Cet article parle de différence, de voyage adapté, de handicap mental, de droit aux vacances, et du rôle des destinations sur ce sujet.
Il a été écrit à partir d’une expérience personnelle vécue cet été en tant qu’accompagnatrice d’un séjour adapté pour personnes en situation de handicap mental. Cela ne fait pas de moi une experte du tourisme et handicap, ni une militante du handicap. Mais simplement une personne qui ayant vécu un séjour différemment, s’est rendue compte qu’on pouvait améliorer certains éléments sans que cela n’engendre de coûts d’investissements démesurés. Mais qu’il s’agissait plutôt de faire un pas vers, de s’ouvrir à cette différence et de la comprendre pour y apporter des solutions.
Alors comment en tant que destination, pouvons-nous faciliter la vie de ces vacanciers sans que cela ne devienne une obligation de plus à cocher ?
prealable
Quelques mots pour mieux comprendre le contexte, les personnes que j’ai accompagnées sont considérées en bonne autonomie. Certaines travaillent, d’autres vivent en appartement ou en foyer. Ils et elles ont un téléphone et sont consommateurs de réseaux sociaux. Ils et elles gèrent pour certain.es leur argent. Certain. es se déplacent seules dans leur ville. Certain.es savent lire et écrire, d’autres non.
Mais partir seul.es en vacances pour eux est compliqué. Partir en vacances, c’est perdre ses repères (spatio- temporels, relationnels, habitudes du quotidien…), un peu comme quand vous arrivez dans un pays étranger et que vous devez tout réapprendre. Les accompagner, c’est donc gérer les déplacements, s’assurer de leurs repas, veiller à leur santé physique et émotionnelle, organiser leurs journées, choisir les sites à visiter, s’assurer de la bonne entente dans le groupe…. Bref tout faire pour qu’elles et ils puissent profiter pleinement de leurs vacances.
ON EN FAIT DEJA BEAUCOUP
On pourrait avoir en tant que destination, un certain sentiment, d’avoir déjà fait beaucoup sur cette thématique. De nombreux lieux offrent des places de parking pour personnes en situation de handicap, une tarification adaptée ou la gratuité, des toilettes accessibles, des zones coupes files à l’entrée, des services de location de fauteuils roulant…
Tout cela est fort utile mais c’est comme si on avait mis beaucoup d’énergie sur l’accessibilité physique et un peu moins sur l’accessibilité pour les personne en situation de handicap mental. Cette forme de handicap est moins visible, elle est parfois difficile à reconnaitre. Elle prend des formes très différentes. Elle est déstabilisante car on peut se sentir un peu démuni face à ces personnes en situation de handicap. Mais avec un peu d’envie, on pourrait trouver des axes à améliorer qui leur faciliteraient la vie et leurs vacances.
EST CE VRAIMENT STRATEGIQUE ?
Avant d’explorer les possibilités d’actions, la question qui se pose est « est-ce une cible stratégique pour la destination ? » La réponse est probablement non. ET je pourrais essayer de vous convaincre avec le nombre de personnes que cela représente ou que le gouvernement a érigé la santé mentale comme Grande cause nationale en 2025 (avec notamment un pan sur l’accès aux loisirs). Mais le choix de travailler en direction de cette cible doit plutôt être un choix de cœur, un choix de pouvoir s’ouvrir à cette différence et pas simplement un choix pour répondre aux critères d’une grille.
Alors est-ce que l’on peut, en tant que destination, ouvrir notre plan d’actions à des cibles qui ne sont pas prioritaires mais qui ont un sens pour nous ? Est-ce que ce n’est justement pas de notre responsabilité, en tant que structure à mi chemin entre le service public et privé de s’ouvrir à ces vacanciers ? ET si oui, quels moyens souhaitons-nous lui dédier (humains, financiers) ? Il est fort à parier que même en ne consacrant qu’une partie d’un poste dans l’équipe, s’occuper de cette mission apporte beaucoup de sens à la personne qui en sera en charge.
PAR OU COMMENCER ?
La foule est un facteur d’angoisse pour les personnes en situation de handicap mental. Cela génère des émotions à fleur de peau et crée de nombreuses angoisses empêchant de pleinement profiter du lieu. On pourrait leur suggérer de choisir un autre moment que l’été pour partir en vacances (ici il s’agissait du zoo de Beauval ou du château de Chenonceau). Mais est ce à eux de se priver de ces lieux ou à nous de leur faciliter l’accès même pendant l’été ?
Pour contourner le bain de foule, des actions ont été mises en place dans de nombreux lieux pour limiter le temps d’attente notamment pour acheter ses billets et faciliter l’entrée dans le site. Mais ensuite, rien n’est prévu, on se retrouve dans la foule et c’est comme si l’expérience client s’arrêtait à l’entrée du site. Il pourrait être étudié la possibilité de proposer des créneaux horaires où le nombre de visiteurs serait limité, afin de permettre une visite plus fluide et plus agréable. Il pourrait être possible de réserver des salles dans les lieux de visites dédiées à ces visiteurs en situation de handicap mental, où un accueil soigné, tranquille et à leur écoute serait prévu, un peu à l’image des espaces créés pour les enfants. Il n’y a pas, pour eux, la nécessité de tout voir ni de tout faire mais plutôt d’en faire moins et de le faire mieux.
PAR QUOI CONTINUER
Quand on part en vacances, on perd ses repères et il faut tout recréer, que cela soit pour rejoindre sa chambre d’hôtel, pour sortir se balader, pour retirer de l’argent, pour visiter les sites touristiques… Ajouté à cela que certains.es ne savent pas lire et bien tout ce qui nous semble facile devient pour eux une source d’angoisse et leur crée un sentiment d’insécurité . Alors on pourrait déployer de façon plus systématique des repères visuels. Il s’agirait de doubler l’actuelle signalétique, utilisant principalement des mots avec un pictogramme visuel. Cela pourrait être réalisé sur les portes des chambre d’hôtels, dans la signalétique urbaine, dans un site de visite ou de loisirs, sur un circuit rando accessible…(un peu à l’image de la signalétique qu’on voit sur les toilettes qui est devenue une référence à laquelle on peut se raccrocher). Apporter des repères visuels, en s’assurant qu’ils soient bien compréhensibles, pourrait leur faciliter un peu plus leurs vacances.
Une autre source d’angoisse (pas pour eux mais pour leurs accompagnateurs), ce sont les achats. Acheter est pour certain.es difficile car il s’agit d’avoir une conscience claire de combien je peux dépenser et de ce que je désire vraiment acheter. A cela s’ajoute une certaine vulnérabilité lorsqu’ils tombent sur des commerçants peu scrupuleux. Acheter devient donc autant un plaisir qu’une source d’anxiété et il est difficile d’apporter à cette problématique une réponse unique, tant elle met aussi en lumière les limites de notre société de consommation. Mais pourrais-ton avoir une référence de commerçants sur la destination qui seraient véritablement à l’écoute de ces vacanciers, qui sauraient prendre soin de leur vulnérabilité en prenant le temps de les écouter et de les guider dans leurs achats ?
comment approfondir
Il y a également un sujet plus délicat à aborder, c’est celui du regard qu’on porte sur le handicap mental. Beaucoup de personnes en situation de handicap mental vivent en foyer, travaillent en ESAT et on a donc peu l’occasion de les croiser et d’échanger avec eux. Certains.es d’entres eux n’ont pas les codes sociaux pour entrer en relation et cela crée des situations parfois cocasses et plus ou moins bien acceptées par les autres personnes. On perçoit alors dans ces situations des regards parfois bienveillants mais parfois aussi accusateurs. Difficile de savoir si ils ou elles souffrent du regard qu’on peut leur porter. Mais comment pouvons-nous s’assurer que où qu’ils aillent on leur réservera un accueil chaleureux, où ils et elles seront les bienvenus ?
Entrer en relation avec la personne qu’on a en face de nous, nous challenge quand nous n’avons pas les codes mais cela challenge aussi notre rapport au temps. On ne va pas se mentir, pour bien comprendre, aider, accompagner, et répondre aux besoins d’une personne en situation de handicap mental, cela demande du temps. On ne va pas pouvoir préparer nos deux, trois questions cibles, y répondre et passer au suivant. Alors comment pouvons-nous faire pour accepter de donner un peu de notre temps ? Et comment dans la foulée pouvons-nous embarquer les prestataires volontaires pour travailler sur ce sujet afin que cela devienne un défi à relever à l’échelle de la destination ?
pour finir
Ce sujet est vaste et il y a encore de nombreuses autres thématiques à défricher. Il ne tient qu’à chacun.e d’ouvrir des espaces de conversation (en équipe, avec les partenaires) pour réfléchir sur ce qui peut être fait en faisant le pari qu’on puisse en attendre une belle récompense humaine et pas uniquement économique.
Parce que leurs vacances à eux, ce sont aussi des souvenirs créés autour de repas partagés, de chansons chantées à tue-tête, de nouveaux lieux explorés, de balades au marché, de sieste, … Cela parle d’amitié, d’amour, de joie, de désespoir, de frayeur, de plaisir, de fatigue, de liens qui se font et se défont… Parce que les vacances, c’est partir ailleurs, hors de son quotidien et que cela nous fait sacrément du bien peu importe de quelle façon nous les passons.
Aller plus loin
Si vous souhaitez aller plus loin sur cette thématique, vous saurez bien entendu trouver le chemin du label tourisme et handicap, ainsi que les lauréats du trophée du tourisme accessible qui peuvent vous inspirer de part leurs actions mises en place.
Il est aussi possible de s’immerger dans le quotidien des personnes en situation de handicap mental en accompagnant un groupe le temps d’une semaine l’été prochain. A mon sens, c’est une merveilleuse façon de comprendre véritablement leurs besoins. Les organisateurs de voyages cherchent des bonnes volontés et les profils touristiques sont les bienvenus.