Je suis certain que vous connaissez tous une Mamie Gisèle parmi vos partenaires hébergeurs. Cette propriétaire de gîte de la première heure, qui, il y a vingt ans, misait tout sur l’office de tourisme pour trouver des clients. Aujourd’hui, elle ne vous regarde plus du même œil, vous accusant sans détour d’être responsable de son planning vide. Mais, vous comme moi, savons que le vrai problème est ailleurs. Mamie Gisèle est simplement restée coincée à l’époque des Skyblog et téléphones à clapet.
Dans cet article, je vous propose un feedback sur 20 ans de révolution touristique, avec des arguments objectifs et concrets pour expliquer la situation à Mamie Gisèle (qu’au fond, on aime bien), et des pistes pour l’accompagner vers le changement.
Ce billet s’inspire de la conférence que j’ai eu le plaisir d’animer avec Charlotte Genet et Elsa Brindazur lors des Rencontres Nationales du Etourisme à Pau, sur le thème : « 20 ans de révolution touristique, le grand virage des gîtes et chambres d’hôtes ». Avec un autre point de vue : celui des OGD face à Mamie Gisèle !
1. La part de gâteau a été réduite pour tous les hébergeurs
Dans mon quotidien, je suis témoin des défis croissants auxquels sont confrontés les propriétaires de gîtes et chambres d’hôtes face à la multiplication quasi exponentielle du nombre d’hébergements depuis 20 ans. Je vous en parlais déjà en mars 2023 dans mon article sur la croissance insolente des locations saisonnières.
Une explosion du marché en 20 ans
En 2004, l’INSEE dénombrait environ 150 000 meublés de tourisme classés ou labellisés en France. Aujourd’hui, ce chiffre atteint près de 1,2 million, selon le ministère de l’Économie.
Airbnb, en particulier, illustre cette explosion. En avril 2020, la plateforme comptait environ 460 000 annonces en France. Aujourd’hui, ce chiffre dépasse le million et positionne la France dans les plus gros marchés d’Airbnb au monde.
Pourquoi une telle explosion du marché des hébergements touristiques ?
Cette croissance hallucinante est le fruit de plusieurs évolutions majeures sur ces deux dernières décennies.
- 2006 : la montée en gamme des hébergements
Dès les années 2000, des aides publiques ont encouragé la montée en gamme des gîtes et chambres d’hôtes. De nombreux établissements ont ainsi pu rénover, moderniser et embellir leur offre afin d’attirer une clientèle plus exigeante.
- 2009 : la création du statut d’auto-entrepreneur
L’instauration de ce statut a facilité l’entrée de milliers de Français dans le secteur du tourisme. Ils peuvent désormais légalement mettre à la location un bien immobilier sans les contraintes lourdes de la création d’une société.
- 2010 : l’entrée fracassante d’Airbnb
La plateforme de location entre particuliers a littéralement bouleversé le secteur. Avec une simplicité d’usage pour les propriétaires et une visibilité mondiale, Airbnb a permis à de nombreux voyageurs d’accéder à un marché jusque-là réservé aux professionnels. Ce modèle a spécialement séduit une clientèle jeune et urbaine qui avait déserté les gîtes jugés démodés.
- 2011 : l’intégration des chambres d’hôtes sur Booking
À partir de cette date, la plateforme a offert une visibilité accrue aux gestionnaires de chambres d’hôtes et de gîtes. Ce changement a rendu ce type d’hébergement accessible à des voyageurs qui ne l’auraient peut-être jamais envisagé autrement.
- 2020 : la crise de la Covid-19
La pandémie a eu un effet de bascule sur les habitudes touristiques. Les voyageurs, en quête d’espaces plus intimes et isolés, se sont tournés en masse vers des locations indépendantes et individuelles.
- 2022 : l’essor des conciergeries locatives
Face à la demande croissante des propriétaires d’un service clé en main et aux exigences accrues des locataires, les conciergeries locatives se sont développées depuis deux ans.
- 2023 : la crise financière et inflationniste
Elle pousse les propriétaires, qu’ils soient de résidences principales ou secondaires, à ce que leurs biens immobiliers deviennent non plus une source de charges, mais une source de profits — ou du moins qu’ils puissent couvrir une partie de leurs charges courantes.
Bilan : un marché saturé et une concurrence sans précédent
En l’espace de 20 ans, le nombre de biens disponibles à la location saisonnière a été multiplié par huit. Cette croissance spectaculaire de l’offre s’est traduite par une concurrence intense, et surtout, une nécessité de se démarquer. Aujourd’hui, il ne suffit plus de proposer une chambre bien placée : les attentes des voyageurs ont évolué, et les standards de qualité ont été redéfinis. Pour continuer à attirer des clients, même les hébergeurs historiques comme Mamie Gisèle doivent adapter leurs pratiques et investir dans leur positionnement face à cette « part de gâteau » de plus en plus disputée.
2. Les gîtes et chambres d’hôtes sans âme sont désormais boudés par les voyageurs
En 2004, il suffisait à Mamie Gisèle de proposer quatre murs, un lit et quelques meubles hérités de la grand-mère pour remplir son planning de réservations. Mais aujourd’hui, comme je l’expliquais dans mon article Le renouveau inévitable (et vital) de la chambre d’hôtes, c’est une autre histoire. Dans l’océan des offres, ces hébergements vieillots et sans identité sont noyés dans la masse.
Les nouveaux venus dans le secteur préfèrent dégoter la pépite qui séduira de nouveaux voyageurs plutôt que de se rendre au club de tricot. En effet, ils ressemblent plus aux familles urbaines qui, fatiguées du métro-boulot-dodo, troquent leurs vies de citadins contre la création d’un gîte en pleine nature. Ou ils portent des costumes très chic et investissent dans des locations pour des avantages fiscaux et des profits.
Aujourd’hui, Mamie Gisèle doit jongler avec ces nouveaux profils. Pour sortir son épingle du jeu, elle a tout intérêt à miser sur un concept différenciant. Car les voyageurs ne veulent plus seulement un endroit où dormir ; ils cherchent une expérience, une histoire, quelque chose qui résonne avec leurs valeurs et leurs envies du moment.
Certains hébergeurs l’ont bien compris :
- Graines de Nature propose à ses hôtes de séjourner dans des écolodges pour une reconnexion à la nature. Mais au lieu de cibler les écolos convaincus, ils ont choisi de s’adresser aux voyageurs moins initiés, mais curieux de ce mode de vie. Leur façon à eux de semer des graines pour le futur…
- Le Mas de Kyoto repose sur un concept alliant les cultures japonaise et provençale pour créer un lieu de sérénité et d’échange culturel. En mêlant esthétique minimaliste et art de vivre méditerranéen, ils offrent aux voyageurs une expérience de dépaysement unique.
- La Maison des Créateurs se présente comme une bulle de respiration, un espace dédié à la créativité et aux échanges pour les entrepreneurs. Ce positionnement audacieux répond à un besoin de nombreux d’entre eux, souvent pris dans un rythme effréné, qui n’ont que rarement l’occasion de faire une pause.
Montrez ces exemples à Mamie Gisèle. Ils lui prouveront qu’on peut remplir un planning avec un concept affirmé.
3. Il est de plus en plus difficile d’exister sans stratégie marketing offensive
En 2004, élaborer un plan marketing était bien loin des préoccupations de Mamie Gisèle. Elle n’avait qu’à se référencer auprès de son office de tourisme, un label et éventuellement un annuaire en ligne pour afficher un excellent taux d’occupation. Cette visibilité suffisait à générer des ventes directes à moindre coût.
Depuis, les règles du jeu ont bien changé et sont même devenues un peu cruelles. Avec plus d’efforts, les hébergeurs atteignent aujourd’hui des résultats identiques, voire moindres.
Comme le démontrent ces exemples de plan marketing (2004 vs 2024), il est indispensable de démultiplier les canaux de communication pour attirer des voyageurs.
Ne vous privez pas de partager cette illustration « avant/après » à Mamie Gisèle. Elle comprendra alors que si son gîte reste vide, ce n’est pas parce que les conseillers en séjour privilégient la location du président de l’office de tourisme… Une situation qui, je le sais, en fera sourire plus d’un·e parmi vous !
Et qu’on soit d’accord ou pas, les technologies n’ont pas fini de bouleverser le métier. L’intelligence artificielle ou les logiciels de yield management sont maintenant à portée de tous. Les plateformes de vente en ligne se réinventent en permanence. Dans les prochaines années, les robots pourraient bien accueillir les hôtes à la place de sa boîte à clés.
Bref, Mamie Gisèle va devoir s’adapter au risque de fermer définitivement la porte de son gîte. Heureusement, elle peut encore compter sur son office de tourisme pour l’accompagner. C’est d’ailleurs sur cette remarque que je souhaite conclure cet article : comment, en tant qu’organisme de gestion de destination, vous adapter à ces évolutions et quel rôle jouer ?
Voici quelques pistes pour ouvrir le débat avec vos instances de décision.
- Renoncer à certaines missions : reconsidérez celles qui n’apportent plus de résultats significatifs par rapport aux efforts et au temps investis, comme la commercialisation.
- Se focaliser sur les enjeux de son territoire : est-ce que vos actions sont en lien avec la stratégie définie par les élus ?
- Explorer de nouvelles perspectives : ouvrez le champ des possibles en créant des récits innovants qui inspirent et attirent.
- Co-construire de façon évolutive : élaborez une offre agile, adaptée aux changements, au service d’un tourisme durable.
- Accompagner la transformation : plutôt que de lutter contre l’évolution du marché, saisissez l’opportunité de guider les prestataires dans cette transition.
À propos de ce dernier point, que diriez-vous de vous concentrer sur ce que vous connaissez mieux que quiconque : le marché local. Vous pourrez ainsi encore mieux aider Mamie Gisèle à faire évoluer son offre en répondant aux questions fondamentales : comment créer un projet rentable en phase avec ses valeurs et le territoire ? Quelle clientèle cibler pour son hébergement ? Qui est le paysage de la concurrence ? etc.
On se donne rendez-vous dans 20 ans pour en parler ?!?
> Le replay de l’atelier « 20 ans de révolution touristique, le grand virage des gîtes et chambres d’hôtes »