Un grand-père fou c’est celui qui a le cerveau par-dessus les cheveux, c’est celui qui a toujours quelque chose dans la tête qui lui demande d’aller plus loin. Quelqu’un qui est une sorte de poésie vivante dans une certaine mesure. Qui a toujours besoin de sortir précisément de cette réalité matérielle, qui ne lui suffit pas. Tandis que l’autre justement il s’en contente très bien. Alors les deux font une humanité entière pour moi. Pierre-Jakez Helias, Cheval d’Orgueil
Une fois n’est pas coutume je démarre par une citation, qui m’a inspiré ce billet. Merci au grand écrivain bretonnant et francophone Pierre-Jakez Helias pour ces mots, qui nous rappellent la dualité qui existe en nous entre la raison et l’émotion, et plus encore que l’émotion le « grain de folie » qui rend la vie si savoureuse. Je ne sais pas si cette dualité est l’apanage des humains, mais elle en est un tout cas un marqueur fort, qui n’est pas sans conséquences sur nos métiers et notre façon d’accueillir.
Le touriste est il un homo sapiens comme les autres ?
Nos métiers tournent autour de l’accueil des visiteurs, de la promotion, de la commercialisation et du marketing, bref de disciplines et métiers « rationnels », où tout est globalement fait pour convaincre autrui de venir passer ses vacances ou moments de loisirs « chez nous », et ensuite de l’inciter à « consommer » le territoire, ses professionnels, ses activités…
Pour ce faire nous mettons en place une batterie d’actions relativement similaires d’un endroit à un autre, qui peuvent varier en fonction des tendances du moment et des politiques territoriales mises en place.
Notre sacro-saint rôle de « tiers de confiance » fait que nous dépensons notamment beaucoup d’énergie pour alimenter et mettre à jour des listings de professionnels, qui ont beaucoup perdu de leur impact depuis l’avènement de Google & co !
Nous nous adressons donc majoritairement au côté « rationnel » de nos visiteurs avec des informations « pratiques », réservant le versant « émotionnel » à l’avant séjour, en valorisant de belles images et de belles vidéos qui donnent envie de venir chez nous. Ensuite…
Ensuite ce qui se passe nous échappe dans une large mesure, l’organisation et le déroulement d’un séjour sur un lieu de vacances dépendant d’une infinité de facteurs que nous ne maitrisons pas, météo, attentes contradictoires au sein du groupe, hasard des rencontres dans la journée, « incidents » divers et variés qui chamboulent le programme, et aussi le « grain de folie » qui va tout un coup prendre le dessus sur ce qui avait été plus ou moins préparé pour voir la journée prendre une toute autre direction.
Ce « grain de folie » que j’appellerai aussi beaucoup plus simplement le « libre arbitre » de chaque individu fait que personne ne peut être réduit à un « sociostyle » ou une « persona ».
D’où la difficulté à anticiper les comportements, les saisons, et même à les expliquer a posteriori car nos outils d’analyse et d’observation sont bien incapables de mesurer des phénomènes liés au hasard et à l’impulsivité, à l’échelle d’un individu comme de milliers d’individus.
Quid de l’IA ?
L’IA qui est finalement un « double » rationnel beaucoup plus rapide et puissant que nous dans ses modes de raisonnement ne pourra par définition pas plus que de simples mortels anticiper et prévoir l’imprévisible, dès lors qu’il est régi par la part « non rationnelle » qui existe en chacun de nous.
Sans oublier ces « cygnes noirs » théorisés par l’essayiste libano américain Nassim Nicholas Taleb, qui illustrent le rôle du hasard dans les événements qui peuvent aussi bien orienter une journée que changer le monde.
Cette « imprévisibilité » de l’être humain, addition du hasard, des émotions et du « grain de folie » fait qu’une grande part de notre vie quotidienne et a fortiori de nos vacances échappera (sauf visio totalitaire du monde) à toute tentative de la sous-traiter à une intelligence « non humaine » . Raison pour laquelle à mon avis la plupart des applis et sites internet de séjour n’ont jamais vraiment décollé, c’est parce qu’une fois sur place la technologie est certes un support, indispensable dans de nombreuses fonctionnalités (transport…), mais qu’elle ne répond pas au besoin de se « laisser porter », de fonctionner par l’instinct, et les rencontres du moment, les recommandations de son voisin de table ou de bungalow à l’heure de l’apéritif, sans oublier celles des « autres habitants » chers à Clément Simonneau.
Quelles consequences pour nos metiers ?
D’abord la modestie, une « saison touristique » se joue aussi bien individuellement que collectivement sur une multitude d’aspects dont nous ne sommes pas maitres, qu’ils soient « macros » (géopolitique, économie, météo…) ou « micros ».
Ensuite, et peut être surtout, nous devons en permanence être à même d’alimenter le « champs des possible » de ces grains de folies, pas de côté et bifurcations qui font le sel des vacances, dont le déroulement puis le souvenir se construira autour de tous ces moments inattendus, une rencontre, un sourire, un plat, un paysage, un spectacle, un livre (moi perso j’adore les précos de Vincent Garnier !)
C’est ainsi que nous serons « utiles », et complémentaires de l’IA, qu’il nous faut absolument apprivoiser pour ne pas qu’elle nous dévore, et il y a du boulot, vu l’état des lieux que rédigeait il y a quelques jour Jean Luc Boulin sur le sujet.