La question des mobilités touristiques préoccupe, nous l’avons vu et abordé de façon multiple depuis le début de l’année avec Caroline Le Roy et Cédric Chabry, l’ensemble des acteurs touristiques. Les collectivités, bien entendu, qui ont toutes inscrit les mobilités ou itinérances douces comme les mobilités électriques dans leurs différents schémas de développement, à toutes les échelles considérées (régions, départements, métropoles ou EPCI). Les entreprises, évidemment, qui développent de nouvelles solutions pour répondre aux enjeux majeurs identifiés et à venir (en intégrant par exemple l’IA). Les usagers, enfin, habitants, excursionnistes ou touristes qui utilisent les services et les infrastructures pour réaliser leurs mobilités, individuelles ou collectives, avec l’ambition de vivre en toute liberté sans subir de ruptures de charge. Il m’a semblé intéressant d’achever ma contribution à ce sujet passionnant par une lecture territoriale des mobilités touristiques. Je vous propose de questionner la « smart mobilité » et « l’itinérance à vélo » en Région Grand-Est, telles qu’abordées lors de deux tables-rondes que j’ai eu la chance d’animer lors du Focus tourisme de Metz les 24 et 25 octobre dernier.
« Smart mobilité » : comment concilier durabilité et innovation dans la mobilité touristique ?
C’est le premier sujet proposé à la réflexion et au débat, avec trois exemples régionaux, expérimentaux et complémentaires, qui permettent de souligner quelques enjeux pour les territoires, portant notamment sur l’intermodalité touristique ou la place laissée à l’innovation de service.
Laurence Prévot, directrice de l’Office tourisme d’Épernay en Champagne est venue présenter Les bulles vertes, un projet de routes à bas carbone sur le territoire champenois, destination déjà engagée en matière de tourisme durable avec quelques actions originelles : 82 km d’itinérance douce sur l’agglomération à pied, vélo, cheval ; le festival Vign’art créé en 2018, d’art contemporain et de land art mêlant dans les vignes art – nature – oenotourisme ; ou ce partenariat la startup « Gourde friendly » valorisant l’utilisation de la gourde par les visiteurs et créant un réseau de partenaires locaux (restaurants, bars, magasins, etc.) qui acceptent de remplir gratuitement le contenant des usagers.
Épernay est la première ville, et son territoire, à développer le projet de route bas carbone en région Grand-Est (il en existe en Nouvelle Aquitaine avec les routes des vins de Bordeaux en Graves et Sauternes). Le travail a été fait en partenariat avec une startup, La bulle verte. Le concept consiste à créer une éco-station de services conçue autour des mobilités douces et proposant des itinéraires-découvertes avec points d’intérêts. C’est la solution idéale, selon l’entreprise, pour découvrir un lieu à partir de contenus originaux dévoilés au fur-et-à-mesure des parcours à l’aide d’une application. Laurence Prévot précise les réalisations sur le territoire marnais : cinq bulles vertes ont été créés en 2023, à la fois pour favoriser une Itinérance touristique à bas carbone et proposer des expériences immersives pour explorer, favoriser les rencontres, mettre en valeur savoir – faire locaux. Les cinq éco-stations ont été installées à l’Office de tourisme d’Epernay, dans un relais du vigneron, dans ferme auberge ainsi que chez deux acteurs du champagne dans la vallée de la Marne. C’est à la fois un projet collectif et individuel qui vise à animer la route touristique du champagne. Les projets pour 2024 sont de continuer la création de nouvelles bulles vertes, sans doute trois, comme des solutions d’itinérances « zéro carbone » en fixant quelques portes d’entrée du territoire : des locations de véhicules, les services de mobilité en gare, etc.
D’autres initiatives ont été lancées en matière de mobilité notamment dans le cadre d’un groupe de travail smart mobilité à l’horizon 2030 pour la Mission UNESCO « Côteaux, maisons et caves de Champagne », la promotion de l’accès ferroviaire lors de la Grande traversée du PNR Montagne de Reims ou le Schéma directeur des infrastructures de recharges pour véhicule électriques (SDIRVE) animé par la Syndicat intercommunal d’énergie de la Marne (SIEM).
La « smart mobilité » dans les vignobles a été ensuite abordée par Emmanuel Vermot – Desroches, directeur général du groupe LK Kunegel, groupe d’un peu plus de 800 salariés, transporteur à Strasbourg, Sélestat, Colmar, Mulhouse, Belfort (scolaire, urbain, interurbain, personnel pour Stellantis à Mulhouse et dans la bande rhénane, transport occasionnel) et propriétaire de deux agences de voyage (LK tours et Europa tour) spécialisées dans le réceptif, notamment à destination de groupes étrangers.
Le groupe a lancé KUTZIG’, un service de navettes touristiques dans le vignoble alsacien. C’est une initiative privée née d’un constat : il n’existait pas de desserte sur la route des vins d’Alsace pour les locaux et les touristes, sur une partie de la route autour de Colmar dans un périmètre de 25 km. Une boucle a ainsi été lancée en 2019. Le point de vue du transporteur est très intéressant : il met l’accent sur l’investissement en matériel roulant, avec l’achat d’une flotte de 3 véhicules décapotables de capacité de 28 places (au prix de 170.000 € par véhicule). Si la mise en œuvre a été retardée par le Covid, l’année 2022 a été la première à être complète avec plus de 5.700 clients. Les clients sont exclusivement des touristes, notamment des Espagnols (avec les liaisons Easyjet de la région) et des Japonais. Des services de commentaires sont proposés sur l’application KUTZIG’. Les années 2022 et 2023 permettent de mesurer les premiers apports : en interne, une évolution des métiers notamment pour les conducteurs qui ont suivi une formation en anglais, et surtout des retombées médiatiques importantes. Le bilan financier est moins bon, l’équilibre économique est encore difficile à obtenir. C’est la raison pour laquelle la politique tarifaire a été revisitée en 2023 avec un billet passant de 15 à 26 €. Pour autant, l’entreprise souhaite dupliquer ce service sur d’autres itinéraires de la route des vins, notamment à côté de Strasbourg.
La « smart mobilité » à l’échelle d’un territoire peut prendre l’autres contours. C’est le cas par exemple du projet d’aménagements multimodaux de la Gare de Vandeuvre-sur-Barse dans l’Aube. Christelle Taillardat, directrice générale de l’Agence départementale du tourisme de l’Aube et du Slow Tourisme Lab est venue présenter ce projet, encore en phase exploratoire, d’une petite commune de 2.300 habitants dont l’activité ferroviaire est principalement rythmée par des navettes pendulaires (52.000 passages/an) mais qui bénéficie de la proximité du parc de Nigloland à peine à 13 km (750.000 entrées / an). Les visiteurs arrivent pour la quasi-totalité d’entre eux en voiture (une sortie de l’A5 dédiée). La problématique portée par l’ADT est donc de développer un service ferroviaire pour de futurs visiteurs dans une gare aujourd’hui fermée.
Pour devenir la Gare de Nigloland, des investissements sont nécessaires : pour allonger les quais, pour desservir la gare avec des trains régionaux dernière génération plus confortables, mieux équipés et plus réguliers. Transformer la gare en zone d’échange multimodal (ou intermodal) nécessite de développer des navettes routières financées par Nigloland, d’aménager les abords, de penser des abris ou du mobilier. Une étude est menée par la SCET pour identifier les conditions de mise en œuvre de cette multimodalité. Et ce projet a été lauréat de l’AMI Atout France sur l’innovation en 2023. Cette innovation de services pour une zone rurale qui pourrait faire jurisprudence, avec notamment un travail sur l’autopartage (avec la société Clem’). Le calendrier de mise en œuvre est le suivant : première navette en juin 2024, lancement de la multimodalité pour la saison 2025 avec des clients ciblés, les familles (à la fois parents et grands-parents). C’est une réflexion tout à fait intéressante sur l’écosystème autour d’une gare rurale.
L’itinérance à vélo : comment développer les services pour rendre plus attractive l’expérience cyclo touristique ?
L’itinérance à vélo est le deuxième sujet de mobilité qui a été abordé lors d’une table-ronde. La Région Grand-Est, comme toutes les autres régions françaises, avait érigée l’itinérance douce comme axe prioritaire dans son Schéma de développement 2018 – 2023 et l’a confirmé dans le schéma présenté en séance, autour des questions de satisfaction client, d’investissement ou de montée en gamme. Bref, en un mot, de l’expérience vélo en région.
Hélène Charlier, chef de projet Véloroutes et voies vertes de la Région Grand Est, est venue présenter le contexte régional. En dehors des deux SRDTL, dans le cadre d’un Plan régional vélo a été décidée en 2022, un travail partenarial a été mené avec la direction de la mobilité. Le tourisme bénéficie d’une enveloppe de 10 millions € sur les 100 millions du Plan vélo. Une évaluation positive a été menée à l’échelle de la Région, à la fois par la conjonction des évènements (COVID), le besoin de proximité, la durabilité et les pratiques douces dans l’air du temps. L’itinérance n’y échappe pas, que ce soit avec le vélo, le fluvial, le pédestre ou le fluvestre. Dans ce contexte, un schéma régional d’itinérance va être proposé à l’horizon du printemps 2024.
Guillaume Lucas, directeur du département mobilité d’INDIGO, et Benoit Gangneux, directeur de l’Observatoire et traitement des datas de l’Agence Régionale du Tourisme Grand-Est, sont venus partager la dernière étude d’INDIGO sur la fréquentation des itinéraires cyclables du Grand-Est. En synthèse, la Région Grand-Est n’est pas encore identifiée comme territoire de parcours préférés des cyclistes en 2023. Plus précisément, l’étude montre qu’une concurrence existe entre différents itinéraires, en région mais aussi avec les principaux axes cyclo-touristiques français (Loire à Vallée, Via Rhona…). Cette logique d’arbitrage existe également entre itinéraires. Les équipements sont : les points d’eau, les espaces de réparation, les espaces ombragés pour arrêts, la recharge pour les vélos électriques. Et l’étude d’INDIGO montre que le principal atout de la région, selon les cyclistes, réside dans la qualité de ses paysages et de son environnement. Mais que de grandes faiblesses persistent dans les services identifiés précédemment souvent défaillants ou inexistants. La Région est traversée par quelques véloroutes (Voie verte, Voie bleue) mais il demeure une grande différence entre la vision et la réalité. L’un des enjeux est celui des boucles autour des axes, c’est-à-dire les aménagements pour sortir et découvrir les alentours. L’exemple du Lac de Der a été cité comme l’un des mieux équipés de la Région. Vivre une région, ce n’est pas toujours la traverser, mais la vivre. La Loire à vélo demeure l’exemple à suivre, avec pour les cyclotouristes une distance moyenne parcourue de 59 km/jour contre 70 km ailleurs.
Un focus, enfin, a été fait sur l’un de ces itinéraires à vélo. Yoann Gauthiot, chargé de mission, est venu présenter « La Voie Bleue », un itinéraire de 700 km reliant le Luxembourg à Lyon en 23 étapes, au fil de l’eau sur des chemins de halage le long de la Moselle, du Canal des Vosges et de la Saône. Lancée en 2018, la « Voie bleue » accueille en 2022, selon une enquête de fréquentation, 1 million de cyclistes dont 30% de touristes en séjours et 10% touristes itinérants. Les clientèles étrangères itinérantes sont majoritairement des Allemands et des Néerlandais.
A l’image du reste des véloroutes de la Région, les points forts de la Voie Bleue sont identifiés comme le paysage, la sécurité et l’entretien ; les points faibles étant les services (dont la recharge électrique), le stationnement et la signalétique. Le Comité d’itinéraire, dont le chef de file est le département de la Haute Saône, a décidé de lancer un nouveau service, le transport de bagages (malle postale). Une consultation qualitative sera prochainement menée sur l’état des lieux des services le long de l’itinéraire (hébergements, restauration, etc.) et débouchera sur un Plan d’actions spécifique. Les faibles dénivelés, les 75% de l’itinéraire en sites propres devraient permettre de cibler les familles. A noter que le dernier barreau de parcours a été finalisé cette année entre Mâcon et Lyon, avec un investissement pour la collectivité de 150 à 200.000 € /km (enrobés, aménagement, etc.). et des retombées estimées à 31.000 € par an par km de voie aménagée. Des efforts devront être portés sur les recharges de vélo électrique (près du quart des mobilités observées en région) et la diffusion du label « accueil vélo ».