Pour ce billet de rentrée, je vous propose de remettre un peu d’ordre dans tout ce qu’on entend sur le numérique depuis quelques mois, ce numérique que l’on accuse (à juste titre) de polluer et d’altérer notre santé mentale, ce numérique qui nous rend totalement dépendant de quelques géants américains (entre autres) à l‘éthique plus que discutable, bref, ce numérique sans lequel c’était plutôt mieux avant, mais sans jamais le mettre réellement en perspective avec le rôle positif qu’il pourrait jouer vis à vis de nos vrais gros soucis du moment, notamment sur le plan environnemental… Et si, finalement, le numérique était autant le problème que la solution ? Et si, par exemple, le numérique polluant pouvait être une immense opportunité pour lutter contre la pollution du tourisme ? Et si on prenait un moment pour faire un état des lieux global, pour poser les ordres de grandeur (pollution numérique vs pollution touristique) et pour se projeter dans un numérique plus sobre, plus inclusif, et surtout plus utile à notre industrie… bref, un numérique (vraiment) Responsable ?!
Ne nous fions pas aux apparences, c’est bel et bien la rentrée ! C’est vrai que c’était bien sympa cette petite ambiance estivale à 40° du début de semaine, on se serait cru encore un peu en vacances… Alors en cette rentrée ma foi bien chaleureuse, peut-on sérieusement parler de révolution numérique sans parler, du Métaverse, de ces « influenceurs » qui se font épingler à Dubaï, de cryptos ou autres NFT censés régir le nouveau monde, ni, surtout, de la 14ème (qua-tor-ziè-me !) Révolution d’Apple, qui aura eu la peau de notre Reine préférée (RIP) ? Il faut dire qu’ils y sont allés fort du côté de Cupertino côté innovation : l’encoche noire qui pourrissait le haut de nos écrans depuis 5 ans est désormais remplacée par… une encoche noire d’une autre forme ! 1 400 boules, 70kg de matières premières, des terres rares dont l’extraction minière est une pure folie avec un carnage humain à la clé (à moins de croire les propos d’Apple sur son engagement dans le recyclage des matières premières)… mais c’est pour la bonne cause, parce que la nouvelle encoche, elle bouge quand tu reçois une notif ! Et ça… Alors oui ! Là, on peut dire que le numérique pollue et peut-être même douter de son utilité. Mais faut-il jeter l’iPhone 14 et le Métaverse avec l’eau du numérique… Essayons d’y voir un peu plus clair !
Le numérique pollue ! Beaucoup !
Selon les sources (The Shift Project, GreenIT…) et selon les années de référence, on estime que le numérique consomme déjà 7% de l’électricité mondiale et représente 4 à 5% de l’empreinte carbone mondiale, en progression de 5 à 6% par an (soit un doublement à venir d’ici à peine plus de 10 ans !). A l’échelle nationale, ça ne représente en revanche « que » 2,5% de notre empreinte carbone, grâce notamment à notre mix énergétique nettement moins carboné (sur le sujet, voir cette carte interactive qui représente en temps réel l’intensité carbone de l’électricité consommée dans le monde : https://app.electricitymaps.com/map). Mais les impacts environnementaux du numérique ne se réduisent pas aux seules émissions de Gaz à Effet de Serre (GES), loin de là.
Le numérique pollue, OK, mais comment ?
Si on s’intéresse aux impacts environnementaux plus globalement (épuisement des ressources abiotiques, radiations ionisantes…) et qu’on affine sur les composantes du numérique, on constate que ce sont les terminaux qui sont à l’origine de plus des 2/3 de l’impact environnemental et que la fabrication est l’étape qui concentre près de 80% de ces impacts.
Autant mettre les pieds dans le plat, nos smartphones ne sont donc pas, et de loin, les plus polluants ! Toutes nos télés, nos écrans d’ordinateurs, qui envahissent nos salons, chambres et bureaux, dans des dimensions et résolutions toujours plus démesurées, ont un impact nettement plus important, en tous cas à date (la croissance et le renouvellement effréné des smartphones n’augurant rien de bon pour la suite…).
On a donc un très sérieux sujet de pollution numérique qu’il va falloir résoudre, là, y’a pas débat. En revanche, si on veut être factuel et un peu objectif, ce n’est pas en limitant les pièces jointes et en nettoyant sa boite mail ou son Cloud qu’on va réellement s’attaquer au sujet. Ces actions symboliques sont importantes à l’échelle individuelle, car elles contribuent à la prise de conscience et à l’engagement personnel, mais il faut avoir conscience qu’elles ne se concentrent que sur l’étape du cycle de vie et sur les composants les moins contributifs. En revanche, allonger la durée de vie de nos équipements, privilégier les achats durables et/ou reconditionnés, renoncer aux équipements non indispensables sont de vrais leviers à généraliser d’urgence.
Et du coté des OGD, ça donne quoi ?
Si on recentre un peu le sujet sur l’impact du numérique dans les destinations, on peut distinguer globalement 4 domaines :
- les équipements et usages internes des OGD : politique d’achat des matériels (système informatique interne, postes de travail, téléphonie, écrans d’information, bornes interactives…) et hygiène numérique individuelle des collaborateurs·trices (éco-gestes numériques, boites mail, stockage cloud, archivage multimédia…)
- les outils de promotion digitale des OGD : sites web, réseaux sociaux, applications mobiles…
- les équipements et usages des sociopros du territoire : équipements internes, matériels à disposition des clients dont WIFI, outils de promotion et commercialisation digitales
- les usages numériques des visiteurs : photos / vidéos et leur partage sur les réseaux sociaux, internet de séjour, guidage GPS…
Sur ces 2 derniers domaines, les OGD ont globalement tendance à considérer que ce n’est pas réellement leur sujet, qu’ils ne peuvent rien y faire. C’est dommage car ils restent pourtant, par leur effet volume, les plus impactant. Sur le domaine des équipements et usages internes, les OGD commencent à s’intéresser activement au sujet, et il est vrai que c’est intéressant à travailler, car chaque tonne de carbone compte, mais ça reste objectivement assez symbolique compte tenu de l’échelle.
Reste la promotion digitale de la destination qui retient toutes les attentions depuis quelques mois. Et c’est tant mieux parce que dans ce domaine, on change d’échelle et on parle vite en (dizaines de) Tonnes équivalent CO2, ce qui en fait LE sujet principal de la pollution numérique d’une destination sur lequel on peut agir le plus « facilement » !
La promotion digitale au cœur de la pollution numérique des OGD
1 page web consultée sur un site de destination, par nature généreux en photos et vidéos plein écran, c’est entre 0,5 et 0,75 gramme de CO2eq (moins pour quelques-unes, bien plus pour beaucoup d’autres ! Testez voir quelques pages de votre site, pas que la home, sur https://www.websitecarbon.com/ pour vous faire une idée) : ça paraît pas grand-chose, mais multiplié par un peu plus d’1 million de pages vues, ça nous amène gentiment à la tonne de CO2eq par an, auquel on peut rajouter au moins autant sur les réseaux sociaux. Pour des destinations un peu visibles (métropoles, stations…) où l’audience dépasse largement le million de visiteurs web et plusieurs millions de personnes atteintes sur les réseaux sociaux, on arrive assez régulièrement à un impact carbone qui dépasse les 10-15 tonnes CO2eq ! Alors forcément, si on arrive à gagner ne serait-ce que 10% (et on peut facilement gagner 25 à 50% dans la plupart des cas), on économise vite quelques tonnes… Et on se rappelle ici que chaque tonne compte !
Mais d’ailleurs, qu’est-ce qui pollue effectivement dans ce domaine ? Pour simplifier, disons que l’essentiel du sujet environnemental est lié à la quantité de données qui partent des Data Centre (de Meta ou de l’hébergeur web), transitent dans les infrastructures réseaux et s’affichent sur le terminal, chacune de ces étapes nécessitant de l’énergie. Donc, basiquement, on pollue en ayant des contenus (pages ou posts) légers mais largement diffusés, ou des contenus lourds même si peu diffusés. Bon, évidemment, des contenus lourds largement diffusés, c’est un problème ! Et bingo, c’est exactement ce qu’on rencontre sur les sites de destinations, très peu optimisés (c’est un euphémisme), et largement consultés. Idem sur les réseaux.
Pour le reste, pour être relativement complet sur ce sujet de la pollution numérique, c’est principalement une question de :
- stockage sur les Data Centre => c’est pas loin d’être anecdotique à l’échelle d’un OGD
- capacité des dispositifs à lutter contre l’obsolescence matérielle => en gros, en faisant des sites simples consultables sur de « vieux terminaux », on contribue à la non nécessité de renouvellement des terminaux… bon, si on veut être honnête, les acheteurs de l’iPhone 14 (qui, soit dit au passage, ne respectent même pas le deuil royal) ont probablement d’autres motivations que celle de pouvoir consulter le site de l’OT des 3 canards du sud 2 fois plus rapidement… Mais, à l’échelle globale, ça justifie pleinement de se pencher sur l’éco-conception web.
Donc oui, nous avons bien un sujet de pollution numérique à adresser sur les dispositifs de promotion des destinations. Sans l’ombre d’une hésitation, la pollution numérique nous concerne tous, à titre personnel comme dans nos métiers, et les OGD ont un devoir majeur à se pencher sur le sujet. A minima, tout OGD devrait avoir conscience de son niveau de pollution numérique, et une compréhension, au moins dans les grandes lignes, de ses leviers pour réduire cette pollution.
Décarboner la promotion digitale d’une destination, c’est possible ?
En mettant en œuvre une vraie politique de numérique responsable, on peut agir sur plusieurs leviers pour réduire les impacts, que ce soit sur le web ou les réseaux sociaux :
- Agir sur les briques techniques (éco-conception du site, hébergement vert, cycle de vie des dispositifs…)
- Agir sur la production des contenus (cycle de vie des contenus, tournages, déplacements…)
- Agir sur l’intégration des contenus (sobriété éditoriale, choix des formats, optimisation des médias…)
- Agir sur la diffusion des contenus (ciblage, supports de publicité…)
Nous reviendrons plus tard sur le détail des solutions…
Mais si on veut éviter le dogmatisme et regarder sérieusement les choses telles qu’elles sont, il faudrait également mettre ce sujet en perspective… En matière d’impacts environnementaux, on pourrait ainsi pointer le bilan carbone des OTs dans leurs actions quotidiennes (hors numérique, les déplacements sur place des collaborateurs, les déplacements extérieurs à fins de promotion, les impressions papier, la signalétique…) et constater qu’on parle globalement de la même chose (quelques tonnes de CO2e en jeu, pour simplifier). Mais, surtout, il est probablement essentiel de mettre en perspective l’impact environnemental des OGD (pollution numérique, bilan carbone des missions quotidiennes…) et l’impact environnemental du tourisme, promu par le même OGD. En la matière, mettre à plat les fameux ordres de grandeur est plus qu’instructif !
Le tourisme pollue ! Énormément !
L’empreinte environnementale du tourisme en tant que tel serait de l’ordre de 8% à l’échelle mondiale. C’est déjà pas rien. Mais au niveau national, on table plutôt sur un bon 11%, compte tenu de notre attractivité mondiale et de l’éloignement des pays émetteurs qui implique une contribution du transport aérien plus importante. L’Ademe nous explique d’ailleurs que l’aérien pèse pour plus de 40% dans cette empreinte, et que si on regarde tous les moyens de transports confondus, l’acheminement A/R représente près de 70%, auquel on peut rajouter 9% de mobilité sur place pour conclure que la question globale des mobilités représente plus des ¾ de l’impact environnemental du tourisme en France.
OK, mais ¾ de combien ? 118 Millions de tonnes CO2e ! C’est à dire 7 fois l’impact du numérique. Mais de TOUT le numérique national, incluant le streaming (60% de la bande passante mondiale !), les médias, les flux bancaires, les blogs, les réseaux sociaux, les terminaux, les infras et Data Centre… bref, tant de sujets absolument pas liés au tourisme.
Un question, centrale, d’ordreS de grandeur
Alors pour obtenir des ordres de grandeur plus pertinents pour notre industrie, il faut faire quelques calculs et extrapolations, forcément très approximatifs et discutables, mais ce qui compte, ne n’est pas tant les chiffres que leur relativité.
Si on prend une destination fictive, disons « d’envergure internationale moyenne » (5 millions de nuitées, 75% en provenance de France/Europe, 25% marchés lointains) et qu’on transpose l’étude Ademe, on arrive à une pollution touristique de l’ordre de 500 000 tonnes CO2eq. Pour référence, la ville de Valencia a été en 2019 la première ville au monde à certifier l’empreinte carbone de son activité touristique : 1,2 M t CO2eq, dont 81% d’acheminement. Pour cette même destination fictive, on peut estimer que sa promotion numérique permet de toucher 2 millions de personnes sur le web et plus de 10 millions sur les réseaux, ce qui représenterait quelque chose comme 20-30 t CO2eq selon le niveau d’optimisation. Si on y ajoute une estimation de la pollution numérique des touristes de l’ordre de 5-10 t CO2eq et autant pour la pollution numérique des sociopros, on arrive péniblement à 50 t CO2eq. Alors oui, c’est beaucoup, et encore une fois, chaque tonne compte… Mais, factuellement, la pollution numérique de cette destination représenterait alors à peine 0,01% de la pollution touristique de cette destination.
Si on essaye de mettre ça en perspectives « business », pour cette destination fictive qui accueille chaque année 200 000 visiteurs en provenance du Royaume Uni, la pollution numérique représente l’acheminement d’une petite centaine de ces visiteurs anglais…
Voilà donc le sujet ainsi posé : la pollution numérique représenterait, selon les typologies de destinations et niveaux d’optimisations numériques, entre 0,005% et 0,05% de la pollution touristique. Ça donne à réfléchir quant au ciblage des efforts, non ? Pour autant, faut-il en conclure que la pollution numérique ne serait pas un sujet ? Non ! Toujours pas ! C’est bel et bien un sujet majeur dont tout OGD devrait s’emparer !
Mais… :
- A quoi bon nettoyer sa boite mail si dans le même temps on ferme les yeux sur la pollution touristique et travaille sur un plan média sur Meta pour attirer des touristes lointains qui vont peser au bas mot 1,5 à 2 t CO2eq chacun ? (ça en fait un paquet de pièces jointes à supprimer pour accueillir un seul Australien…)
- A quoi bon investir massivement dans l’éco-conception de son nouveau site web en version Allemande pour économiser quelques centaines de k CO2eq sachant que le premier allemand qui va venir va générer un impact à peu près équivalent ?
- Est-ce qu’on ne devrait pas aussi considérer que le numérique, une fois optimisé et décarboné au mieux, pourrait être une formidable opportunité pour contribuer à la réduction de la pollution touristique, avec un effet levier considérable ?
Finalement, le numérique ne pourrait devrait-il pas faire sa révolution et se rendre enfin utile, à la destination, au tourisme responsable, tout simplement ? Et devenir ainsi lui-même vraiment responsable ?
Alors c’est quoi, finalement, le numérique vraiment responsable ?
Si l’on s’en tient au sujet des impacts environnementaux, aborder réellement la question du tourisme responsable, c’est déjà avoir une bonne compréhension des ordres de grandeur, qui permet d’éclairer quelques prises de décisions et arbitrages stratégiques : non, fermer les sites web et réseaux sociaux n’a pas le moindre sens, pas plus que transformer nos sites inspirants en services minitel monochrome, désolé pour la ref’ du siècle dernier.
Mais réduire le numérique responsable à la question de la seule pollution numérique est probablement la plus grosse erreur ambiante. La question de la responsabilité devrait embrasser l’ensemble des externalités négatives du numérique : éthique, questions d’inclusivité, notion de mal être numérique / addiction / surcharge mentale…
Le numérique responsable devrait impérativement se définir comme une approche qui consiste à réduire l’empreinte du numérique (GreenIT), certes, mais en mettant dans le même temps le numérique au service des enjeux environnementaux (IT for Green) et sociétaux (IT for Good : éthique, inclusivité, bien être numérique…).
Le numérique responsable, une fois optimisé sur le plan de la pollution environnementale, pourrait alors aider les destinations à réduire l’impact environnemental du tourisme sur leur territoire et améliorer son rapport à ses clientèles cibles : respect de la vie privée vs tracking, accessibilité numérique, inclusivité, moindre sollicitation dans le respect du bien être numérique…
Finalement, le numérique responsable pourrait aussi se définir comme un numérique engagé ! Engagé pour l’environnement, la destination, ses habitants, ses visiteurs…
Prêt·e·S pour la révolution ?
Pour aller plus loin sur le sujet et notamment aborder quelques axes de solutions opérationnelles, rendez-vous ici-même lundi 26 septembre pour la seconde partie de ce billet 😉
Et si vous avez engagé des actions ou réflexions dans ce domaine, les commentaires sont à votre disposition pour les partager !
D’ici là, je vous encourage à un peu de lecture « engagée » sur le Métaverse :
- https://www.franckconfino.net/metavers-cest-quoi-cette-merde/
- https://bonpote.com/metavers-les-studios-alertent-sur-son-impact-environnemental/
Quelques références pour aller plus loin :