Une rencontre avec la fondatrice et rédactrice en chef du magazine indépendant GRAIN et c’est la façon d’entrevoir les magazines des destinations touristiques qui a été titillée.
S’IMMERGER
Pauline Blanchard a créé Grain, une publication papier semestrielle, pour « une ode au vivant, à la lecture immersive sur papier et à celles et ceux qui se lèvent pour des lendemains désirables« . Lassée du mode de fonctionnement du magazine de déco pour lequel elle a travaillé en tant rédactrice en chef, elle décide de créer ses propres règles du jeu. Elle donne donc naissance à Grain, un bel objet, un de ceux qu’on a plaisir à toucher et qu’on a envie de conserver précieusement. On y découvre un contenu traité avec beaucoup d’attention par des contributeurs qui photographient, content et questionnent les sujets avec beauté et profondeur.
DES SUJETS INCARNES
Il y a l’essai, le portrait, le décryptage, la conversation,… autant de formats qui permettent au lecteur de plonger au cœur du sujet avec à chaque fois un angle différent. L’utilisation du JE invite à ressentir l’engagement de celui qui écrit. Les contributeurs sont choisis de façon à créer une véritable alchimie entre celui qui illustre et celui qui écrit. On ne sait plus si c’est la photo qui illustre les mots ou les mots qui illustrent la photo.
UN OBJET DESIRABLE
Ce magazine a été conçu comme un livre pour être conservé et collectionné. Il a un côté intemporel avec des sujets qui n’ont pas de date de péremption. C’est un objet qu’on a envie de s’offrir et d’offrir. C’est un magazine qu’on prend le temps de lire. Il est produit en quantité limitée et il n’est pas prévu d’en imprimer beaucoup plus même en cas de rupture de stock. Les lieux de diffusion sont choisis en fonction de valeurs partagées et avec la ferme intention de ne pas en mettre partout.
UNE LIBERTE DE TON
Pouvoir écrire librement sur des sujets engagés est un des fondements du magazine. Les articles sont portés par la conviction que le beau est un levier puissant pour mettre plus de conscience sur son mode de vie (plus que le côté moralisateur). Le modèle économique basé sur la vente du magazine a été choisi pour ne pas être dépendant du financement de la publicité et permettre ainsi une liberté de ton. Le dernier volume s’ouvre doucement à quelques partenariats triés sur le volet et placés astucieusement pour ne pas gêner la lecture. Cette absence de publicité offre au lecteur une lecture plus fluide.
QUESTIONNER
La fondatrice du magazine a pu écrire librement ses propres règles du jeu, ce qui est parfois plus difficile pour les destinations touristiques qui sont au cœur d’un éco-système plus complexe. Mais malgré tout, les convictions mises en œuvre ici peuvent apporter des sources de questionnement et d’inspiration pour les magazines de destination sur plusieurs sujets :
LA DURABILITE
Sortir du principe de brochures à usage unique en imaginant des contenus pérennes que le lecteur serait heureux de découvrir années après années. Cela nécessiterait de repenser le type de contenus et d’identifier l’information non pérenne afin de la flécher vers d’autres outils (numériques et papier).
LA QUANTITE
Sortir de l’approche quantitative liée au nombre de brochures diffusées en proposant une diffusion raisonnée dans des lieux ambassadeurs engagés. Cela imposerait de se détacher du nombre de brochures imprimées comme indicateurs de performance et de faire le pari du moins mais mieux.
LA FLUIDITE
Sortir d’une lecture hachée par le mélange de contenus et de publicités pour offrir une lecture fluide et douce. Cela imposerait de questionner la place des publicités et des partenariats à la fois dans le format qui leur est accordé et dans le mode de financement.
LES IMPERFECTIONS
Sortir du lisse et du attendu pour avoir l’audace de nos imperfections, à l’image du dernier thème du magazine Grain “. Cela nécessiterait de regarder avec sincérité quelle autre face cachée de nos territoires, loin des stéréotypes, aurions-nous envie de montrer.
LES CONTRIBUTIONS
Sortir des formats de reportage classique pour aller vers des formats plus longs, des formats poétiques, des formats illustrés ou d’ouvrir l’écriture à des contributeurs moins habituels. Pauline donnait l’exemple de faire écrire un agriculteur pour ressentir véritablement sa vision. Cela nécessiterait de penser chaque sujet à travers le format qui lui serait le plus bénéfique.
REPENSER
Parce que chaque territoire possède ses propres spécificités et parce que chaque équipe a son propre fonctionnement, il ne semble pas pertinent de copier le modèle de Grain tel quel mais plutôt de s’appuyer dessus pour questionner ses propres outils.
VOTRE VISION
Alors cela donnerait quoi chez vous, un magazine, qui serait suffisamment bon pour vous, qui êtes en charge de sa création et de sa diffusion ? Un magazine qui serait suffisamment bon pour le voyageur en lui offrant un bel objet qui le touche ? Un magazine suffisamment bon pour les partenaires qui auraient une grande fierté à le mettre en scène dans leurs accueils ? Un magazine suffisamment bon pour le territoire parce qu’il inciterait chacun à avoir envie de le préserver ?
VOS SUJETS
Quels sont les sujets que vous aimeriez questionner ? Est-ce qu’il s’agit d’incarner véritablement les valeurs de votre territoire dans les moindres recoins de votre magazine qui vous interpelle ? Est-ce que vous aimeriez repenser la durabilité de celui-ci ? Est-ce que vous aimeriez au contraire imaginer des contenus engagés et qui s’ouvrent tendrement à vos imperfections ? Est-ce que c’est le mode de financement que vous avez envie de challenger ? Est-ce que c’est sa diffusion et la façon de le mettre en scène que vous voulez revoir ? Est-ce que c’est un peu tout cela en même temps ou rien du tout, parce que le rien est important aussi 🙂 ?
VOTRE APPROCHE
De quoi avez-vous besoin pour mettre en place cette réflexion ? De continuer à vous inspirer en allant découvrir d’autres magazines avec des thématiques plus proches de celles de votre destination ? De poser le cadre pour savoir ce que vous voulez vraiment faire ? D’engager la réflexion en organisant des temps de brainstorming collectif pour générer un maximum d’idées ? De commencer à faire du tri dans vos outils existants en identifiant ceux qui sont importants et en abandonnant ceux qui le sont moins ? Par quoi avez-vous envie de commencer ?
VOS ALLIES
En fonction de l’approche identifiée, de qui avez-vous besoin pour mener à bien cette réflexion ? Quelles seront les personnes qui permettront à votre réflexion d’être la plus constructive et la plus riche possible ? Est-ce d’ouvrir ces questionnements à tous les services de votre structure, aux partenaires volontaires et motivés, aux membres de votre Conseil d’Administration ou juste de le faire en petit comité ? Identifier les bonnes personnes pour chaque étape n’est pas toujours facile car on a parfois des réticences à intégrer telle ou telle personne à nos projets. Mais mettre les bonnes personnes au bon moment dans la réflexion peut permettre d’ouvrir de nouvelles perspectives.
pour finir
Alors oui, changer ce qui existe demande toujours un peu d’audace, une dose de conviction et un soupçon de patience. Cela nécessite souvent de réajuster une partie de nos modes de fonctionnement et ce n’est pas toujours confortable. Il revient à chacun d’engager ce qui est le plus juste pour lui. Mais cela en vaut la peine non ?
Et pour être totalement complète : Les photos utilisées dans cet article sont issues de la newsletter Solstice, qui est le prolongement du magazine GRAIN et la rencontre avec Pauline Blanchard s’est effectuée dans le cadre de la programmation du Curiosity Club.