Marketing expérientiel, vers l’overdose ?

Publié le 23 janvier 2019
5 min

Non, ça ne m’empêche pas de dormir, non, ce n’est pas une obsession, mais, confronté à une omniprésence des « expériences », j’en viens à me demander, légitimement je crois, si on n’est pas tout simplement en train de tuer le concept à force, d’une part, d’en abuser, et, d’autre part, de qualifier d’expérience des produits qui n’en sont pas. L’expérience est vendue et promise à toutes les sauces !
On a aujourd’hui un peu de recul avec cette multiplication des catalogues expérientiels proposés par des destinations aux quatre coins du monde avec plus ou moins de succès. Pendant ce temps, Airbnb, Booking et autres big players du web font leur petit bonhomme de chemin sur ce créneau avec une approche très souvent radicalement différente de celle des OGD, comme nous allons l’expliquer.

Des expériences partout !

Récemment, dans le train reliant Bruxelles, j’étais face à un panneau digital alternant informations pratiques sur le trajet et encarts publicitaires. En l’occurence, deux encarts publicitaires.

L’expérience Lego, marcher pieds nus sur des briquettes ?

Devinez quoi ? Ces deux campagnes me vantaient une expérience à vivre !
D’un côté, c’étai l’expérience Lego qui me faisait les yeux doux, et de l’autre, pays de la bande-dessinée oblige, c’étaient les Schtroumpfs qui m’appelaient.
Je me suis demandé si j’avais basculé dans la 4è Dimension… Les créatifs seraient-ils en manque total d’inspiration ? Le grand public serait-il à ce point accro aux expériences que ce terme doive à tout prix apparaître sur tout support promotionnel ? Ou tout simplement, et c’est mon avis, le concept d’expérience est-il une mode, une tendance ? Et comme toute tendance, l’expérience serait alors immanquablement appelée à disparaître. Tout ça pour ça, ai-je envie de dire… Malheureusement.

J’avoue, le concept de l’expérience Schtroumps est sympa: immersion dans un décor qui nous donne la taille des petits bonshommes bleus.

Je me suis amusé (et cela ne m’a pris que 5 minutes, à faire une récolte d’expériences proposées à gauche et à droite, qu’il s’agisse de tourisme ou d’autre secteurs d’activités, vous trouverez donc ci-dessous une compilation de mes quelques trouvailles, démontrant bien à quel point on galvaude aujourd’hui le terme qui perd ainsi tout sens pour le consommateur. Bref, trop c’est trop. Est-ce que ce monde est sérieux comme le chantait ce bon vieux Francis Cabrel… C’était mieux aaaaavant !

Pas forcément un problème qualitatif

Je ne me prononcerai pas sur le caractère qualitatif des expériences ci-dessus; le public seul sera juge. Le terme est en tout cas sur-utilisé, c’est indéniable.

Personnellement, je regrette malgré tout la légèreté avec laquelle on utilise ce terme qui constitue une promesse faite au client: une expérience, digne de ce nom, doit être émotionnelle, unique, mémorable et solliciter un maximum de nos sens. Elle doit en outre répondre à son intitulé, lui aussi une promesse.
Je ne clouerai personne au pilori; la critique est aisée mais force est de constater que certaines destinations se sont empressées de coller l’étiquette expérience sur des produits touristiques des plus traditionnels avec pour conséquence un rejet et de vives critiques de consommateurs littéralement dupés. J’adhère totalement à l’analyse de Julie Payeur du Réseau de Veille Tourisme du Québec. On le voit, l’expérience, la vraie, est complexe et il est donc logique qu’elle ne soit pas donnée à tout le monde en termes de développement, et souvent, encore moins à des acteurs touristiques historiques parfois engoncés dans leurs habitudes… et une logique beaucoup plus axée sur le produit que sur l’expérience.

Et c’est bien là où le bat blesse: je rencontre dans le cadre de mes missions beaucoup d’OGD qui s’obstinnent à faire développer des expériences par des opérateurs touristiques qui n’ont rien d’expérientiel, ni dans leur potentiel, ni dans leur ADN.
Tragique erreur de casting. La faute à des appels d’offres bâclés et une démarche naïve ou plus simplement calquée sur d’autres, ces mêmes autres qui ont pourtant échoué.


Regardez, par exemple, les offres Trips proposées par Airbnb (pour beaucoup évaluées avec enthousiasme et positivisme par les clients); la majorité des offres, réelles expériences dans le sens noble du terme, proviennent de prestataires n’ayant aucun lien initial avec le tourisme: artisans, restaurateurs, coaches, …

Aujourd’hui, en la matière, l’OGD doit être un chasseur de pépites et ouvrir son horizon au potentiel, trop souvent méconnu de lui, des acteurs locaux hors tourisme.

Caser M Pokora dans un article sure tourisme.info: check !

Une occasion manquée pour les OGD ?

Ce n’est pas nouveau, le contexte est difficile pour es OGD: entre réformes politiques et concurrence de plus en plus féroce des gros acteurs privés sur des missions que l’on pensait régaliennes, les expériences locales, à priori plus accessibles, en raison de leur connaissance de terrain, aux OGD qu’aux multinationales du tourisme, semblent aussi pourtant mieux réussir à ces dernières.
Bref, là où le marché de la commercialisation est selon moi, une guerre perdue d’avance pour les OGD depuis belle lurette (et je suis loin d’être le seul à faire ce dur constat), les expériences constituent une occasion à ne pas louper pour les OGD et leur expertise locale. Pour réussir à établir une offre expérientielle à la hauteur, mes conseils (vous en faites ce que vous voulez) seraient les suivants pour les destinations:

1. Elargissez votre casting aux locaux dans leur ensemble; la magie, la passion et le savoir-faire sont au coin de la rue mais cela nécessite de prospecter et cela prend du temps, demande du travail et des collaborations.
2. Ne succombez pas aux sirènes des intermédiaires aux solutions miracles, forts de belles promesses, mais sans réelle vision globale de l’expérience touristique.
3. Privilégiez une offre qualitative plus que quantitative: proposer une
expérience réelle et de qualité n’est pas donné à tout le monde; n’oubliez pas la promesse énorme que le terme revêt pour le client qui ne vous fera pas de cadeau s’il est berné. Par contre, la satisfaction vaut cher !
4. Testez vous-même les expériences identifiées: la magie est-elle présente ? Nos émotions et sensations sont-elles sollicitées ? Est-elle spécifique et indissociable du territoire ?
5. Un expérience réussie tient, pour beaucoup, voire totalement, de son offreur: le charisme, la passion et l’empathie ne sont pas données à tout le monde. Les expériences réussies, en termes d’évaluation, sont avant tout commentées en termes de
rencontre et d’échange.

C’est à ce prix, que cette belle évolution du produit touristique de base que constituent les expériences, acquerront leurs lettres de noblesse et perdureront. Dans le cas contraire, attendez la prochaine mode et suivez-la docilement !

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Conférencier et consultant en Innovation touristique, Denis Genevois est également actif dans la sphère e-business et le marketing depuis plus de 20 ans. Il accompagne au quotidien les acteurs publics et privés du tourisme en Belgique francophone et en France dans leurs projets. Il est Directeur associé chez Un Tour d'Avance, bureau spécialisé en innovation et ingénierie touristique.    
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