Oui oui, c’est bien ce que nous propose Rémy Knafou, à travers son ouvrage paru en avril 2021, avec pour sous-titre « Sauver nos vacances sans détruire le monde« .
Pour l’autodidacte que je suis, formé au tourisme par le prisme du numérique depuis 20 ans, je dois confesser que l’illustre Professeur Émérite, fondateur et directeur en 1993 de l’équipe de recherche précurseur Mobilités, Itinéraires, Tourismes, et rédacteur d’une thèse soutenue en 1978 sur les Stations intégrées de sports d’hiver des Alpes françaises, m’était inconnu !
Ses interventions répétées ce printemps et cet été sur les plateaux radio et télé, et quelques citations « d’amis » facebook, m’ont conduit à commander son ouvrage, et au final à lui proposer de venir conclure par ses réflexions nos 17èmes Rencontres Nationales du etourisme à Pau, le mercredi 13 octobre 2021, ce qu’il a aimablement accepté.
Dans cet ouvrage synthétique, clair et à la lecture agréable, Rémy Knafou nous enjoint à repenser le modèle, basé sur le quantitatif, toujours plus, plus loin, qui va inexorablement dans le mur, et considère la crise sanitaire davantage comme un révélateur des faiblesses structurelles et une invitation à réagir fortement.
Selon lui, après l’invention du tourisme dans l’Europe du XVIIIème, sa démocratisation un siècle plus tard et surtout à partir de 1950, puis sa mondialisation et sa massification avec une mise en tourisme totale qui s’est poursuivie jusque-là, accélérée par le numérique et la densification de la population globale en général, de touristes en particulier, il est temps de songer à une IVème Révolution touristique, et de changer de logiciel.
La fuite en avant du tourisme est aujourd’hui incompatible avec la notion de durabilité et d’écoresponsabilité (il en profite d’ailleurs pour fustiger certains vendeurs de tourisme durable, et considèrent que les micro-actions positives ne peuvent contrebalancer l’économie globale), mais aussi son acceptabilité par les populations locales qui souffrent de la surfréquentation de leur lieu de vie.
Rémy Knafou estime qu’il est compliqué et délicat d’agir sur les touristes eux-mêmes, bien qu’il cite les exemples de responsabilisation de l’Icelandic Pledge ou du Palau Pledge (spéciale dédicace à mes amis Pierre Eloy et François Perroy avec qui nous utilisons couramment ces deux illustrations depuis quelques années). Mais il conçoit, fait assez rare dans les discours ambiants, qu’il sera compliqué d’agir de même avec les touristes chinois ou indiens (la Chine étant le premier émetteur mondial) qui ambitionnent de découvrir le monde comme nous l’avons fait préalablement.
Il estime que les deux autres leviers actionnables sont les destinations elles-mêmes, et le maillon central qu’est le transport.
Réguler le transport, faire payer le juste prix de l’avion malgré les lobbys (le kérosène est le seul carburant non taxé, des collectivités continuent de financer/subventionner des compagnies low-cost par des biais plus ou moins détournés pour qu’elles installent une ligne sur leur territoire), limiter les accès de croisiéristes, de visiteurs sur un territoire donné, davantage taxer, notamment les « frequent flyers » ou amateurs de longs courriers réguliers, certes peu nombreux numériquement mais incroyablement pollueurs, font partie de solutions, mais qui nécessiteront des accords avec l’industrie, localement ou plus largement, voire même des accords internationaux.
Agir sur les destinations semble donc la voie à privilégier, d’où notre intérêt pour cet ouvrage !
Faut-il limiter la croissance d’une destination ? Grande est la tentation, lorsqu’une destination est « pleine » durant l’été, de recourir à l’étalement géographique et à l’investissement pour créer de nouveaux lits, de l’emploi, et à terme de la richesse ? Rémy Knafou préconise d’y réfléchir en prenant en compte les différents types de destinations, et qu’il s’agira souvent d’une fausse bonne idée ; tout d’abord car les touristes continuent de se concentrer dans les endroits les plus « désirables », et même aujourd’hui « instagrammables », et que l’on risque ce faisant d’étaler également les nuisances qu’apportent les touristes sur des zones qui en étaient jusque-là préservée. Néanmoins, il objecte que ce qui peut ne pas fonctionner à l’échelle d’une ville par exemple, peut s’avérer plus payant à l’échelle d’une région, d’un espace rural. Et a contrario, il milite pour une densification des stations, prenant pour exemple le gigantisme de certaines (Benidorm), qui permettent de limiter en un espace restreint les nuisances, de mieux organiser les différents services et générer des économies d’échelle, dans la mesure où cela continue de correspondre à une certaine demande.
Le serpent de mer de l’étalement de la saison ne constitue pas pour Rémy Knafou une solution, dans la mesure où il méconnaît les touristes eux-mêmes, ne correspond pas au souhait des professionnels (qui travaillent comme des fous pendant six mois avant de fermer boutique pour aller se reposer), ni même des habitants qui conçoivent partager leur joyau pendant les mois estivaux pour pouvoir en jouir tranquillement le reste de l’année… Et l’auteur de citer cette chanson de Gilbert Bécaud de 1978 qui n’a pas pris une ride et que je ne résiste pas à vous mettre en vidéo (et ça fera une illustration dans ce billet qui en est quelque peu dépourvu…) !
Rémy Knafou cite ensuite en exemple des destinations qui ont pris des mesures drastiques pour limiter, endiguer les flux et les nuisances qui en découlent, et notamment Amsterdam (que nous avons accueilli lors des #ET15), l’Islande (présente pour les #ET14) ou encore Copenhague (eux, c’était les #ET13 !). Agir contre la gentrification et l’Airbnbisation de quartiers complets au détriment de la vie locale, interdire l’exploitation de certaines activités ou l’installation de nouveaux commerces exclusivement dédiés aux touristes, arrêter de promouvoir la destination en stoppant les campagnes de promotion et fermant certains bureaux de représentation…sont autant d’actions qui peuvent être prises au niveau local.
Les Baléares envisagent aujourd’hui une décroissance touristique, alors même qu’ils en sont largement dépendants économiquement, en limitant et encadrant les locations, diminuant ainsi de presqu’un quart le nombre de lits marchands (les mauvaises langues disent qu’il s’agit davantage d’un lobbying des hôteliers pour conserver leur manne). Des sites comme Angkor privilégient des séjours plutôt que des excursions, la ville de Hallstatt, en Autriche (connu via La Reine des Neiges), limite le nombre de bus et contraignent leurs groupes à y passer un temps minimal pour générer davantage de dépenses locales, des sites comme Le Machu Pichu, Yosemite, The Wave en Arizona ou l’Alhambra contingentent leur nombre de visiteurs, …
Et l’auteur préconise de sanctuariser certains écosystèmes fragiles, tel l’Antarctique, où se développe paradoxalement un tourisme de la dernière chance plus que nocif !
Enfin, Rémy Knafou préconise la mise en oeuvre d’un tourisme réflexif, permettant malgré tout d’agir sur les touristes, avec des déclencheurs, pouvant être assimilés parfois aux nudges : il prend en exemple Berlin avec des plaques de laiton dans le sol indiquant le nom d’une personne déportée, ou encore la pose d’une dalle de verre au-dessus d’une bibliothèque aux rayonnages vides faisant allusion aux autodafés nazis.
Bref, j’espère que je vous aurais donné envie de lire cet essai, ou au moins de venir jusqu’à Pau en Octobre prochain pour l’y écouter !