Le tourisme a toujours généré des critiques. Mais il est aujourd’hui l’objet d’un négatif grandissant, tant d’habitants que d’élus. La méconnaissance de l’ensemble de ses effets et la tendance au repli sur soi depuis le Covid 19 expliquent cela. En outre, le non départ en vacances des moins lotis n’émeut plus grand monde. Le recul des volontés en faveur du tourisme social à l’aune de l’augmentation de l’énervement général à l’égard des pratiques touristiques mérite une remise à l’heure des pendules. Essai de réinitialisation.
L’emploi sous tension
Tout d’abord rappelons les problèmes de ressources humaines avec 220 000 postes non pourvus en France. De son côté, l’Espagne peine à fournir 50 000 emplois et envisage de recourir à une main d’oeuvre étrangère. Les aéroports européens manquent également de compétences. L’été 2022 sera donc celui de la patience : à l’embarquement, au restaurant, au bar. Il s’annonce également comme étant celui de la frugalité automobile : l’inflation pille les portefeuilles au moment de remplir les réservoirs dont on a l’impression qu’ils se vident toujours plus vite. Néanmoins, les Européens repartent en masse et les Américains reviennent en Europe. Il faut dire que dans l’ensemble, les conditions de sécurité s’étant dégradées dans le monde au cours des dernières décennies, la carte du tendre du tourisme s’est desséché comme une peau de mue de lézard. Sur ce terrain des RH, une critique rapide souligne le fait que les salariés du tourisme sont exploités. La situation présente ne serait qu’un juste retour de la pièce. Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas la seule raison.
Le grand chambardement du Covid 19 se traduit pour beaucoup de salariés par une recherche de sens qui peut conduire à des changements brutaux de métiers et d’horizons. L’interrogation profonde, tout au moins en Europe, sur l’évolution de la vie dans un environnement de plus en plus contraignant (urgence climatique, guerre en Ukraine, coûts du logement, inflation générale, famine annoncée dans certaines parties du monde…) joue sa partie en défaveur de l’engagement serviciel des métiers du tourisme. Tout cela contribue à donner une image mitigée, voire négative, du tourisme. D’autant plus que le secteur est désormais sous surveillance au regard de ses émissions de GES. Les media interrogent d’ailleurs de plus en plus le tourisme sous son prisme des impacts négatifs. Rarement les caractéristiques positives sont invoquées, nous rendant ici potentiellement des criminels de l’occupationnel consumériste.
La fréquentation à l’index
La lecture croisée de récentes études (notamment Insee Première n°1871, août 21 consacrée aux résidences secondaires et La Note d’Analyse n°106 de janvier 22 de France Stratégie, consacrée à l’attractivité des villes moyennes) peut aider à mieux saisir les commentaires aigres-doux de citoyens énervés par l’activité touristique que l’on lit dans la presse. Je vous renvoie à ces documents pour le détail. Si l’on couple des éléments sociaux-démographique conduisant à l’installation dans des villes balnéaires attractives, à l’évolution du pouvoir d’achat, à la projection d’un avenir personnel meilleur en s’éloignant des contraintes métropolitaines, à des entretiens que nous avons ici et là en France dans nos dossiers de stratégies de développement territoriales, nous voyons émerger une propension à la critique facile du tourisme.
Le tourisme est devenu l’élément central de concentration des nouveaux maux :
- il attire du monde y compris en dehors de la haute saison : il est vrai que les statistiques de fréquentation traduisent maintenant une activité en forte progression au printemps et en automne, périodes traditionnelles de calme et de bénéfice d’usage pour les locaux
- il modifie la structure démographique en réduisant les capacités de logement permanent : en zone côtière, il est tellement plus avantageux de prioriser le meublé touristique dans les 120 jours autorisés, voire débordés, que la location permanente pour de l’habitat permanent
- il augmente la valeur du foncier et de l’immobilier dont on se plaint mais dont on bénéficie aussi dès lors que l’on est propriétaire et que l’on rêve à la plus-value potentielle
- il crée des embouteillages et des places de concentration que l’on préférerait garder pour soi, quitte à ne pas s’y rendre, mais enfin, « c’était mieux avant les touristes »
- il entraine l’installation de nouvelles populations aux comportements plus urbains, demandeurs de nouveaux services et déstabilisant la quiétude soit vécue, soit plus souvent idéalisée (Jean Viard a démontré depuis longtemps l’évolution du statut de vacancier à celui de résident secondaire, puis d’habitant dans l’espace historique et personnel des vacances)
- il permet de faire corps contre quelque chose qui est exogène et n’expose pas à des critiques frontales avec ses voisins : courage, fuyons, le pénible c’est l’autre, celui d’ailleurs, et bien entendu, entre soi, on se comprend
- et bien d’autres considérations
Tout cela a été initié par les positions de certaines agglomérations méditerranéennes à l’issue de la crise des subprimes quand leurs populations avaient du mal à joindre les deux bouts alors que longtemps encouragées et financièrement aidées, les compagnies low cost avaient démontré leurs forces de frappe en livrant des hordes de consommateurs peu soucieux des communautés accueillantes. Les définitions du surtourisme ou de la surfréquentation ont eu droit aux media et ont propagé l’idée, y compris là où ne s’était jamais posé la question de l’intensité touristique, que le tourisme est un fléau. Et ses acteurs des pyromanes. On ne compte plus les plaintes de voisinage pour l’ambiance sonore, les encombrements routiers, les places de parking saturés, l’inflation des prix, les tags muraux vengeurs, voire les manifestations.
Le nombre de situations dans lesquelles on nous cite plus de problèmes que d’avantages commence à monter. Le thermomètre de l’acceptation peut s’affoler quand on se retrouve dans des démarches imposant des rencontres avec des habitants. Certains feraient mieux de faire comme les touristes tant critiqués : à savoir de rester chez eux 🙂 Avoir son mot à dire est certes un droit, la fermer peut s’avérer une nécessité dans certains cas. On en oublie les apports du tourisme à l’économie locale (heureusement qu’il y a des touristes pour disposer d’une pharmacie à l’année, la boulangerie fait son beurre pendant l’été et fournit de magnifiques chocolatines en hiver grâce aux estivants, on peut encore se féliciter d’avoir 3 restaurants dans la commune, grâce aux touristes…). Une nouvelle pédagogie sur les impacts positifs du tourisme paraît souhaitable car actuellement sur la balance du marchand de primeurs, on y voit de plus en plus de prunes et de gnons. Et là, chers OGD vous avez un travail important à conduire !
Et les enfants pauvres dans tout ça
Autant certains veulent faire le grand ménage du tourisme devant leurs portes, autant la préoccupation du bénéfice des vacances pour les défavorisés intéresse de moins en moins. Vacaf, Unat, ANCV, Bourse Solidarité Vacances, ne sont pas des gros mots. Qu’il est loin le temps de Michelle Demessine et de ses actions pour que les enfants de familles populaires puissent partir en vacances. La politique sociale du tourisme est moribonde et c’est bien dommage. Elle apportait un vrai service et contribuait à faire comprendre que l’univers du tourisme n’est pas que mercantile. Ses apports aident à la compréhension de l’autre, produisent de la joie de vivre et de l’ouverture au monde. Le tourisme d’aujourd’hui révèle un manque de générosité et d’altruisme. L’acceptation de l’autre s’efface au profit de l’énervement. L’urgence climatique occupe les écrans et efface d’autres sujets d’importance. La pollinisation sociale du tourisme ne tient plus qu’à quelques vaillantes organisations. Une mine d’information à lire sur l’Observatoire des Inégalités. https://www.inegalites.fr/
Au sein d’Emotio Tourisme, Camille Huc a effectué un recensement comparatif avec l’univers sémantique du tourisme durable dans ce blog. Peu importe la formulation (tourisme responsable, écologie, environnement…), mais au cours des 12 derniers mois (de mai 2021 à mai 2022), 40% des articles de ce blog ont été consacrés à ce sujet sur un total de 147 articles. Ce n’est pas rien et nous y avons largement contribué mais nous avons aussi constaté que les articles consacrés au tourisme social, étaient quasi absents. Si l’acceptabilité du tourisme est à retravailler à l’échelle locale, celle de l’engagement en faveur d’un tourisme résolument social l’est aussi. L’autre, celui qui vient d’ailleurs n’est pas qu’un porteur de mauvaises nouvelles. Et l’engagement des territoires en faveur des plus démunis serait possiblement une manière de se rappeler le bien fondé des vacances, du tourisme, de l’élévation que ce champ peut apporter. Le touriste n’est pas qu’aisé et agent perturbateur. Une mission d’ouverture, d’acceptation et d’entraide serait bienvenue.