Article paru initialement le 25 juin 2012. Attention, c’est un cyberentretien(*)
Cyber-entretien(*) avec Andrejko Dezan, animateur touristique à Maribor, Slovénie
Bonjour. Vous êtes la première ville slovène à avoir totalement supprimé la notion d’office de tourisme en Slovénie. Pouvez-vous nous expliquer comment ceci est arrivé ?
Tout a commencé par une démarche d’une extraordinaire banalité ! Comme tous les trois ans nous réalisions une étude sur les différents aspects de notre action touristique. En gros, beaucoup de chiffres pour légitimer les actions passées et légitimer le budgets et actions à venir. Or cette année là, les choses ne sont sont pas déroulées comme prévu; notre élu de référence a posé la «question qui tue» lors de la présentation publique des résultats; «combien de touristes visitant notre ville ne passent pas par l’office de tourisme ?» Et le résultat en étonna plus d’un. Il était de 98 % ! Comme nous étions en période de «vigilance» budgétaire l’élu proposa de faire une démarche créative pour mieux utiliser nos moyens et mieux servir les 98% de touristes que nous ne croisions pas.
Quelle fut votre première action ?
Nous avons entamé une démarche créative avec de nombreux groupes de travail rassemblant permanents, acteurs touristiques, institutionnels, associations et touristes. Le postulat était le suivant : nous avons décidé de supprimer les locaux de l’office de tourisme. Comment faire pour mieux servir les touristes ? C’était une logique de rupture créative, une façon de se poser enfin les bonnes questions au lieu de reconduire des pratiques ancestrales et dépassées. La production fut à la hauteur du caractère provocateur du sujet. Nous avons ainsi élaboré une stratégie d’action pour lancer la première ville sans office de Slovénie. Un an après la fameuse «question qui tue» , l’office ferma définitivement ses locaux destinés au public.
Et comment faites-vous maintenant ?
Nous avons fait une segmentation de nos visiteurs en deux grands groupes; les mobinautes et les «zéronautes» . Les premiers sont numériquement alphabétisés et alertes. Les seconds sont loin de tout cela et sont très attachés au relationnel et au papier. Même si les zéronautes régressent en pourcentage ils sont encore nombreux et méritent toute notre attention. Commençons donc par les actions pour les zéronautes. Nous avons créé des «relais touristiques» avec de nombreux commerçants. En priorité, bien sûr, avec les bars, hôtels et restaurants qui sont des lieux de rencontre et de convivialité. Mais aussi avec des boulangeries, des stations service et beaucoup d’autres types de commerces très fréquentés par nos visiteurs. Ces lieux ont été matérialisés de façon très voyante. Dans la signalétique installée sur les vitrines et sur le trottoir, les langues pratiquées sont mises en avant car peu de nos visiteurs parlent le slovène ! Ils offrent en leur sein un «corner» documentaire et le commerçant et son personnel sont à la disposition des visiteurs pour les renseigner. C’est pour le commerçant une forme de service gratuit qui attire et qui génère à l’usage de nombreux nouveaux clients. Les bars organisent également des Happy Hours pour touristes où se joignent nos associations et nos greeters. En fin de journée nos visiteurs savent qu’ils peuvent entrer dans les établissements et y trouver de nombreuses animations et une assistance attentive et amicale. Nous avons maintenant plus de 300 relais touristiques, et petit à petit la grande majorité des acteurs finit par rejoindre le mouvement car ils comprennent qu’ils ont tout à y gagner. Nous avons mis en place une très forte communication pour expliquer la démarche et inciter les visiteurs à l’utiliser. Il est intéressant de bien faire, mais il faut aussi le faire savoir !
Et pour les mobinautes vous avez lancé quelles actions ?
D’abord un maillage wifi de la ville qui est constitué par tous nos «relais touristiques». Un mobinaute en vacances n’a pas accès à son réseau 3G, si ce n’est à prix d’or, donc nous lui offrons un réseau de hotspots wifi dont chaque commerçant partenaire est un maillon. Au «corner documentaire» évoqué plus tôt est associé un QR-Book. C’est un livre d’initiatives touristiques qui permet au visiteur, grâce aux nombreux QR codes qu’il contient, d’atteindre, grâce à son téléphone, de nombreuses ressources numériques et de les télécharger pour l’accompagner dans ses découvertes. L’un de ces QR codes lui permet même d’entrer en visiophonie avec l’un de nos permanents pour obtenir des informations ou des conseils. Mais notre plus grande innovation a été de jalonner tout notre espace urbain de «iTotems» pour permettre aux mobinautes d’accéder depuis la rue à de nombreuses ressources en ligne
Vous pouvez nous en dire un peu plus sur ce point ?
les iTotems sont des objets au design singulier et repérable de loin qui sont disposés dans tous les lieux à forte fréquentation touristique. Ils sont d’abord une borne wifi, pour permettre la navigation web quand on est à proximité de l’un d’entre eux. Ils présentent ensuite une série de QR codes contextuels qui permettent d’accéder à des ressources en ligne depuis son téléphone. Cela peut aller d’un clip video de présentation du quartier ou du monument le plus proche, un diaporama sur la rue au travers des âges, un texte bref pour aider à la visite, l’accès à la fan page facebook du quartier, le flux twitter des animations en cours à proximité, ou la mise en avant d’offres commerciales dans un périmètre proche. Ils sont une façon de stimuler la curiosité et d’éviter de passer à côté des choses intéressantes. C’est comme si la ville devenait un site web dont chaque iTotem serait une page et les QR codes seraient les liens à cliquer. Comme dans les «corners» un des QR codes permet d’entrer en visio-relation directe avec un conseiller touristique. Ce service ayant reçu un accueil très enthousiaste nous avons même crée une équipe de visio-greeters bénévoles pour nous aider dans les périodes de pointe.
Quels sont les résultats de ces actions à ce jour ?
Sur le plan des touristes, nos études démontrent un fort taux de satisfaction lié au sentiment de pouvoir être assisté et stimulé à tout moment. Pour les commerçants c’est un afflux de nouveaux visiteurs et une occasion de rompre la glace qui a très vite donné de bons résultats commerciaux. Quand on se sent accueilli on est peut-être un peu plus «dépensier». Et surtout personne n’imaginerait aujourd’hui de revenir en arrière alors que lors du lancement les oppositions étaient très nombreuses car beaucoup pensaient que la disparition de l’office affaiblirait le tourisme dans la ville.
Et que font les personnes qui étaient à l’office de tourisme ?
Apres une période d’adaptation qui fut difficile pour certains, leur équipe a été élargie. Ils animent et forment le réseau des «corners», il produisent les contenus liés aux QR codes, ils forment et encadrent les bénévoles. Leur travail s’est considérablement enrichi et diversifié. Il y a beaucoup moins de périodes et de moments «morts», si vous voyez ce que je veux dire ! Il en résulte une forte motivation et surtout beaucoup d’initiatives de tous les acteurs. Ils ne font donc plus du tout le même métier et il semblerait qu’ils en retirent beaucoup plus de satisfaction.
Et vous, vous en tirez quelles conclusions ?
Que pour le tourisme comme pour le reste il faut tout remettre en cause. Il ne suffit pas de mettre une couche de technologies nouvelles pour devenir moderne. Etre moderne c’est remettre en cause les pratiques ancestrales, oser briser des tabous, ré-imaginer de fond en comble les processus. Nous devons tous revisiter nos valeurs ajoutées et éventuellement casser l’existant. Qu’importe de supprimer des lieux à la valeur ajoutée désuète si on permet aux équipes de se ré-inventer et de mettre en oeuvre de nouvelles pratiques plus utiles. Il est temps de passer à une société 2.0 ! Ce qui fut le cas pour notre pays sur le plan politique et qui s’est maintenant appliqué à nos métiers. La preuve en est que de nombreuses autres villes veulent nous suivre et nous demandent de les accompagner dans la démarche de suppression de leur office et de redéploiement de leurs équipes et actions. Dans notre cas, en tout état de cause, la crise à eu du bon !
Merci
(*) cyber-entretien : entretien qui aurait très bien pu être réel et qui ne recourt qu’à des technologies à notre disposition 😉