Manifeste radical pour la photo et contre les clichés

Publié le 1 juin 2018
5 min

Cet article de François Perroy a été publié le 15 mars 2018

Je ne sais pas vous, mais moi je m’ennuie grave. Je m’ennuie à en souquer ferme de voir (voir : verbe commun, j’aurais pu écrire regarder, contempler, admirer) les photos plates de la plupart des sites touristiques. 

Malheureux ! Mais c’est pas comme si vous ne cherchiez pas de l’audience ! C’est pas comme si vous n’aviez pas été formés à la photographie ! En fait, la tromperie vient du fait que l’on utilise le mot Photo à la place du mot pauvre Image. L’épatant Sebastiao Salgado, qui en connaît un rayon (optique) en matière de photo l’a déjà écrit : on voit aujourd’hui plus d’images que de photos. Il prédit d’ailleurs la disparition de celle-ci. Pour en savoir plus sur ce maître, je vous invite à consulter sa biographie sur le beau magazine Polka. Ce qu’il veut dire et que modestement je vous partage en introduction à ce billet, c’est que la production d’images plates, sans reliefs et sans sujets le plus clair du temps, a pris le dessus sur l’art photographique. Et c’est vraiment dommage car vos contenus touristiques méritent de la belle photo, bien en capacité d’éveiller l’attention.

Aiguisez votre regard critique

Alors je vais vous donner quelques pistes pour améliorer votre situation de pauvres iconographistes que vous êtes. Déjà, zyeutez cette photo publiée sur le compte de l’agence Magnum sur Instagram. Ca c’est de la photo, elle raconte vraiment quelque chose !

Commencez par me jeter (mais non ! pas le smartphone ni l’appareil photo ! attendez) les expressions suivantes que vous utilisez trop souvent dans vos commandes et documents à finalité marketing et cahiers des charges : recherche d’équilibre, harmonie visuelle, stratégie partagée, adhésion… Tout ça c’est des foutaises ! Vous en connaissez vous des créateurs qui ont cherché l’adhésion, via une stratégie partagée, avec une harmonie visuelle ? Dieu, Léonard de Vinci, Vivian Maier, Cartier Bresson, David Lynch, Rosa Bonheur et compagnie ? 

Toutes les démarches qui font avancer sont issues de ruptures. La vérité n’est jamais dans la reproduction, encore moins dans l’affichage médiatique à répétition. Elle est dans la discrétion des chemins de traverse qu’empruntent les créateurs de l’étonnement. Echappez-vous de la pensée et de la reproduction routinière et casanière. C’est pas parce que votre collègue a choisi ceci que vous devez faire cela.

Préférez l’oblique à la voie droite. Pensez boîteux et agissez comme tel. Autrement dit, inventez, faites faire par des artistes, il en existe quand même et faites par vous-mêmes ou en faisant appel à des yeux expérimentés. Oui, car la photo, c’est certes du matos mais c’est quand même aussi des yeux. Un regard quoi. C’est tout pareil pour la vidéo. Pour surprendre les autres, surprenez-vous d’abord. La surprise arrive toujours par où on ne l’attend pas (je vous offre les droits d’auteur pour cette lapalissade). En clair, balancez-moi vos photos insipides qui n’apportent rien, n’attirent pas le regard, ne font pas l’intérêt. Et décidez de produire ou faire produire 50 photos qui ont de la gueule. De l’allure. Qui racontent des moments oubliés, des coins secrets, des détails qui font la vraie vie. Mais pour cela, il y faut du temps et de la marche, car la bonne photo à pas cher, ça existe, à condition d’y mettre le temps et la curiosité. 

Trop d’images similaires

Le truc qui coince c’est que trop souvent vous cherchez à accumuler des points d’audience sur le web. Le nombre de likes, l’engagement, voilà la vraie quête. Et du coup, on se retrouve avec des milliers de photos ou plutôt d’images, qui sont similaires. Les mêmes sites, les mêmes cadres, les mêmes sujets, les mêmes filtres. Les clichés ont la vie dure. Et il faut dire que les touristes vous aident à cela. Quand ils ne passent pas leur temps à se photographier eux-mêmes, objets principaux de leur attention en voyage.

Un photographe, Olivier Kmia l’a splendidement démontré dans une vidéo dans laquelle il a compilé des photos similaires en cadrages et compositions pour des spots touristiques mondiaux connus. Les clichés ont la vie dure : tout le monde produit les mêmes images. Le montage ci-dessous est un hyper concentré du travail d’Olivier Kmia. Si la Route 66 inspire, elle inspire peu les photographes ! Sa vidéo est édifiante !

Une balade sur Instagram confirme l’impression de manque d’originalité des auteurs d’images. La Tour Eiffel, la Fontaine de Trévi, le Mont Saint Michel, Le Pont du Gard sont fréquemment pris dans les mêmes conditions. Les variantes les plus nettes sont liées à la météo, à la lumière naturelle à la singularité des visages des participants. Pour le reste c’est patin-couffin.

85% des images sont prises au smartphone

On n’a jamais réalisé et publié autant de photos : les statistiques se prennent les pieds dans le tapis. On dit 350 millions par jour sur Facebook et 100 millions par tranches de 24 h sur Instagram. Autant dire que pour exister il faut faire du spectaculaire. Mais sans chercher l’image bétifiante, un regard curieux peut sortir des images qui marquent une situation et engagent une attention. J’ai pris un exemple sur la ville de Grenade que j’ai récemment visitée. Allez sur Instagram avec le #alhambra.

Les images publiées sur cette magnifique réalisation sont fréquemment similaires. Faites l’exercice avec des grands sites et vous constaterez que rares sont les photos qui sortent de l’ordinaire. Il me semble qu’on est en droit d’attendre d’une destination touristique qu’elle fasse attention à se singulariser, à afficher des photos de qualité, qui racontent des histoires, qui créent des émotions, dans lesquelles on peut se projeter. Pour ma part, si je retiens une photo de l’Alhambra c’est celle-ci que j’avais prise depuis la colline de San Nicolas. Elle résume pour moi l’ambiance locale, d’une beauté piquante 🙂

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François Perroy est aujourd’hui cofondateur d'Agitateurs de Destinations Numériques et directeur de l’agence Emotio Tourisme, spécialisée en marketing et en éditorial touristiques. Il a créé et animé de 1999 à 2005 l’agence un Air de Vacances.  Précédemment, il a occupé des fonctions de directeur marketing au sein de l’agence Haute Saison (DDB) et de journaliste en presse professionnelle du tourisme à L’Officiel des Terrains de Camping et pour l'Echo Touristique. Il [...]
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