Les stations de ski (enfin les exploitants de remontées mécaniques…) ont vécu une année blanche avec la crise de la COVID19. On n’a jamais autant parlé de la montagne pendant cette période. On n’a jamais autant parlé de transition(s) de ces territoires-là. Le vrai buzzword du moment. Les acteurs historiques de la montagne sont unanimes. « Il y a un truc incroyable qui se passe actuellement en montagne ». Et si toute cette crise débouchait sur des solutions opérationnelles pour sortir de l’impasse prise par des années de développement autour de l’or blanc.
Ce billet ne va pas intéresser que les acteurs qui travaillent en montagne car les problématiques dont je parle (et les solutions) sont bien plus larges et transversales.
Une saison blanche, une cristallisation des maux
Au-delà de la cacophonie de début de saison où l’on disait que le gouvernement disait que les stations étaient fermées alors que ce n’était que les remontées mécaniques, les stations de ski ont connu une année très compliquée, surtout celles qui ont capitalisés pendant tout leur histoire sur la glisse uniquement. Or, au-delà du virus, cette saison blanche fait remonter la nécessité d’appliquer cette transition. Dans les stations de haute altitude, on a misé et on mise encore sur la glisse et sur les mega domaines (malgré les critiques) pour être bien positionnées à l’échelle internationale. Or, quand la démondialisation commence à pointer sa tête, l’économie montre ses limites. La clientèle française ne va pas du jour au lendemain gagner en pouvoir d’achat. Les jeunes ne vont pas retrouver un côté « tendances » du jour au lendemain dans le fait de faire du ski ou du snowboard. On a beau vouloir diversifier avec de nouvelles activités (du thermoludisme, du bien-être, du VTT de descente, de la luge 4 saisons, etc.), ça reste de la disneylandisation d’un espace avec de la pente avec des investissements, de la nécessité de retrouver ses billes, de l’impact sur la biodiversité, de l’artificialisation, etc. Et alors que les impacts du changement climatique deviennent de plus en plus présents sur l’enneigement des montagnes, il devient urgent de réfléchir et d’anticiper.
Lancement des États Généraux de la Transition du Tourisme en Montagne à Métabief
A travers ses réflexions et en s’appuyant sur la présidence française de la SUERA (stratégie de l’UE pour la région alpine) sur 2020/2021, deux associations (Mountain Wilderness & 2TM – Transitions des Territoires de Montagne) ont décidé de lancer les États Généraux de la Transition du Tourisme en Montagne. L’objectif est simple (sur le papier) : rassembler l’ensemble des parties prenantes de la montagne (les élu.e.s, les offices de tourisme, les professionnels de la montagne, les exploitants de remontées mécaniques, les pratiquants, les fournisseurs d’équipements, etc.), discuter, échanger et trouver des solutions.
A Métabief (station de montagne située dans le Doubs) a été lancé officiellement les 16 et 17 mars derniers ses États Généraux. Le point d’orgue aura lieu les 23 et 24 septembre prochain avec un événement national. Ce qui est intéressant d’être ce lancement dans le Doubs, c’est le travail de transition réalisé par la station de Métabief et son directeur Olivier Erard ces dernières années.
Dans cet article, vous comprendrez l’ensemble de la démarche et les choix (pas simples) réalisés. Pour résumer, après des années d’entretien classique du domaine (de fuite en avant ?), une étude ClimSnow auprès de MétéoFrance a été commandée pour avoir des données précises sur l’avenir de l’enneigement à horizon 2040 sur Métabief. Très vite, le couperet est arrivé :
« – A l’horizon 2040-2050, la viabilité du ski alpin est nettement remise en cause => à cet horizon, les modèles prédisent clairement la fin de l’activité économique liée au ski alpin,- A l’horizon 2030-2040, seules les pistes équipées de neige de culture résistent aux aléas climatiques croissants => à cet horizon, la fréquence de mauvais hiver serait très élevée et même si la neige de culture permettrait de proposer un minimum de ski, cela n’engendrerait pas suffisamment de recettes pour équilibrer l’exploitation. Un déficit chronique s’installerait, insupportable pour les collectivités membres du SMMO. »
A la suite de cette étude, des choix ont été faits par la station et les élu.e.s loin d’une vision classique et développementiste des années 70 et 80. Par exemple, il a été souhaité, entre autre, de développer la randonnée contemplative sur la partie sommitale du domaine… Or, cette vision, c’est seulement 1/3 de chiffre d’affaires pour le syndicat mixte par rapport à aujourd’hui et une baisse assumée de 20% pour les retombées économiques du territoire.
Faire le deuil et imaginer de nouveaux futurs pour la montagne
Comme c’est précisé dans l’article de La Relève et La Peste, c’est bien un deuil qui a été vécu par les acteurs locaux à Métabief. Ce deuil a été très important pour permettre aux gens d’accepter la situation et de construire la suite avec cette nouvelle contrainte en tête. La question du changement climatique va toucher énormément de destinations dans les prochaines années qui vont devoir changer leur modèle (dépendance à la mondialisation et à l’aérien, crises climatiques et dégâts naturels, nouvelles réglementations vers le bas carbone, etc.). Écouter les scientifiques, prévoir des travaux de prospective, partager les résultats auprès des acteurs vont être des chemins nécessaires pour construire ces futurs sous contraintes.
La montagne vient de voir publier un magnifique travail avec un important travail de design fiction sur 2050. Ce travail se trouve dans le 1er numéro du Magazine « Les Passeurs » intitulé Vivre en Montagne après 2020. A partir de rencontres et d’ateliers de design fiction, les participants, des acteurs variés de la montagne ont construit des scénarios futuristes basés sur les contraintes fournies dès aujourd’hui par la science (les rapports du GIEC, les chercheurs de Futuribles, etc.).
En rédigeant des dossiers dédiés au tourisme, au travail, à l’agriculture, à la vie en montagne, on construit au fil des pages ce nouvel imaginaire de la montagne, ces utopies qui donnent envie de se projeter dans ce monde contraint, bas carbone, ultra-connecté, avec une nature fragile à préserver.
Je ne peux que vous conseiller de vous le procurer (je n’ai aucune action chez eux).
Agir ensemble. Faire des compromis.
Or, pour arriver à cette transition, il sera nécessaire d’agir ensemble alors même que les visions varient énormément d’un acteur à l’autre. A Métabief, pour le lancement des États Généraux, ces acteurs variés étaient autour de la table : aménageurs, développeurs, associations de préservation, élu.e.s locaux, investisseurs, Etat, etc. Pour l’instant, tout le monde est d’accord sur la nécessité d’une transition mais chacun campe encore largement sur ses positions. Il y a une vraie différence entre chercher une croissance verte de la montagne à coup de labellisation et d’artificialisation des sols et une anticipation assumée d’une décroissance face à une réduction future et nécessaire des émissions de CO2 (je vous renvoie aux cours des Mines de Janco).
Pour autant, les compromis seront nécessaires pour faire transition. C’est ce qui se passe à Métabief. Le Syndicat Mixte a bien compris que remettre de l’investissement chaque année dans la machine n’était que pure perte (ou simplement une mort lente). Il a fallu donc assumer une autre position : réduire la voilure, accompagner l’ensemble des acteurs locaux à vivre bien, toute l’année, sans laisser personne de côté. Au-delà de la préservation de l’environnement, des paysages et du vivant, c’est aussi cette recherche d’équilibre social sur ces territoires de montagne entre les retombées économiques du tourisme, de l’agriculture, des services, de l’industrie, etc. Et ça, c’est bien des élu.e.s locaux qui cherchent à construire un projet de territoire cohérent et … durable.
Changer de modèle en changeant de regard
Or, pour arriver à ça, il est absolument nécessaire de changer de regard. Le magazine « Les Passeurs » permet vraiment ce travail psychologique et philosophique. Par exemple, j’entends encore souvent des directeurs d’exploitation de remontées mécaniques qui me disent : « Mais l’hiver, c’est 95% du chiffre d’affaires de la station ! ». Or, de quoi parle-t-on réellement ? de la station ? des remontées mécaniques ? des retombées économiques pour le territoire ? des chiffres d’affaires cumulées de l’ensemble des socio-professionnels sur le territoire ? J’ai osé poser cette question : « Mais a-t-on une étude sur les retombées économiques du tourisme tout au long de l’année ? ». La réponse négative de mon interlocuteur m’a confirmé que l’on pouvait voir le tourisme et ses impacts à travers des prismes différents. Ça me fait justement penser à ce documentaire diffusé actuellement sur Arte, « La Fabrique de l’Ignorance » qui montre à quel point on peut nous faire croire pas mal de choses en manipulant études et chiffres, en noyant le poisson…
Pour penser la transition du tourisme en montagne (et ailleurs), et si nous commencions par avoir des protocoles et des études dignes de ce nom pour analyser les impacts du tourisme sur l’ensemble d’un territoire (et non pas juste au sein d’une société d’exploitation de remontées mécaniques) en intégrant tous les socio-professionnels du tourisme et des services. C’est comme ça que nous comprendrons parfaitement comment accompagner au mieux ces professionnels pour faire cette transition, dans la dignité de tous.