Décembre 2024 – Morlaix, Finistère Nord
« Le tourisme est un outil du soft-power breton » nous dit le Président de la Région Bretagne, Loïc Chesnais-Girard, dans son propos introductif qui situe efficacement cette édition placée sous le signe des récits et des imaginaires.
L’imaginaire de ces deux journées de rencontres, il s’incarne déjà dans le lieu qui les accueille. Le SEW est un tiers-lieu qui se déploie dans l’ancienne manufacture des tabacs de Morlaix, évoquée tout au long des échanges comme « manufacture royale », ce qui lui donne le faste des temps lointains et historiques. On pourrait également rappeler le passé industriel récent des lieux, la SEITA ayant été longtemps un pourvoyeur d’emplois indispensable à l’économie morlaisienne. Citer cette période c’est ajouter d’une certaine façon la part de récit que l’on conserve et que l’on transmet. C’est réhabiliter un pan de l’histoire, et des personnes qui l’ont habité, à l’image des « dames de la manu » qui ont perdu leur travail et leur situation sociale au tournant des années 2000.
Au SEW, ce passé est mis à l’honneur dans des productions graphiques, des œuvres de street-art, il est revendiqué haut et fort également par une génération de jeunes morlaisien.nes ; et ce lieu a donné un formidable écho aux propos qui y ont été tenus.
[DISCLAIMER : pour développer les sujets abordés ici, on ne peut que trop vous conseiller de regarder les replays des conférences dès qu’ils seront en ligne – don’t know when]
La conférence d’ouverture a vu un écrivain, d’apparence sinon austère du moins classique, se transformer en « bête de scène », le temps d’une allocution aussi passionnante qu’engagée, saluée par des applaudissements nourris et prolongés.
Jean-Michel Le Boulanger est écrivain, donc, et président du Festival littéraire malouin « Etonnants Voyageurs ».
Par une approche sociologique du tourisme, ce dernier invite à reconnaître les singularités des territoires, à les distinguer et les polir, pour produire un tourisme situé mais ouvert à tous.tes et faire face aux tentations identitaires.
Je retiendrai de cette prise de parole que « l’homme descend du songe » (Antoine Corbin), belle image pour qualifier notre insatiable soif d’imaginaires et de rêves, ainsi que l’expression d' »habitant-habité », de l’écrivain-poète breton Pierre-Jakez Hélias.
Prenons quelques instants pour un peu de poésie :
« Y a-t-il seulement quelqu’un
capable d’habiter un lieu,
de le réduire à sa merci,
d’en être tout à fait le maître
on de n’en faire qu’un avec lui,
de le dissoudre en sa personne ?
Et si c’était plutôt ce lieu-là,
miroir de vos affinités secrètes
qui vous habite,
qui s’empare de vous
à mesure qu’il se révèle,
non pas à force d’habitudes
– méfiez-vous de ce mot facile,
bien trop commun pour être honnête
mais dans ce temps qu’il vous envahit
comme un liquide qui désaltère
et quand vous n’avez plus soif
c’est que vous êtes devenu lui
sans cesser d’être vous !
l’habitant-habité
c’est tout un. »
Maxime Blondeau, cosmographe auto-proclamé nous a invité à changer notre façon de percevoir nos territoires, en appelant à ce qu’il nomme « la conscience des territoires ».
Pour cela, il utilise – entre autres – la cartographie pour démontrer l’ampleur et la diversité des représentations subjectives du monde, comme on peut le voir sur les images présentées ci-dessus.
« Le territoire n’est pas un objet, c’est un sujet. » Un sujet mouvant, dont nous avons de multiples représentations, qui varient en fonction de nos cultures, et du rapport que l’on entretient à lui, non plus dans une logique d’exploitation et de domination, mais dans une idée d’inter-relation vertueuse.
« Le territoire n’est pas un outil, c’est un milieu. » Un milieu vivant, que l’on peut approcher par une éthique de la géosphère et de la biosphère.
« Le territoire n’est pas un stock, c’est un flux. » Un mouvement, inlassable, et qui nous dépasse.
Caroline Le Roy n’a de cesse de nous « empowerer » pour mettre en oeuvre des actions durables et respectueuses de notre planète. Elle a évoqué les mécanismes du renoncement. En réalité, elle préfère parler de redirection écologique, dans une logique de prise en compte des limites planétaires, où l’on comprend que la sobriété (indispensable à ce stade de l’épuisement des ressources) peut être désirable. Tant qu’il y aura du kouign-amann, il y aura de la joie.
L’atelier a été ponctué par un débat mouvant, qui invite à la pensée complexe, au doute, à l’écoute de l’autre, à envisager un sujet sous plusieurs angles. La question posée ce jour : « Faut-il continuer d’accueillir des touristes étrangers ? » Vous n’avez pas 4 heures, mais si vous avez 20 minutes pour proposer ce débat mouvant lors de votre prochaine réunion d’équipe, vous découvrirez l’immense potentiel de ce format (et en cadeau sous ce lien une courte vidéo pour apprendre à le mettre en place en 1’52).
Valérie Jousseaume, géographe a ouvert une conférence dédiée à l’ethno-inspiration sous le prisme des cultures paysannes, et ce qu’elles ont à nous apprendre, notamment sur notre capacité à recréer du collectif.
L’autrice de « Plouc Pride, un nouveau récit pour les campagnes » nous invite à se réapproprier les mémoires, et ce dans un état de conscience aigu.
L’objectif : recréer du « nous », comme dans les fêtes bretonnes où tout le monde est acteur.rice de l’événement qui se déroule, en dansant, en chantant, en jouant d’un instrument de musique. Nous étions jusqu’à récemment structurés en communautés, nous agissons aujourd’hui en individus, il s’agit demain d’inventer la possibilité de communautés d’individus, qui feraient corps au delà de l’addition d’individualités.
Avec passion et engagement, elle nous invite à la protection de nos relations, à prendre soin des corps et des cœurs.
Ce qui constitue à ses yeux la désirabilité d’un vivre-ensemble : du rêve, du jeu, de la fête.
Et nous terminerons ce rapport non exhaustif par un clin d’oeil au fil rouge de l’événement, sous forme de facilitation graphique, ce bel outil d’intelligence visuelle qui a émaillé les échanges en proposant des synthèses éclairantes et impactantes.