de jeu très doué et arrive à reproduire bon nombre d’attitudes de nos compagnons domestiques. A Shenzhen, s’est ouvert l’an dernier le Pengheng Space Capsules hôtel, où le personnel est remplacé par des robots à toutes les fonctions : accueil, réception, bagagerie, ménage, service de repas, etc. En Corée du Sud, un parc à thème « Robot Land » devrait ouvrir ses portes en 2015, comprenant des attractions grand public et une partie dédiée à la recherche dans la robotique. L’investissement, d’un montant de 181 millions $, est entièrement financé par la ville de Masan.
Crédits : Europe 1
Bien évidemment, les Etats-Unis sont une des autres terres d’élection des robots. Boston, siège de Rethink Robotics, est la ville de naissance du célèbre robot Baxter, qui peut plier une chemise, préparer le café, résoudre un Rubik’s cube et collaborer avec les humains. Il appartient à la famille des robots collaboratifs, le « cobots ». A l’aéroport d’Indianapolis, un robot, mobile sur roulettes et vêtu d’une chemise bleue comme les autres membres du personnel, accueille les passagers dans la zone de livraison des bagages, les oriente et répond à leurs questions. La Sillicon Valley accueille, quant à elle, le robot Botlr qui assure le room service dans un hôtel de la chaîne Starwood. Et comment ne pas parler de la Google Car, projet de voiture autonome sans conducteur, qui en est à un stade avancé d’expérimentation dans le Nevada, la Californie et le Michigan, et dont la généralisation n’attend plus que l’adaptation de la réglementation routière des autres états américains.
L’Europe s’ouvre également à l’ère des robots. L’aéroport de Düsseldorf a mis en place un service voiturier automatisé dénommé Ray, qui permet aux passagers pressés de ne pas perdre de temps à chercher une place disponible au parking. Il s’agit d’un chariot élévateur robotisé, qui gare le véhicule, puis va le rechercher au moment où l’avion de retour atterrit à l’aéroport, de façon à ce que le passager le retrouve prêt à son arrivée. Le service est facturé 29€. La France peut s’enorgueillir de compter l’un des leaders mondiaux de la robotique humanoïde : Aldebaran. Son produit phare, le célèbre Nao, est un compagnon domestique qui peut vous assister dans vos tâches ménagères, garder la maison en votre absence, saisir vos émotions et interagir aisément avec tous les membres de la famille. Son autre robot connu est Pepper, qui a pour fonction d’accueillir et de divertir les clients de la banque japonaise Softbank Mobile. Il est capable de mémoriser toutes les informations sur les discussions avec les clients déjà rencontrés, qu’il peut reconnaître spontanément et appeler par leurs prénoms.
D’après certains médecins, et notamment le sexologue Yves Ferroul, qui a publié une tribune intitulée « Sexe connecté et humanoïdes : la fin de la prostitution » dans le Nouvel Obs en janvier 2014, une autre application sera l’apparition de robots dédiés aux plaisirs sexuels des humains. Il prédit la disparition progressive de la prostitution, plus vulnérable aux maladies sexuellement transmissibles et moralement condamnable. Un article des sexologues Ian Yeoman et Michelle Mars, publié en 2012 dans la revue Future, avance que les quartiers chauds d’Amsterdam et de Shanghai seront peuplés d’ici 10 ans d’humanoïdes aux mensurations parfaites, capables de reproduire toute la palette des pratiques sexuelles des humains. Leur analyse s’appuie notamment sur le déséquilibre croissant entre le nombre d’hommes et de femmes dans certains pays. Ainsi, en 2020 la Chine comptera 24 millions d’hommes de plus que de femmes en âge de se marier.
Crédits : PHTKC
L’enjeu de la filière robotique est désormais au menu de toutes les politiques des pays industrialisés. Il y a un an et demi, à l’occasion du salon Innorobo de Lyon, le plan « France Robots Initiative » a été annoncé par le gouvernement. L’objectif annoncé est de placer la France parmi les 5 nations leaders du monde d’ici 2020, avec néanmoins des moyens modestes. Ils consistent en un fonds de capital-risque, Robolution, doté d’un montant de 60 millions €, abondé par la Caisse des Dépôts et Consignations. Par ailleurs, l’Etat va mobiliser la commande publique par des appels à projets dotés d’un budget de 10 millions €, et sélectionner 250 entreprises qui pourront prétendre à une aide à la robotisation de leur production, dénommée Robot Start PME et dotée d’un budget de 33 millions €. Des Etats Généraux de la robotique sont maintenant organisés chaque année et précédés dans chaque région de travaux préparatoires intitulés « cahiers de l’innovation ». Cinq domaines prioritaires ont été définis : transport et logistique, défense et sécurité, environnement, machines intelligentes, assistance à la personne.
Nul doute qu’après Internet et ses applications mobiles, la prochaine révolution industrielle sera celle de la robotique de services. La Commission Européenne a évalué l’enjeu à plus de 100 milliards € d’ici 2020, avec un marché multiplié par 30 en moins de 10 ans. Elle prédit l’explosion de la robotique de services, et en particulier de la cobotique, la robotique collaborative. A la clef sont prévus des centaines de milliers d’emplois nouveaux, dont plusieurs dizaines de milliers en France. De nouveaux métiers apparaîtront, notamment celui de roboticiens de maintenance, de programmation, etc. L’enjeu concerne non seulement la compétitivité des entreprises, mais également le maintien, voire la relocalisation de l’emploi, si notre continent parvient à prendre une avancée technologique dans ce domaine.
Evidemment, l’inverse se vérifiera aussi probablement : combien d’emplois seront-ils détruits par l’arrivée des humanoïdes dans les services ? La question se posera avec de plus en plus d’acuité. Car évidemment, une fois que baisseront leurs coûts d’achats, les robots seront de plus en plus attractifs pour les employeurs : pas de week-ends ni de congés pour vacances ou maladies, pas de revendications syndicales, une plus grande productivité, etc. Cette nouvelle mutation technologique nécessitera beaucoup d’anticipation et des efforts d’adaptation de nos entreprises, mais aussi de notre système éducatif et de formation professionnelle.
Une autre question se posera avec force : quelle sera le comportement des clients face à la généralisation des robots ? Quel sera l’attitude dominante : la curiosité, l’attrait de la nouveauté, ou bien la méfiance, voire le rejet ? Y aura-t-il de fortes disparités entre les plus jeunes, qui seront bientôt nés avec les humanoïdes, et les plus anciens, dont l’enfance fut bercée par des tas d’histoires de robots menaçant l’humanité ? Encore peu d’études ont abordé ce sujet. Le roboticien japonais Masahiro Mori a publié en 1970 une théorie intitulée « la vallée dérangeante ». Il prédit que les hommes se sentiront plus à l’aise devant un robot clairement artificiel que face à un humanoïde imitant l’être humain à la quasi perfection, susceptible de déclencher chez eux un certain malaise.
En conclusion, à quoi pouvons-nous nous attendre dans le tourisme ? Quels seront les métiers les plus directement impactés par cette mutation ? Comme on l’a vu dans les exemples précédemment, il s’agira des services de maintenance, sécurité, gardiennage, logistique, transports, bagagerie, ménage, mais également des services à plus forte valeur ajoutée comme l’accueil, la réception, le guidage, l’animation, l’accompagnement de clients, l’assistance (notamment de personnes handicapées). Les entreprises les plus concernées seront les aéroports, gares, restaurants, hôtels, sites, musées, monuments, boutiques, parcs de loisirs, centres sportifs, spas, salles de spectacles, discothèques, palais des congrès, parcs des expositions.
Face à toutes ces perspectives, à quand un plan spécifique « robotique et tourisme » à l’initiative du Ministère du Tourisme ou d’Atout France ? Et à quand le blog rtourisme, à l’ère du « robot tourism », après le blog etourisme ? 🙂
Pour sa part, le Welcome City Lab, dont la vocation est d’accompagner, de stimuler et d’anticiper l’innovation dans le tourisme, se positionne d’ores et déjà comme un acteur de cette mutation. Comme toute innovation, la robotique touristique se fera avec nous… ou sans nous. Pour notre part, nous faisons le premier choix, dans l’objectif que Paris et la France puissent appréhender cette révolution avec confiance en prenant un temps d’avance.