Quand l’intelligence artificielle donne le vertige

Publié le 22 décembre 2017
4 min

Il y a une dizaine de jours s’est produit un évènement peu médiatisé : la victoire aux échecs de l’intelligence artificielle « brute » sur le logiciel le plus puissant.
Bon, dit comme ça, cela peut paraître assez anodin, surtout si on ne s’intéresse pas aux échecs. Mais en essayant de comprendre la portée de cette nouvelle, apparaissent les perspectives incroyables proposées par le développement des IA. 

L’incroyable victoire de David contre Goliath

Mais revenons aux faits. Google a développé Alphazero, un ordinateur pas exceptionnel (80 000 coups à la seconde quand même) doté d’une IA « brute », c’est-à-dire sans aucun apprentissage préalable (d’où son petit nom Alphazero), et donc non « influencée » par la pensée humaine. Les ingénieurs lui ont simplement indiqué les règles des échecs, et l’ont laissé « travailler », « se former », « s’amuser » pendant 9h tout seul dans son coin en jouant juste 44 millions de parties contre lui-même…
Ensuite, Alphazero a défié un super ordinateur presque mille fois plus puissant (70 000 000 de coups à la seconde !) faisant tourner Stockfish, considéré comme le meilleur logiciel d’échecs du monde et utilisé par les plus grands joueurs pour leur préparation. Et que croyez-vous qu’il arrivât ? Alphazero a battu Stockfish à plates coutures sur une série de 100 parties : 28 victoires, 72 nulles et 0 défaites !

Les spécialistes unanimes s’extasient devant une révolution. Alphazero a joué des coups inédits et déroutants (même pour des champions) relevant de nouvelles stratégies à long terme et difficilement imaginables par l’humain. Partant de rien, une IA dotée d’une puissance de calcul infiniment moindre a créé des stratégies, changé même la manière d’appréhender les échecs.

Le Grand Maître International Peter Heine Nielsen est même allé plus loin : « Je me suis toujours demandé ce qui se passerait si une espèce supérieure arrivait sur terre et apprenait les échecs. Après avoir lu le rapport, mais surtout vu les parties, j’ai l’impression de le savoir.« 

L’ordinateur plus « humain » que l’humain ?

Avec mille fois moins de puissance de calcul, l’IA joue et innove, là où le logiciel propose le meilleur coup dans le cadre de stratégies programmées par l’humain.

Il y a 18 mois, la victoire de l’ordinateur sur le champion du monde du jeu de Go avait bien davantage défrayé la chronique, sans doute parce qu’un des protagonistes était « vraiment » humain. L’humain avait été vaincu par une machine programmée par lui mais plus puissante et véloce pour analyser des combinaisons innombrables.
J’avais alors imaginé quelques impacts potentiels sur l’accueil touristique dans cet article « L’expérience touristique est-elle plus complexe que le Go ? ».

De nombreux commentateurs voient paradoxalement dans la manière de jouer de Alphazero quelque chose de l’ordre de l’intuition à l’instar de certains champions du monde géniaux comme Mikhaïl Tal ou Bobby Fischer. 

Aujourd’hui la machine nous bat sans même utiliser ou apprendre de notre expertise,  de notre « enseignement »… Et Alphazero démontre également que sans a priori ni conditionnement, la machine peut explorer de nouvelles contingences , développer une créativité, une intuition pour construire des stratégies inconnues jusqu’alors. 

Cela me rappelle également cette expérience toute simple pour démontrer le conditionnement mental qui influence notre analyse : demander à des personnes de se mettre debout et de toucher leurs pieds. À part quelques anarcho-libertaires et autres gymnastes pré-pubères 😉 , tout le monde se penche et grimace en tentant désespérément de se plier en deux pour atteindre ses orteils sans plier les jambes… Mais qui a demandé de ne pas plier les jambes ? En fait la demande est très facilement réalisable pour qui analyse « librement »… Bref tout notre bagage d’éducation, de culture, de codes sociaux semble nous pénaliser et nous inhiber lorsqu’il s’agit d’imaginer des solutions.

Alors peut-être que Alphazero est en ce sens plus « humain » que nous par cette puissance créative qui nous semblait si symbolique de notre humanité… Vaste sujet philosophique dont les grands esprits se sont déjà emparés, le plus souvent en nous alertant comme l’immense Stephen Hawking contre un danger vital.

« La vie est une partie d’échecs » – Cervantès ou encore « La vie est comme un jeu d’échecs » – Arthur Schopenhauer

De nombreux auteurs et penseurs ont décrit au travers des siècles cette analogie entre la vie réelle et les échecs. Et du coup, ces ordinateurs à réseaux de neurones conçus sur le principe de « l’apprentissage autodidacte par renforcement » (Deep Learning) vont sans doute révolutionner d’autres domaines tels que la médecine, la pharmacie, l’industrie et bien d’autres, simplement pas la capacité d’explorer des pistes de réflexions que nous n’imaginons pas.

Et si le tourisme était un jeu ? Nul doute qu’un « OfficedetourismeZero » pourrait révolutionner notre approche des services d’accueil en s’affranchissant de tous les « on a toujours fait comme ça », « ce n’est pas ce que les touristes veulent », « on ne peut pas faire autrement », « mes élus ne voudront jamais », etc., vous compléterez j’en suis sûr ! 😉

Et si les processeurs à réseaux de neurones devenaient la norme pour nos smartphones ? Le terme français de Téléphone intelligent, cher aux Québécois, prendrait alors tout son sens… 

Et enfin pour finir je ne résiste pas à vous proposer de déguster cette question essentielle posée par Steve Polyak, un grand neurologue américain d’origine croate : « Avant de travailler sur l’intelligence artificielle, pourquoi ne rien faire au sujet de la stupidité naturelle ? ». Autre vaste sujet… 

De la part de toute l’équipe de rédaction je vous souhaite de joyeuses fêtes à tous ! À l’année prochaine…

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Paul FABING est consultant joyeusement intermittent depuis 2022 ! Architecte de formation, ancien consultant tourisme, chef du service Tourisme de la Région Alsace, directeur de RésOT-Alsace (Réseau des offices de tourisme), directeur du pôle Qualité de l'accueil à l'Agence d'Attractivité de l'Alsace (AAA), et enfin directeur de la Mission Attractivité chez Alsace Destination Tourisme. Promis, il s’efforcera de ne pas rédiger en Alsacien, et apportera sans doute un petit vent d’est [...]
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