Il y a quelques semaines, plusieurs patrons de destination touristiques m’ont parlé de l’augmentation du nombre de visiteurs sur leur site Internet. Ainsi, sur 2022, le Golfe du Morbihan approche les 2,5 millions de visiteurs, en hausse de 57%. Idem pour la Touraine, où le nombre de pages vues explose (+ 176% en un an) ou encore Colmar qui, avec 1,5 millions de visites en 2022 annonce une augmentation de +190% par rapport à 2021 !
D’où ma réflexion : peut-être bien qu’à force, les sites Internet institutionnels sont devenus incontournables sur la toile ? Mais immédiatemment, une deuxième question est apparue : est-ce qu’un nombre important de visiteurs est forcément un signe de performance?
Bref, il m’a semblé intéressant de lancer une réflexion sur ce sujet, et comme la rédaction de ce blog est riche de spécialistes en pilotage numérique de destination, j’ai interrogé trois d’entre eux : Mathieu Bruc est directeur marketing digital Clermont Auvergne Tourisme et gère donc tout l’écosystème digital de la destination. Sébastien Gonzalez est business développeur, consultant et expert des parcours clients à l’agence Raccourci. Il participe donc à la construction de sites pour les destinations. Et enfin Cédric Chabry est fondateur et co-dirigeant de ThinkMyWeb, une agence qui aide les destinations à révéler le réel potentiel de performance de leur écosystème numérique.
Des sites web définitivement installés ?
Première question posé donc à nos trois experts : est-ce que ces chiffres veulent dire que les sites web de destination sont définitivement installés ?
La particularité du site de destination, c’est qu’il est maitrisé à 100% par l’Organisme de Gestion de la Destination (OGD). C’est l’avis Mathieu, depuis ses monts d’Auvergne, qui y voit tout l’avantage par rapport aux réseaux sociaux : » Le site web de destination reste sans doute l’élément le plus indispensable dans notre stratégie de marketing digital.
C’est le seul outil que l’on maîtrise complémentement alors que sur les réseaux sociaux par exemple, nous sommes simples locataires d’une plate-forme publicitaire avec un engagement de plus en plus réduit des publications organiques (sans publicité). Sur Facebook, Instagram, Tiktok et autres, nous payons donc bien un loyer pour occuper un espace que nous ne maîtrisons pas. Et sans maîtrise, la puissance n’est rien 🙂«
Même son de cloche chez Sébastien : « parce que c’est un outil totalement maîtrisé par la destination, de la page d’accueil aux pages les plus profondes, l’OT a à sa disposition tout un arsenal de fonctionnalités et d’éléments graphiques pour séduire l’internaute, pour l’informer, pour lui faciliter la réservation, pour le fidéliser, etc.«
Pour Cédric, si le site web de la destination est aujourd’hui incontournable, ce n’est pas forcément lui qui va attirer les visiteurs. Il est surtout un outil d’accompagnement au séjour : « Je n’irai en revanche pas jusqu’à dire qu’ils ont une place déterminante qui conditionnerait les intentions de séjour ! Rares sont les cas où le site web permet en lui-même à des destinations d’émerger, de créer l’envie.
Le site web est un maillon (fort) de la chaine, son ambition principale devrait être d’exploiter tout l’intérêt, le potentiel touristique, de la destination. J’ai eu la chance d’accompagner de belles et grandes destinations qui ont émergé ou progressé sur le plan touristique à l’échelle de 5, 10 ou 15 ans… mais il faut être sincère : quelle que soit les qualités et la performance de leur site, ce n’est pas directement lui qui était à l’origine de cette progression.
L’intérêt pour une destination est plutôt stimulé par la médiatisation, par la prescription, et toujours par une proposition (offre) touristique distinctive. Le rôle du site est de raconter ça, de le mettre en scène de la meilleure manière, pour convaincre et accompagner les cibles qui considèrent la destination suite à une exposition externe (reportage, bouche à oreille…). »
Malgré tout, pour le fondateur de Think my web » il ne s’agit pas de sous-estimer l’impact des sites de destination, parce que quand on a une audience de qualité (= ciblée et en phase avec la stratégie) qui se chiffre à plusieurs millions de visiteurs, on a clairement un impact«
Google aime les institutionnels !
Autre réflexion pour expliquer le nombre croissant de visites sur les sites web de destination, c’est que le référencement naturel est bon. « Tous les sites web n’ont pas le même rôle : certains viennent inspirer sur ce qu’on peut voir / faire sur une destination, d’autres apportent des éléments d’information, de réassurance, pour conforter ou nourrir un projet pressenti » ,explique Cédric. « Mais tous ont aux yeux de Google une certaine « autorité » en tant que sites officiels des destinations qui leur permet de bénéficier d’un positionnement naturel assez favorable dès lors qu’on fait le job de stratégie de contenus sérieusement. »
Il est vrai que plusieurs centaines de milliers d’internautes cherchent chaque mois les termes « office de tourisme, du tourisme, etc. » Et ils sont encore quelques milliers à taper « syndicat d’initiative » dans leur barre d’outil Google. Comme quoi les vieilles marques ont la peau dure !
Nombre de visiteurs = performance ?
Le débat me fait penser à celui du nombre de personnes qui rentrent dans l’Office de Tourisme : vaut-il mieux 10 touristes qui viennent chercher un plan de ville ou un seul qui aura bénéficié d’un conseil en séjour complet?
Car souvent, on ne lit que les premières lignes du rapport du responsable digital : le nombre de visites sur le site. Est-il en hausse par rapport à l’an passé? Et c’est ce chiffre qui ressort dans le rapport d’activité, avec parfois le nombre de sessions, le nombre de pages vues et le taux de rebond. Mais finalement qu’est-il venu faire durant sa visite?
Sur ces notions de performance, nos trois experts sont d’accord : tout dépend de la stratégie mise en place par l’OGD. Comme le précise Sébastien, « ce qui est primordial c’est de ne jamais oublier sa stratégie : le site vient servir la stratégie de la destination, c’est un outil. » Cédric est encore plus direct et affirmatif dans son analyse. Pour lui, il faut vraiment lier stratégie et performance :
« Dans le monde d’avant, les seuls indicateurs de performance web des destinations étaient principalement quantitatifs et se limitaient au nombre de visiteurs uniques (en option le taux de rebond et la durée de visite, considérés à tort comme des indicateurs « quali »). Ça n’a pas le moindre sens ! J’ai fait de cette question un combat personnel depuis 10 ans, un combat qui guide toutes mes réflexions et structure le modèle ThinkMyWeb : prendre de la hauteur et remettre du (bon) sens dans le pilotage de la performance !
Avant tout, un site performant, c’est un site qui répond à une stratégie ! Quelle est la raison d’être du site de la destination ? Pas d’un site de destination au sens large mais du site en particulier ? Développer la notoriété de la destination ? Nourrir son image ? Séduire / donner envie de projeter un séjour ? Favoriser les retombées économiques ? Diffuser de l’audience auprès des partenaires ? Générer des ventes de visites et activités ? Capter des leads pour des séjours personnalisés ? … La liste est bien plus longue et subtile que ça et il n’y a pas de réponse type si on veut sérieusement se poser la question de la vraie performance, celle qui fait sens et qui vient servir la stratégie touristique, le projet de destination.«
Et d’enfoncer le clou (ça, c’est à faire lire à votre directeur, au moment où vous préparez le rapport d’activité 2022) : « La performance est donc un concept très variable qui n’a de sens que si elle est directement corrélée à la stratégie, au projet de destination / de territoire qui sous-tend la raison d’être d’un site de destination. Si tu en es encore à suivre les visiteurs uniques et le taux de rebond, c’est soit que tu n’as pas de réelle stratégie touristique (c’est somme toute assez rare), soit que ta stratégie web ne s’est pas mise au service de ta stratégie touristique (bien plus fréquent), soit que tu ne pilotes pas avec les bons indicateurs (95% des situations) par manque de temps et/ou de compétences 🙂 » Perso j’adore l’analyse !
Respecter le parcours client
Une fois que les objectifs pour le site sont bien définis, il suffit de penser visiteur, comme le dit Sébastien : « il faut toujours penser au visiteur et imaginer les meilleurs parcours clients à travers le site, pour répondre aux questions que les voyageurs se posent, pour pousser de la réservation, pour inciter à télécharger une brochure, pour faciliter l’inscription à la newsletter, pour favoriser la prise de contact avec un partenaire, etc«
Cédric propose une démarche qui part de la stratégie et qui va jusqu’à l’amélioration continue » : « Une fois qu’on est clair sur les objectifs, alors on peut imaginer une conception pertinente, en plaçant le parcours client au coeur des réflexions. On commence par définir la stratégie de contenus, puis l’UX/UI, quelques lignes de code et le tour est joué ! Bon, en vrai, c’est un peu (énormément) plus complexe que ça, mais retenons ici que l’essentiel, c’est bien le cheminement cohérent de bout en bout : stratégie tourisme > stratégie web > stratégie de contenus > conception UX > développement > amélioration continue.«
Illustration de cette amélioration continue, en adéquation avec le parcours client, avec Mathieu qui raconte la dernière réalisation de Clermont Auvergne : « Tous les ans, depuis 5 ans, nous investissons environ 1/4 du budget initial de création pour faire évoluer notre site Web et être en phase avec les besoins. Le dernier exemple est la mise en ligne d’un agenda des événements (au jour le jour) qui répond à un triple objectif : plus simple pour les visiteurs, plus pratique pour les conseillers en séjour, plus de visibilité pour les organisateurs. Nous avons associé à ce développement la possibilité de s’inscrire à l’agenda du week-end pour recevoir une sélection d’événements tous les jeudis par email et c’est un carton auprès des habitants avec des taux d’ouverture à plus de 60%. »
Comment faire mieux, donc? comment, en plus d’afficher des chiffres de fréquentation importants, une destination peut améliorer des performances en lien avec sa stratégie? Ce sera le sujet de mon prochain billet, car le contenu riche fourni par nos trois experts du blog ne rentrait pas dans celui-ci.
En attendant, je serais intéressé pour avoir vos témoignages sur les indicateurs de performance que vous utilisez pour votre écosystème numérique? Car si on parle stratégie d’amélioration, on parle obligatoirement indicateurs…