Développer la culture de l’innovation : en parler ou le faire ?
Innovation et éducation ne sont pas forcément synonymes. Il ne convient pas d’invoquer la première, telle un mantra, pour qu’elle s’impose d’elle-même à la deuxième, souvent corsetée par la vie académique. On ne peut pas non plus résumer la confrontation des deux à une simple – et simpliste – comparaison qui opposerait la légèreté, l’anticipation, l’adaptation à la raideur, l’intransigeance, l’ankylose. J’ai tenté d’expliquer dans mes articles précédents la passion française pour le mot « innovation », une passion parfois excessive à la fois dans son usage même et dans son application réelle. L’innovation, l’innovation, l’innovation ! Certains discours innovants peuvent lasser, tant sur la forme que sur le fond. Tout est devenu innovant dans notre beau pays, même si on peut en douter parfois. Comme si les temps précédents le nôtre ne l’avaient jamais été. Il suffit d’aller visiter le Musée des Arts et Métiers (recommandation très forte adressée aux lecteurs avisés de ce billet) pour admirer des innovations incroyables d’audace, de génie, de rupture. La Pascaline ou la machine à calculer de Blaise Pascal, le laboratoire de Lavoisier, le Fardier de Cugnot ou l’aéroplane de Clément Ader appellent quand on les admire à une certaine forme de modestie contemporaine. C’est la raison pour laquelle je milite depuis longtemps pour le développement d’une véritable culture de l’innovation, d’une acculturation numérique et digitale dans l’ensemble des programmes de formation au tourisme. L’usage de nouveaux supports en fait partie (MOOC et autres SPOC) mais cette technologie facilitante ne doit pas constituer la finalité d’un programme éducatif, mais être au contraire un moyen pour diffuser et percoler le langage innovant. Le panorama des premières tentatives françaises, sous de multiples formes et formats, est connu. Il suffit de relire certains articles du blog. Je vous propose de découvrir aujourd’hui six exemples venus à la fois de l’ancien et du nouveau mondes…
3 exemples en Europe (Suisse, Danemark et Autriche)
L’Ecole hôtelière de Lausanne a créé en janvier 2016 la chaire d’innovation avec le soutien du groupe METRO[1]. Cette Chaire fait partie du département d’Entrepreneuriat et d’Innovation de l’EHL. Elle a pour mission le développement de la recherche et de l’éducation dans le domaine de la digitalisation afin de contribuer au développement durable de l’industrie de la restauration. Trois problématiques d’études sont identifiées : l’offre digitale dans l’industrie de la restauration et les futures tendances ; le comportement des restaurateurs vis-à-vis de cette offre digitale ; le comportement des clients finals vis-à-vis de cette offre digitale. Les premiers travaux disponibles comparent la maturité digitale des restaurants européens et japonais (« Restaurateurs indépendants et technologie : quel futur ? L’utilisation de la technologie et les freins à son adoption dans les restaurants indépendants européens et japonais ») et présentent la création de l’AMI (Automated Meaning Interpreter) Market Intelligence Software.
Le « Centre for Tourism, Innovation and Culture (TIC) » de l’Université danoise SDU (University of Southern Denmark[2]) s’est spécialisé dans l’enseignement de l’innovation. Son travail avec le « Danish Centre for Rural Research » est relativement exemplaire. L’innovation y est traitée sous différents aspects aux niveaux bachelor et master ainsi qu’un soutien actif à l’entrepreneuriat.
L’Université de Salzburg, en Autriche, propose un master « Innovation & Management in Tourism », axé notamment sur le design d’expérience. On y forme aux processus de développement des produits, à l’innovation des services et des expériences, aux grandes tendances des innovations touristiques, à l’entreprenariat. Ce sont des sujets même s’ils sont centraux, encore trop rarement traités, pour ne pas etre évoqués ici.[3]
3 exemples hors d’Europe (USA, Hong-Kong, Malaisie)
La Wharton School, à Philadelphie en Pennsylvanie, propose un programme de formation continue (executive education) dont le thème « Travel & Tourism Innovation Program – Becoming the Driver of Transformation in the Travel and Tourism Industry » a retenu mon attention ! Une école qui a formé, entre autres, Warren Buffet et Donald Trump (c’est dire la qualité de l’école) et qui s’intéresse à l’innovation dans le tourisme… Le programme propose au leaders du secteur une vision stratégique du management centrée sur l’innovation, appréhendée comme créatrice de nouveaux business models, de nouveaux marchés et de nouvelles valeurs à long terme. Les enseignements sont fondés sur des analyses des tendances des innovations dans le secteur du voyage et du tourisme, Internal vs. External Innovation, le financement de l’innovation, des études de cas (Amadeus) et des visites (Silicon Valley) etc. La dernière session de cinq jours de formation a eu lieu du 26 au 30 novembre 2017 sur le Campus JSF Travel & Tourism School à San Francisco. Avis aux intéressé(e)s : le tarif était de 14,900 €…[4]
Si la déception se fait ressentir dans votre esprit, dès ce matin, soyez rassuré(e) : vous pouvez vous rattraper grâce à la prochaine session de MOOC proposée par la Hong Kong Polytechnic University qui débutera le 12 janvier 2018[5]. Son thème vous intéressera forcément : « Hospitality and Tourism Technology and Innovation » et son prix ne vous inquiétera pas vraiment ($150 USD). Le programme de six semaines abordera les thèmes suivants : An Introduction to IT and Hospitality & Tourism industry (semaine 1); Information technology adoption and dynamic impact on hospitality & tourism organizations (semaine 2); Value creation through IT and innovation (semaine 3); Innovation strategy through mobile technology and social media in hospitality & tourism industry (semaine 4); Business analytics for data-based decision making in hospitality and tourism organizations (semaine 5); Technology development and the future of hospitality and tourism organizations (semaine 6).
Enfin, pour celles et ceux d’entre vous qui pensez que l’innovation doit etre vécue là où elle s’écrit au quotidien y compris dans la forme des villes ou les révolutions des modes de vie, notez que le Centre for Research and Innovation in Tourism (CRiT) de la Taylor’s University[6], en Malaisie, aspire à devenir à l’horizon 2020 le centre de référence de l’innovation touristique en Asie, à la fois par le développement de programmes de recherche mais aussi par des enseignements centrés sur le développement du capital humain des entreprises innovantes.
Quelque chose comme une nouvelle école française du tourisme…
Difficile de faire un tour du monde de l’innovation et de l’éducation au tourisme en 80 lignes… Il est certain que les programmes de formation intègrent différemment cette notion disruptive et essentielle. Les lieux, les programmes, les tarifs, sont en eux-mêmes innovants car disparates, dissemblables. Mais je suis intimement convaincu que de ces quelques exemples esquissés, les programmes français vont devoir s’inspirer, en alliant proximité industrielle et académique, vision stratégique et nécessité économique, réalité technologique et logique de destination. C’est le début d’une nouvelle révolution, me semble-t-il, à la fois en matière de contenus et de contenants pédagogiques. Quelque chose comme une nouvelle école française du tourisme !
[1] http://www.ehl.edu/fr/la-recherche/chaire-d-innovation-metro
[3] https://www.fh-salzburg.ac.at/en/disciplines/business-and-social-sciences/master-innovation-management-in-tourism/degree-programme/
[4] https://www.wharton.upenn.edu
[5] https://www.edx.org/course/hospitality-tourism-technology-hkpolyux-htm540x-0