Sur la mobilité touristique

Publié le 27 février 2023
6 min

Notre civilisation est celle de l’hypermobilité. Les hommes si longtemps sédentaires ont retrouvé grâce notamment aux innovations technologiques et aux évolutions sociales le goût de la mobilité, une certaine forme de nomadisme, en lui confiant une place centrale dans leurs vies, un statut particulier dans leurs organisations, un rôle essentiel dans leurs stratégies sociales ou professionnelles. Cette mobilité, cette capacité à la liberté, cette inversion de l’histoire des peuplements fondée sur « une culture multiséculaire de la conquête » ont forgé une culture nouvelle, une approche globale du monde qui jamais n’a semblé si proche, si accessible, si consommable. La mobilité relie les hommes « là où les sociétés sédentaires se liaient entre elles par des croyances et des rituels partagés », selon Jean Viard. Le « transfert de sédentarité » produit en réalité des formes subtiles de mobilité.

L’hypermobilité et la diversité française auraient dû – si ce n’est depuis l’invention du tourisme, au 19ème siècle, du moins depuis les débuts de sa massification il y a désormais plus d’un demi-siècle – influencer les actions publiques et privées en France, contribuer à développer un système technique qui aurait permis leur rapprochement, essentiel à l’affirmation d’une certaine forme d’identité de la France contemporaine, une identité touristique, ouverte sur le monde, attractive et attrayante, généreuse et innovante.

Parler de la mobilité touristique en ce début d’année 2023 est un choix collectif que nous faisons avec Caroline Le Roy et Cédric Chabry pour la rédaction d’etourisme. Nous produirons plusieurs articles sur le sujet d’ici la fin de l’année. Parce que nous sommes convaincus que jamais plus qu’aujourd’hui la question des mobilités, centrales dans nos modes de vie, posent de multiples enjeux aux différentes échelles territoriales et à l’ensemble des acteurs de la chaine de valeur touristique. Et qu’une lecture croisée de ces enjeux est nécessaire.

Le vélo, la liberté du touriste…

La mobilité touristique : une question de vision, de stratégie et d’organisation

La mobilité touristique, c’est d’abord une question de vision, de stratégie et d’organisation. Et de rapport entre l’Etat, les collectivités, les entreprises exploitantes et les usagers. L’accessibilité des destinations est enjeu clef de la performance touristique française. La croissance du tourisme a longtemps été associée à un contenu en transport élevé, les transports n’étant pas considérés uniquement un moyen d’accès, mais une composante primordiale de l’offre touristique. C’est ce que soulignait Atout France en 2010. Cette question d’accessibilité signifiait à l’époque de renforcer les modes d’accès aux territoires et chaque destination. Paris constituait dans un modèle très centralisé la « porte d’entrée » du tourisme français, notamment par la voie aérienne. La France se considérait comme un « hub » devenue pour les visiteurs du monde entier et se rêvait parfois porte d’entrée de l’Europe pour des clientèles en provenance des marchés lointains. Le développement du réseau TGV en France et des divers réseaux de trains à grande vitesse en Europe (Thalys, Eurostar) était un parfait complément pour rendre accessible la destination France. Il en est de même des projets d’extension du réseau vers l’Espagne et l’Allemagne.

Le transport ferroviaire est Une vieille passion française, et le symbole avec le TGV de l’histoire d’une aventure schumpétérienne à la française. Par son espace finalement assez réduit, la dispersion de ses villes et la faible densité de population entre ces dernières, la France s’est découverte destination touristique grâce au train, ce qui a favorisé un tourisme de villégiature en station, à la fois pour les premiers touristes étrangers anglais au 19ème siècle et ceux, français et étrangers, qui se sont mis à découvrir le pays durant le 20ème siècle. La déprise et la fermeture de lignes secondaires jugées non rentable posa la question de la possibilité d’une certaine forme d’intermodalité (c’est-à-dire éviter les ruptures de charge dans un déplacement utilisant plusieurs modes de transport et ainsi des fractures territoriales). On parla longtemps de complémentarité entre l’avion et le TGV, de connexions améliorées mais rarement par des politiques tarifaires harmonisées.

L’un des changements d’appréhension des mobilités vint avec l’intégration des dessertes régionales (TER, autocar, etc.) et locales dans cette intermodalité. Ce que prévoyait la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement d’août 2009 dans son article 12 avec l’introduction de la notion de « plates-formes de correspondance ». L’intermodalité touristique devient un enjeu fondamental pour les collectivités, et notamment les régions qui ont compétences en la matière, afin d’optimiser les systèmes de transports et l’offre aux visiteurs. (tram-train,  services d’information, etc.). L’une des faiblesses du système de transport relève encore de l’échelle la plus fine, c’est-à-dire la coordination avec les modes plus locaux souvent presque inexistante, sauf pour le réseau urbain des plus grandes agglomérations.

Train à hydrogène

Penser autrement la mobilité touristique

Les dernières années ont favorisé la façon de penser autrement les modes de vies. De nombreuses initiatives ont été encouragées pour faire évoluer nos mobilités, collectives et individuelles. Deux modes de transport dominent encore largement les mobilités touristiques : le transport aérien et le transport routier, qui représentent près de 95% des modes utilisés par les visiteurs internationaux arrivant en France et près de 85% des mobilités des Français. Nos pratiques de mobilités sont toujours très dépendantes des moteurs thermiques, et les mobilités représentent plus de 77% des émissions de GES du secteur du tourisme en France.

L’offre de transport de demain doit être pensée autrement. De nombreuses initiatives peuvent être identifiées. Je propose de synthétiser quelques-unes des tendances principales autour de trois idées distinctes :

  • Le quota carbone de chaque voyageur : à l’échelle globale, l’une des tendances est de penser la mobilité comme un bien rare et exceptionnel, non renouvelable. Jean-Marc Jancovici a proposé en novembre dernier l’idée d’un quota de 4 vols dans toute vie. Je crois que nous viendrons naturellement à aborder chacune et chacun cette question de la mobilité longue distance et l’arbitrer selon plusieurs critères, notamment celui du prix et de la quantité. Le quota carbone me semble constituer une évidence, de façon à limiter les émissions de la population mondiale. Curieux paradoxe quand on lit qu’Airbus et Boeing, les deux géants de l’aéronautique mondiale, croulent sous les commandes avec par exemple celle très récente d’Air India avec 250 appareils pour Airbus et 220 pour Boeing à destination d’Air India.
  • Des offres décarbonées, sobres et mieux coordonnées : à l’échelle régionale, dans le cadre des mobilités relativement courte entre deux destinations proches, de nombreuses initiatives sont lancées depuis quelques années pour mieux coordonner les modes de transports doux et encourager de nouveaux usages. La région Occitanie, par exemple, est à ce titre intéressante avec l’expérimentation entre 2023 et 2025 de la mobilité à hydrogène, alliant autocar et train. D’autres pistes ou exemples peuvent être évoqués comme des systèmes de réservations intégrés. La solution 360° SmartMobility permet d’agréger et de vendre toutes les méthodes de transport, tous les itinéraires et tous les horaires de train, bus, avion, car, bateau, taxi, VTC, mobilité douce, location de véhicule afin de créer l’itinéraire le plus abouti possible pour l’utilisateur.
  • Le dernier kilomètre : le dernier enjeu est celui des mobilités à destination, du rayonnement sur le territoire, parfois appelé la mobilité du « dernier kilomètre ». La mise en place de Zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) et sa généralisation d’ici 2025 les grandes agglomérations doit encourager le report modal vers les mobilités douces. De véritables plans doivent être pensés à l’échelle la plus fine pour partager l’espace public, le rendre accessible au plus grand nombre et notamment aux visiteurs, considérés comme des habitants temporaires des espaces concernés.
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    Brice Duthion est président - fondateur de la société "Les nouveaux voyages extraordinaires", agence spécialisée en conseil, conférences et communication. Il intervient auprès de nombreux acteurs publics et privés dans ses domaines d'expertise : le tourisme, la culture et le développement territorial. Acteur engagé et passionné, membre du comité d'experts tourisme et développement territorial du CNFPT et de l'INSET de Dunkerque, il fait partie de l'équipe des blogueurs du site [...]
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