Lenteur académique versus disruption éducationnelle
Se former tout au long de la vie est une idée communément admise, aujourd’hui. Bien entendu, il demeure dans notre beau pays quelques beaux esprits pour qui la vie académique et l’acquisition de connaissances se sont arrêtées aux portes de quelques grandes écoles et aux soirées de leurs promotions, dont les gazettes narrent honneurs et maroquins. La certitude de détenir quelque vérité révélée est incompatible, semble-t-il, avec la recherche de nouvelles compétences. Mais le sens de l’histoire est heureusement tout autre. Depuis plus de vingt ans que j’ai intégré le monde de l’enseignement supérieur français, les modalités de la transmission des savoirs ont profondément changé. Au tableau noir et à la craie (et exceptionnellement les transparents projetés grâce à un rétroprojecteur) ont succédé au début des années 2000 les premiers supports Powerpoint projetés d’ordinateurs portables difficilement acquis sur des écrans blancs qui semblaient être, alors, la quintessence du progrès ! Les établissements se sont lancés alors dans l’achat de matériels, au rythme lent des marchés à bons de commandes du service public. Tous ou presque ont connu l’ivresse d’une telle maitrise technologique, les programmes de l’éducation nationale s’y sont adaptés après la nomination de nombreuses commissions, le travail de multiples experts et son intégration aux programmes scolaires et/ou universitaires. Mais l’ivresse fut de courte durée. Au milieu de la dernière décennie, après que certains établissements se sont essayés à la formation ouverte à distance (FOAD) (me revient en mémoire mes premières prestations dignes d’un présentateur du journal télévisé de la Roumanie des années Ceausescu !) avec la mise en ligne hebdomadaire de supports PDF et la tenue régulière de chats sans grande interactivité, l’irruption du numérique dans les vies académiques a constitué le premier éléments d’un séisme à l’ampleur inégalée dont les dernières secousses ne sont pas encore terminées… Parallèlement, la formation s’est ouverte à tous les âges, à tous les milieux, tous les projets, avec ou sans prérequis. Le monde de la formation connait aujourd’hui une véritable révolution avec l’apparition d’écoles totalement en ligne, de cursus ouverts à tous. De nouveaux acteurs sont apparus, issus de la nouvelle économie. Le monde du tourisme n’y échappe pas. Le nouveau monde lui ouvre les bras. Le vieux monde de la formation, aux rivages semblant chaque année plus éloignés de la terre promise, se perd en conjecture, en réforme, en périmètre, en logorrhée (les sachants y seraient confrontés aux apprenants). Et c’est fort de ce constat qu’une idée a germé dans mon esprit au retour des congés d’été : suivre le maximum de cours disponibles sur la toile, avec l’ambition de me former, d’apprendre, d’écouter, de découvrir et d’observer. Bref, la formation d’un formateur qui veut découvrir les MOOC, les SPOC et autres COOC, sans hiérarchiser les acronymes…
Petit panorama français des formations tourisme en ligne
Bien sûr, j’avais entendu parler de certains projets développés depuis quelques années, notamment sous l’impulsion d’Atout France. Je me suis amusé cependant à « googliser » quelques mots clefs pour suivre la logique de celles et ceux qui recherchent des informations sur internet. C’est reconstituer en quelque sorte le parcours client d’un élève lambda en tourisme. Parce que l’enseignement doit être qu’on le veuille ou non une école de l’humilité. Publier des ouvrages ou organiser des salons pour rencontrer des candidats aux formations ne représentent plus grand-chose à coté d’un référencement de Google.
En tapant « MOOC tourisme », plusieurs ressources apparaissent dans les premiers résultats. Je me suis amusé à tenter d’en suivre le maximum depuis quelques semaines. Le premier MOOC, « Accueil France », est le plus connu[1]. Il a été créé par Tourism Academy (start-up, spécialisée dans la formation digitale des professionnels du tourisme qui vient de réaliser durant l’été 2017 une levée de fonds de 500 000 euros auprès de Bpifrance, via le fonds France Investissement Tourisme et auprès de Du Nord au Sud Investissements[2]) en partenariat avec Atout France. Il permet de faire un point sur des questions assez simples et concrètes, l’accueil des clientèles étrangères, notamment celles de nos voisins européens (Allemands, Belges, Britanniques, Espagnols, Italiens, Néerlandais). Est présenté également dans ce MOOC un cours pour passer d’un accueil de qualité à l’excellence de service et des cours pour maîtriser les enjeux et les outils du tourisme digital (l’essentiel du e-tourisme, le e-business, les réseaux sociaux). A noter que ce MOOC est développé sur plusieurs plateformes régionales, en partenariat avec les FROTSI (PACA par exemple[3]).
Deux autres MOOC sont disponibles sur la même plateforme. Un MOOC « Accueil Restaurants » permet de comprendre les habitudes alimentaires, les règles de l’accueil ainsi que de suivre un mini cours de langue pour mieux accueillir, dans les établissements de restauration 8 clientèles (Britanniques, Allemands, Belges, Chinois, Néerlandais, Espagnols, Italiens et Indiens). Un MOOC « Accueil long courrier » a pour objectif durant deux cycles de 15 chapitres de connaitre dans le détail les clientèles chinoises et indiennes, de comprendre les différences culturelles, de décoder les pratiques et les attentes et même des mini-cours de langue pour les accueillir en V.O.
Ces MOOC sont présentés sous forme de courtes vidéos, accompagnées de quiz qui permettent de s’assurer de l’acquisition des connaissances, mais aussi de gagner des points. Les participants sont classées, elles peuvent se défier dans des battles et échanger sur les forums. Ces MOOC sont finançables via un certain nombre d’OPCA, dont le FAFIH[4].
Les MOOC de la Tourism Academy intègrent depuis la rentrée 2017 un cursus universitaire, celui de l’ESTHUA, comme remise à niveau rapide et ludique pour les élèves de master.[5]
Une deuxième plateforme France université numérique (FUN) permet de suivre gratuitement un MOOC sur « Le tourisme culturel aujourd’hui : quels enjeux ? »[6]. Ce programme disponible en trois langues (français, espagnol et anglais) est proposé par l’Université Perpignan Via Domitia. Cette formation est destinée aux étudiants de Licence, aux professionnels du tourisme ainsi qu’à toute personne curieuse de cette question. Elle vise à développer chez les apprenants une réflexion sur les mutations et les enjeux du tourisme culturel, en lien avec la mobilité et les nouvelles pratiques des visiteurs.
Toujours sur cette plateforme FUN, le Conservatoire national des arts et métiers (Le Cnam) et le Minsitère de la Culture prépare le lancement pour la rentrée 2018 d’un MOOC « Le tourisme culturel : quand culture et tourisme participent au développement des territoires » qui sera dédié aux professionnels des deux secteurs et singulièrement de l’ensemble des établissements publics et privés de la culture et du patrimoine.
Un troisième sujet de MOOC m’a semblé intéressant « l’écotourisme, imaginons-le ensemble », toujours développé sur la plateforme FUN[7]. Ce MOOc est le fruit d’un partenariat entre l’Institut Sylvo-pastoral de Tabarka de l’Université de Jendouba en Tunisie et l’Institut Supérieur du Tourisme, de l’Hôtellerie et de l’Alimentation de l’Université Toulouse – Jean Jaurès en France. Un projet sur le « tourisme durable » semble être aujourd’hui en cours de développement.[8]
Quelques SPOC sont également disponibles pour les professionnels. On ne vantera jamais assez le travail de la MONA, pionnière sur le sujet. Son offre ressemble un peu à la « caverne d’Ali Baba »[9]… D’autres initiatives sont intéressantes, notamment dans le secteur de l’hôtellerie. Le cabinet Artiref propose par exemple 21 modules de formation avec un tutorat personnalisé en ligne [10]. Cinq OPCA, dont le Fafih, travaillent en ce moment avec le Cnam, dans le cadre d’une convention entre la DIRECCTE Ile de France et FUN à un SPOC « TPE-PME : digitaliser ses activités ». Les initiatives sont nombreuses, variées, riches.
Enfin, pour finir, j’ai suivi en préparant un ouvrage sur l’oenotourisme (à paraître en 2018) les tutos disponibles sur le site d’Atout France. Ces cinq tutos sont présentés par Martin Lhuillier et font un point précis et concis sur cinq sujets (l’oenotourisme en France ; les clientèles ; les clientèles étrangères ; réussir son projet oenotouristique ; promouvoir son offre oenotouristique). J’en ai profité également pour suivre le premier tuto sur le « slowtourisme », présenté par Guillaume Delacour.
Cette première immersion dans les MOOC, SPOC, COOC et autres tutos m’a laissé une double impression : d’être au début d’une formidable aventure, un peu comme un lecteur au temps de Gutemberg, mais aussi de penser que le format des supports (malgré leur qualité générale indéniable) n’est pas encore totalement finalisé. Sans paraphraser Woody Allen (« Si tu n’échoues pas de temps à autre, c’est le signe que tu ne fais rien de très innovant »), il me semble indispensable d’aller voir ailleurs dans le monde ce qui se fait sur le sujet. Sans doute d’autres formats existent-ils, d’autres tons, d’autres pédagogies. Ce sera l’objet de mes apprentissages dans les prochaines semaines…
[1] http://www.mooc-accueil.fr/#timeline-block
[2] http://www.tourmag.com/Formation-Tourism-Academy-leve-500-000-euros_a88109.html
[3] http://mooc-paca.com/#1484514462942-62f0097d-8e6b
[4] http://www.lechotouristique.com/article/atout-france-lance-la-nouvelle-saison-du-mooc-accueil,90375
[5] http://www.tourmag.com/Les-MOOC-de-Tourism-Academy-integrent-l-ESTHUA_a89118.html
[6] https://www.fun-mooc.fr/courses/course-v1:UPVD+95003+session01/about
[7] https://www.fun-mooc.fr/courses/ujendouba/36001S02/session02/about
[8] http://www.defismed.fr/actualites/projet-d-un-mooc-sur-le-tourisme-durable-avec-l-onu
[9] https://www.monatourisme.fr/ressources/
[10] https://www.artiref.com/formation-elearning-hotel.html