Saviez-vous que le français est parlé dans l’ensemble des provinces et territoires du Canada, et pas uniquement au Québec ? Et qu’il existe une pluralité de cultures francophones à travers le pays ? Cependant, cette richesse n’est mise en valeur que depuis quelques années par l’industrie touristique canadienne. Dans un pays où le français est l’une des deux langues officielles, cela peut paraitre surprenant, non ?
Je me présente, Aude Lenoir, fière Bretonne franco-canadienne, portant un grand intérêt pour le développement touristique des destinations. Avec mon équipe chez TouriScope, présente au Québec et au Nouveau-Brunswick, nous aimons décortiquer les enjeux qui touchent l’industrie touristique canadienne et réfléchir aux façons de mieux travailler ensemble.
En ce mois de la Francophonie, j’ai voulu comprendre pourquoi celle-ci semble peu mise de l’avant par les acteurs touristiques canadiens hors Québec. Cette réflexion s’applique à tout pays qui souhaite mettre en tourisme sa multiculturalité. Ce qui concerne pas mal de pays!
Une question de survie avant tout ?
Au Canada, en particulier en dehors du Québec, on ne parle pas de l’avenir de la langue française, mais plutôt de sa survie… Malgré la Loi sur les langues officielles du gouvernement canadien, qui garantit une égalité de statut du français et de l’anglais, les communautés francophones à travers le pays doivent constamment revendiquer leurs droits, au risque de se voir un jour assimilées à la majorité anglophone.
Même si la grande majorité des Canadiens de langue maternelle française vivent au Québec (85,5 %), près de 1,15 million réside dans les autres provinces et territoires du pays. Mis à part au Nouveau-Brunswick (seule province officiellement bilingue), où les francophones représentent près du tiers de la population, ces Canadiens ne comptent que pour 0,5 % à 4,5 % des habitants de leur province ou territoire !
Malgré tout, la francophonie est bien implantée dans l’ensemble du Canada. Il y a plus de 300 communautés francophones en situation minoritaire* qui bénéficient de supports adaptés à leurs enjeux. RDÉE Canada est l’organisme national qui soutient leur développement économique, en collaboration avec leurs partenaires locaux. Il s’agit du Réseau de développement économique et d’employabilité dédié aux communautés francophones et acadienne en dehors du Québec. Le tourisme est une de leurs priorités, tant pour le développement que la promotion touristique.
*Communautés de langue française en situation minoritaire qui possèdent au moins une école dont la principale langue d’enseignement est le français.
Création d’un projet fédérateur
Bien que quelques initiatives de promotion de la culture francophone sont recensées dans certaines provinces et territoires, de tels projets à l’échelle nationale n’existaient pas avant que l’idée germe lors de la Conférence ministérielle sur la francophonie canadienne en 2015. Deux ans plus tard, lors du 150e anniversaire du Canada, le ministère du Patrimoine canadien confie à RDÉE Canada la réalisation d’un projet assurant le développement, la mise en valeur et la promotion du tourisme francophone au Canada : le Corridor patrimonial, culturel et touristique francophone, aujourd’hui rebaptisé Salut Canada.
Il s’agit d’un ensemble de plus de 400 éléments patrimoniaux, produits culturels et touristiques francophones, sélectionnés pour proposer aux visiteurs des services en français. Il a nécessité un investissement de départ de 2,4 millions de dollars et a regroupé 400 partenaires et spécialistes sur 2 ans pour réaliser ce qui semblerait être le premier inventaire du patrimoine francophone matériel et immatériel hors Québec !
Outre la traditionnelle liste d’attraits géolocalisés par thématiques sur une carte, il y a également des fiches présentant l’histoire des communautés francophones :
De cet inventaire ont ensuite été retenus les attraits pouvant être mis en marché. Alain Brosius, qui fut responsable de donner vie au Corridor chez RDÉE Canada, m’expliquait en entrevue que pour le commercialiser sur les marchés francophones, il fallait aussi garantir un accueil en français dans ces attraits. Un système de classification des services en français a alors été développé et validé par plusieurs tour-opérateurs français. En plus des attraits culturels et patrimoniaux francophones, le Corridor inclut également les attraits phares de chaque province et territoire qui sont aptes à prodiguer des services en français. Et ce, afin d’offrir une diversité d’expériences aux visiteurs.
Malheureusement, la Covid-19 a bouleversé les plans et aujourd’hui le Corridor n’est toujours pas commercialisé…
Un projet moins flamboyant qu’à ses débuts?
Malgré les très bonnes intentions de départ des différents partenaires impliqués (soulignons le fait que le Corridor est intégré au Plan d’action pour les langues officielles – 2018-2023), aujourd’hui il s’agit d’un site Web B2C qui sert principal d’outil d’inspiration. Destination Canada, le DMO national, n’en fait pas même allusion sur son site Web et il semble très peu connu des autres acteurs de l’industrie touristique et des voyageurs. Une statistique* assez éloquente révèle que près de la moitié des Québécois ayant voyagé dans le reste du Canada au cours des cinq dernières années n’ont jamais entendu parler de l’offre touristique francophone et bilingue canadienne en dehors du Québec.
*Enquête sur le tourisme francophone et bilingue au Canada, RDÉE Canada, 2023
Actuellement, les efforts se concentrent davantage à permettre aux touristes francophones de visiter le pays dans leur langue qu’à valoriser la culture et le patrimoine francophone. Chantal Nadeau, responsable de la plateforme chez RDÉE Canada, sensibilise même les attraits anglophones à offrir des services en français, ce qui reste d’ailleurs assez ardu dans le contexte de pénurie de main-d’œuvre…
Manquant de moyens pour le déploiement de Salut Canada, elle concentre présentement ses efforts à commercialiser la Route Champlain auprès des tour-opérateurs français, en collaboration avec la Société Économique de l’Ontario. Il s’agit d’une route touristique en Ontario qui suit le parcours emprunté par l’explorateur français Samuel de Champlain et qui conduit le visiteur vers la découverte du terroir, du patrimoine bâti et d’entreprises de plein air. Le projet est beaucoup plus avancé que Salut Canada et a le potentiel d’agir comme une locomotive pour propulser le reste du projet.
Malgré les écueils et le ralentissement du projet, certains acquis sont à relever, notamment le fait que le ministère du Patrimoine canadien comprend les avantages du bilinguisme pour le développement touristique. Cependant, il semble difficile d’être optimiste pour l’avenir de Salut Canada. Accès difficile aux ressources et au financement, produits touristiques de qualité inégale entre les provinces et territoires, patrimoine méconnu, manque de vision et d’intérêt des différents paliers gouvernementaux, leadership qui fait défaut, environnement anglophone omniprésent, etc. Devons-nous craindre pour sa survie, tout comme la langue française dans le pays ?
Un grand merci à Chantal Nadeau, conseillère en développement économique et employabilité – projets en tourisme – RDÉE Canada et Alain Brosius, expert en développement touristique, marketing stratégique et fondateur de tourismexpansion, pour m’avoir éclairée sur le sujet.