Pénurie de main d’oeuvre, marketing et tourisme

Publié le 2 mai 2022
8 min

Bon, rien qu’avec ce titre, j’espère avoir capté votre attention, ou à tout le moins votre curiosité. Ce n’est pas compliqué, la pénurie de main d’oeuvre – certains parlent de la rareté de la main d’oeuvre, voire de la Grande Démission – est sans contredit LE plus grand problème dans notre industrie en ce moment. J’exagère? Parlez-en aux hôteliers, aux restaurateurs, aux attraits et événements qui cherchent des bénévoles, des sauveteurs, des femmes de chambre, cuisiniers, plongeurs ou tout autre employé saisonnier (et même à temps plein) en ce moment. C’est la catastrophe!

Travailler dans le domaine de l’accueil et de la restauration, une carrière qui perd du lustre?

Car voyez-vous, on a beau produire les plus belles vidéos de destination, créer la demande avec de nouvelles expériences et infrastructures, ramener les liaisons aériennes et tutti quanti… à quoi bon s’il n’y a pas d’employés sur le terrain pour servir les clients en terrasse ou pour animer le tout nouveau jeu d’évasion ou musée de la région?

D’où origine le problème?

Certains prétendent que c’est en raison de la pandémie que l’on vit cette crise actuelle. C’est faux. En fait, la pandémie a certes joué un rôle en exacerbant certaines particularités moins appréciées du travail dans notre industrie, notamment l’obligation de bosser les soirs, fins de semaine et jours fériés. Le télétravail, et surtout l’exercice d’introspection que plusieurs ont effectué au cours des deux dernières années, en mènent plusieurs à démissionner de leur boulot – un phénomène que les Américains appellent The Great Resignation, ou la Grande Démission.

On parle de millions d’employés qui ont décidé de quitter le milieu du travail pour se réorienter, au cours des derniers mois surtout (depuis la fin 2021, en fait). Et c’est le milieu de l’accueil et la restauration qui est le plus durement éprouvé!

Source: Statistiques Canada, tel que rapporté dans le rapport de la BDC « Comment s’adapter à la pénurie de main d’oeuvre », 2022.

Mais dans les faits, cette pénurie de main d’oeuvre était prévue de longue date car elle est surtout basée sur une réalité socio-démographique. Il y a plus de gens âgés quittant le milieu du travail que de jeunes qui viennent compenser ces pertes. Ce phénomène était déjà observable au début des années 2000, et il est à son paroxysme en ce moment. Pointe qui devrait durer jusqu’à au moins 2030 – eh oui, les amis, on n’est pas sorti de l’auberge…

Je rédigeais d’ailleurs cet article sur mon blogue à ce sujet… en 2019! Lire: Marketing et pénurie de main d’oeuvre

Le marketing RH à la rescousse (en partie)

Évidemment, il n’existe pas de solution simple à un problème aussi complexe. Les gouvernements seront appelés à intervenir et aider les institutions et entreprises à naviguer dans ce nouveau monde, et les employeurs devront rivaliser de créativité afin d’attirer ET retenir leurs employés. Ce qui ne sera pas une sinécure dans un contexte où l’on peut bouger sans crainte de se trouver un nouvel emploi ailleurs.

Je rédigeais cet article en anglais sur mon blogue l’an dernier, intitulé 5 ways to mitigate shortage of labor in hospitality. J’y évoquais cinq solutions potentielles pour remédier à la pénurie de main d’oeuvre, du moins en partie. Permettez que les résume ici, de manière plus succincte (et en français):

Automatisation et robotisation

Une récente étude de la firme McKinsey le confirme: l’industrie touristique est à la traine dans son virage numérique. Sous-investissement dans les infrastructures technologiques pour les entreprises du secteur, et sous-investissement dans le marketing numérique également, quand on se compare aux autres industries.

Qu’on le veuille ou non, une partie de la solution pour contrer cette pénurie de main d’oeuvre passe par le remplacement des tâches… par des robots, ou une certaine forme d’automatisation des processus. Est-il encore nécessaire de s’enregistrer à la réception d’un hôtel pour obtenir sa clé de chambre alors que les locations de chalets et autres Airbnb ont démontré qu’il est possible d’automatiser cette étape, par exemple.

Exemple de bar à vin en libre-service, Hotel 71 (Québec).

Améliorer la proposition de valeur pour l’employé (PVE)

Exemple de prime d'embauche, Restaurants McDonalds
Exemple de prime d’embauche, Restaurants McDonalds

C’est l’aspect sur lequel la plupart des entreprises ont un levier direct. On peut augmenter le salaire de base, proposer des incitatifs de performance, mettre en place un programme de référencement ou une prime à l’embauche. Mais également offrir des journées de congé pour faire du bénévolat, proposer de la formation continue, s’impliquer dans la communauté à travers différentes initiatives, etc.

On sait que le salaire est un élément important, mais de moins en moins le plus important. Les plus jeunes générations – Milléniaux et Z – recherchent l’esprit d’équipe (bosser avec des amis) et la quête de sens – on veut sentir qu’on fait une différence, que notre boulot a une véritable valeur. Est-on prêt à s’adapter à cette réalité?

Embaucher différemment

L’été dernier, mon garçon de 12 ans travaillait au restaurant de sa mère, et cet été il a postulé pour bosser dans une crèmerie. Je connais plusieurs parents d’adolescents de 12-13-14 ans dont les enfants travaillent pendant les vacances d’été. C’est jeune, non? Oui. Et alors?

À l’autre bout du spectre, est-il normal de voir partir des employés bourrés d’expérience à 65 ans, parfois même à 60 ou 55 ans, simplement car l’heure de la retraite a sonné? Certains ne demandent qu’à rester en emploi, ne serait-ce qu’à temps partiel, mais plus souvent qu’autrement cela s’avère désavantageux sur le plan fiscal en raison des mesures d’impôt gouvernementales. Comment pourrions-nous les retenir, par du bénévolat, du mentorat auprès des jeunes, ou par un incitatif salarial?

Enfin, il y a tout le volet de l’immigration temporaire, avec des visas de travail lors de périodes de pointe. Ici au Canada les discussions vont bon train… mais trainent en longueur et lourdeur bureaucratique. Les solutions arriveront, peut-être, pour la saison estivale 2023. Si on est chanceux.

Miser sur une marque employeur forte

Quand on parle de marketing RH, on parle essentiellement d’utiliser les principes du marketing, mais plutôt que de les appliquer à attirer et fidéliser et retenir les consommateurs, on le fera afin d’attirer et fidéliser des employés. Les techniques vont ainsi peut-être varier un peu, tout comme les plateformes sur lesquelles on assurera une présence, mais les principes demeurent les mêmes.

Au même titre qu’on cherche à développer un positionnement de marque dans l’esprit du consommateur par l’entremise d’une marque forte – ce qu’on appelle le branding – on veillera ainsi à faire de même avec ce qu’on appelle une marque employeur, ou employer branding.

On voit de plus en plus d’entreprises touristiques rivaliser d’originalité à ce niveau pour faire vivre la marque employeur, notamment sur les divers médias sociaux. Certains optent pour les stories Instagram, d’autres envoient des newsletters mettant de l’avant les offres d’emploi alors que d’autres misent sur TikTok ou des journées spéciales de recrutement afin de communiquer leurs valeurs d’entreprise, tout en cherchant à combler des postes!

Ce travail nécessite toutefois un effort de longue haleine, tout au long de l’année. Pas seulement en avril et mai quand vous être à la recherche de la « perle rare » ou que vous recrutez massivement. Une marque employeur se construit au fil du temps, incluant par la gestion des commentaires et avis effectués sur diverses plateformes numériques.

Faire la promotion du travail dans notre industrie

Enfin, un dernier élément et non le moindre, consiste à faire rayonner les vertus du travail en tourisme. Une mission qui revient certes à tous les acteurs de l’écosystème, mais peut-être encore plus aux offices de tourisme et autres OGD qui travaillent au niveau macro, notamment avec des campagnes grand public.

Destination Québec Cité, et sa campagne d’influenceurs, été 2022

Ainsi, l’organisme de gestion de la destination pour la ville de Québec a récemment mis en ligne une campagne misant sur trois influenceurs, sur trois plateformes ciblées (TikTok, Instagram, YouTube), afin de parler spécifiquement aux jeunes utilisateurs de ces plateformes. L’objectif? Démystifier le travail en tourisme, en montrant « une journée dans la vie de » trois types de boulot pour lesquels on a toujours besoin de ressources.

Autre bon exemple, la destination de Tremblant, à environ une heure trente au Nord de Montréal, au Québec. Les commerces et acteurs de la destination se sont regroupés pour créer ce site web qui cherche à « vendre » le lifestyle de la région, et les raisons d’y habiter, bien avant de parler de travail. On y voit des témoignages d’individus qui expliquent pourquoi ils ont déménagé ici pour y vivre et y travailler. Et bien sûr, on y retrouve une section montrant toutes les offres d’emploi. On a néanmoins compris qu’il vaut mieux se regrouper pour attirer des candidatures que d’y aller chacun pour soi!

Site de recrutement de destination, Tribu Tremblant

Un travail de longue haleine

Si quelques éléments soulevés dans cet article peuvent aider dans votre démarche et réflexion, il va sans dire que le marketing RH n’est pas une panacée. Une vérité demeure toutefois: on fait un boulot dans une industrie qui est parmi les plus inspirantes et valorisantes, qui fait rêver tant de gens, et qui est remplie de beaux moments et de riches expériences. C’est l’heure de le faire savoir, chose que nous ne faisons peut-être pas assez, si vous voulez mon avis.

Évidemment, on doit faire attention à ne pas succomber au même syndrome qui guette le marketing auprès des consommateurs, soit de promettre quelque chose qu’on ne peut livrer, ou qui n’est pas fidèle à la réalité d’entreprise. À l’ère des sites de commentaires, blogues et autres médias sociaux, tout écart entre ce qui est vécu à l’interne et ce qui est promu à l’externe sera rapidement mis en lumière…

Bref, du plain sur la planche. Et si le marketing et les ressources humaines se tendent la main, on aura de meilleures chances d’avoir les talents au rendez-vous pour livrer la magie que procure le voyage aux yeux de ceux et celles qui le consomment!

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Frédéric Gonzalo est un passionné du marketing et des communications, oeuvrant depuis plus de 25 ans dans le monde du tourisme et du voyage. Début 2012, il fonde Gonzo Marketing et agit à titre de consultant en stratégie marketing, conférencier et formateur sur l’utilisation des nouvelles technologies (web, médias sociaux, mobilité). Il écrit régulièrement pour le bulletin TourismExpress ainsi que PAX Magazine, en plus de rédiger en anglais pour plusieurs [...]
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