Loin de moi l’idée d’heurter l’assemblée des lecteurs du blog Etourisme aujourd’hui à travers ce titre un brin provocateur. Il s’agit très certainement de mon dernier billet (à court terme du moins) sur le blog et j’ai choisi d’en faire un billet d’humeur, n’en déplaise aux lecteurs qui viennent chercher ici la bonne idée à transférer dans leur structure respective.
Cette idée de sujet m’est venue à la suite des différentes rencontres professionnelles (ET, UTD) auxquelles j’ai pu participer ces derniers mois et des discussions que j’ai pu mener avec plusieurs participants (merci à ceux qui se reconnaitront ). Elle résulte également de la fin de mon contrat avec Guest & Strategy qui m’amène à me questionner sur mon avenir professionnel, mes envies, mon rapport au travail et au secteur touristique plus particulièrement. Bienvenue donc dans cet article « introspection » !
Pourquoi ressentir de l’épuisement face au secteur touristique ?
Les annonces politiques
En ouverture des Universités du Tourisme Durable qui se sont tenues à Bordeaux en octobre dernier, la Ministre déléguée chargée de l’Économie du tourisme, Madame Marina Ferrari, a rappelé l’objectif de faire de la France la première destination mondiale de tourisme durable à l’horizon 2030. Sans rentrer dans le débat des indicateurs quantitatifs et qualitatifs derrière cet objectif (je vous laisse pour cela lire la tribune de Caroline MIGNON, Présidente d’ATD), nous nous questionnons plus ou moins tous derrière ces grandes annonces politiques que nous pouvons retrouver à des échelles plus locales (quelles sont les régions qui n’affichent pas cette même ambition ?). Si ces stratégies territoriales sont souvent pavées de bonnes intentions, est-ce pour autant suffisant ? Il existe déjà de nombreux articles sur ce blog qui traitent de la pertinence des actions portées au regard des enjeux sociétaux et climatiques auxquels nous sommes pertinemment confrontés. Ces questionnements peuvent nous amener à nous lasser d’entendre des discours de sensibilisation alors que l’urgence est là, tout de suite, maintenant. Dans cette même logique, que ressentons-nous lorsqu’au sein de notre propre structure, on ambitionne de porter une démarche RSE forte tout en continuant à mener des actions de communication à l’international ? Cette dichotomie du quotidien lasse, fatigue, déçoit…
Faire face au renoncement
Un autre sujet d’épuisement dans cette même lignée est notre incapacité ou difficulté à faire face au renoncement. Renoncer à des actions « prestigieuses » en termes d’image au bénéfice d’actions plus pragmatiques mais moins « glamour » est un challenge. De la même manière que savoir dire stop à des actions que l’on mène parce que « on a toujours fait comme ça et que cela demanderait un pas de côté beaucoup trop important ». Alors on rajoute de nouvelles missions, de nouveaux services, de nouvelles lignes à la stratégie et au plan d’actions de sa structure sans nécessairement faire ce choix du renoncement. Quelles conséquences sur les femmes et les hommes au quotidien ? Là aussi, un épuisement (aussi car il y a rarement des moyens humains et financiers supplémentaires derrière), un manque de sens dans les actions que l’on mène, souvent par manque de vision (stratégique, politique, etc.).
Sans cette réelle vision et sans une analyse fine du rapport effort/impact, on se lance chaque année dans de nouvelles actions, soit parce que le voisin en fait de même, soit parce que le plus haut placé dans la hiérarchie en a eu l’idée, soit pour ne pas brimer les initiatives individuelles, et parfois, seulement parfois, on analysera les résultats et les réelles retombées (qui ne sont pas nécessairement économiques, bien entendu).
Les décideurs
N’est-ce pas épuisant aussi de faire des études supérieures en ingénierie touristique pour aboutir à la mise en œuvre d’actions qui auront dû être validées (et encore, quand ce n’est pas dictées) par votre élu, professeur de technologie depuis 30 ans au collègue Jules Ferry ?! Celui-là même qui est devenu élu par des jeux de pouvoir au sein des conseils communautaires à base de « je te donne le tourisme et tu me laisses mener tel projet dans ta ville ». Celui-là même qui prendra la plupart de ses décisions par le prisme de son expérience de consommateur touristique (combien suivent des formations destinées aux élus dans ce domaine ?). Bien sûr, vous pourrez me dire qu’il s’agit de stéréotypes, que ce n’est pas partout comme ça et qu’il est du rôle du technicien d’apporter à ses élus les éléments d’aide à la décision. Mais combien parmi-vous n’ont absolument jamais été confrontés à cela ? Combien de projets ont-été portés à bout de bras par des techniciens investis et convaincus pour qu’ils soient finalement balayés d’un revers de main au premier changement politique (une petite pensée pour l’équipe de La Tangente qui avait proposé son retour d’expérience aux ET17 et qui a plié boutique après deux années d’existence).
Équilibre vie pro / vie perso
Enfin, d’un point de vue plus personnel, notre secteur d’activité impacte sans aucun doute notre vie personnelle. Qui n’a jamais eu l’impression de travailler lorsqu’il part en vacances (préparation du séjour, recherche du logement, visite de l’office de tourisme local pour s’inspirer, au grand désarroi du reste de la famille parfois !) ? Oui, il s’agit ici d’un problème de riche, je vous le concède. Mais quand est-il lorsque ce même secteur d’activité nous oblige à une mobilité géographique professionnelle dès lors qu’on souhaite changer de poste ? Combien de directrices et de directeurs d’offices de tourisme ont dû changer de vie à plusieurs reprises, embarquant avec eux femme, mari, enfants pour assouvir ce souhait d’un nouveau challenge professionnel ? Il peut parfois s’agir d’une obligation (CDD en EPIC) ou plus simplement d’une envie de renouveau en partant du principe qu’un regard neuf sur une destination, une structure fera le plus grand bien à tout le monde. Cette « bougeotte induite » ne serait-elle pas également une des explications à la large représentation de la gent masculine dans les postes de direction… Je vous laisse vous faire votre propre opinion à ce sujet. Quant aux salariés qui travaillent le weekend depuis des dizaines d’années, puisque nos accueils touristiques doivent rester ouverts « coute que coute », l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle semble mal embarqué. Et bizarrement, ce ne sont plus forcément des postes qui font rêver les nouvelles générations !
Vous allez me dire que ce portrait est à charge et vous auriez raison si je m’arrêtais ici. Mais il est vrai que ce tourisme qui nous exaspère parfois nous enthousiasme tout autant si ce n’est plus pour de multiples raisons.
Pourquoi Ce tourisme reste attachant malgré tout ?
En constante mutation
Quelle chance de pouvoir travailler dans un domaine qui évolue constamment, qui nous amène à nous questionner quotidiennement sur nos pratiques, sur les besoins et attentes des voyageurs et clients, de chercher la variable d’ajustement qui nous permettra d’y répondre le plus précisément possible. La période COVID en a d’ailleurs été une parfaite illustration : comment adapter son offre, son organisation, son accueil avec des contraintes réelles liées à la sécurité de tous ? Le dérèglement climatique nous amène de la même manière à nous questionner sur nos pratiques actuelles et à venir pour garantir une limitation de l’impact environnemental tout en maintenant la liberté de tout un chacun de se mouvoir dans l’espace. Vaste débat qui n’est pas prêt, me semble-t-il, d’être clos. Mais le challenge est exaltant !
Polyvalence d’expertises
En plus d’être en constante mutation, il s’agit d’un secteur d’activité touche à tout, ce qui en fait également sa grande richesse. Faire du développement touristique, c’est s’interroger sur l’accès aux vacances pour tous, la mobilité (douce), la dépendance de certains territoires à leur attractivité touristique, la coopération entre les acteurs publics et privés, l’attractivité culturelle et patrimoniale et le rapport aux nouvelles générations et bien plus encore. Cela demande de la curiosité, de l’empathie et un sens du travail en équipe. A travers le concept de pluri-hospitalité, Clément Simonneau nous offre un éventail de champs d’actions que chacun peut prendre en main sur son territoire pour faire du tourisme un levier d’attractivité certes mais aussi de cohésion et d’intégration territoriale.
L’humain avant tout !
Si le terme « industrie touristique » peut hérisser le poil de certains des lecteurs du blog, il faut rappeler avant toute chose que notre job est d’offrir les conditions optimales pour que chacun puisse partager des moments de plaisir. L’humain reste la base, le socle de la pyramide de Maslow du tourisme, que ce soit dans nos missions d’accueil, de management, d’accompagnement des prestataires (j’avais d’ailleurs écrit un article à ce sujet en 2023) ou encore d’organisation d’événements. Nous pouvons parler d’industrie, d’expertise, d’ingénierie, de Ministère, de politiques touristiques ou encore de stratégies territoriales, mais le tourisme se doit de rester à mon sens ancré dans des valeurs de partage, de découverte, d’ouverture et de fun. Les vacances sont des moments d’expérimentation qui construisent (lorsque cela est permis) les citoyens de demain.
Une filière de réseau
Ces moments de partage, ce sont aussi ce qui fait la richesse de notre réseau professionnel, que ce soit dans le secteur institutionnel ou entre acteurs publics et privés. Nous pouvons faire référence ici notamment au dernier article de Jean-Baptiste SOUBAIGNE sur les communs, preuve en est que notre secteur est particulièrement adapté à la coopération entre les acteurs, bien qu’il y ait sur certains sujets encore un peu de travail à mener sur ce front. Le tourisme est une filière de réseau ; un vacancier sera à un moment ou un autre en contact avec un hébergeur, un restaurateur, un commerçant ou encore un acteur du loisir. Ces différents socioprofessionnels ne peuvent exister sans cohabiter, sans coopérer, sans échanger entre eux. Et c’est là tout l’intérêt et toute la valeur ajoutée que peuvent proposer les organismes de gestion de destination, à l’heure où la bataille de la visibilité, si elle n’est pas complètement perdue, n’est plus forcément la force de frappe prioritaire de ces acteurs.
Des initiatives inspirantes
Enfin, des initiatives jaillissent ici et là pour donner de l’espoir et continuer à alimenter notre attachement commun à ce secteur d’activité qui porte des valeurs qui nous tiennent à cœur. Des destinations qui incitent à la mobilité douce (je pense notamment au CRT Normandie et à son dispositif Bas-Carbone), des dispositifs de solidarité en faveur des vacances accessibles à tous (coup de cœur pour le programme Jour pour Jour est porté par le Fond de dotation Essentiem) sont par exemple des initiatives impactantes et positives à mon sens.
J’en ai fini de ce billet d’introspection qui ne vous apportera que très peu de surprises et de découvertes mais qui permet parfois de prendre un peu de hauteur vis-à-vis de notre quotidien professionnel.