J’avais prévu de faire ce billet du jour sur des expériences positives dans le tourisme, mais la communication du plan du gouvernement sur la « gestion des flux touristiques » m’interpelle réellement et j’ai envie d’en dire deux mots.
Rappelons de quoi il s’agit : la ministre déléguée au Tourisme, Olivia Grégoire a présenté lundi le plan du gouvernement pour lutter contre les pics de fréquentation et « renforcer l’acceptabilité des flux touristiques pour les habitants locaux. »
Je ne reviendrai pas sur le contenu de ce plan, qui a le mérite de présenter une certaine cohérence, même si chacun pourra discuter de l’efficacité des actions proposées. Je m’intéresse plutôt à l’interprétation de cette annonce ministérielle.
80% du tourisme sur 20% du territoire
Dans le dossier de presse, la ministre l’affirme « nous le savons, en France, 80% de l’activité touristique se concentre sur 20% du territoire« . Ce chiffre ne suit pas a priori l’évolution du tourisme, car il est le même depuis plusieurs décennies. Ainsi, en novembre 2001, Jacques Brunhes, alors secrétaire d’état au tourisme (je suis sur que tout le monde s’en rappelle!) défendait son budget à l’assemblée nationale et faisait la même déclaration « dans notre pays, 80% de la fréquentation touristique se concentre sur 20% du territoire. » C’est rassurant de savoir qu’il y a une permanence de la documentation sur les flux touristiques au ministère!
Blague à part, on a une vacuité totale de précision sur ces chiffres. Ca me fait penser au fameux « un touriste sur dix rentre dans un Office de Tourisme » qui est surtout une très vague estimation faite il y a quelques années, mais que tout le monde a repris (mea culpa)…
Pour Jean-Baptiste Soubaigné, qui a mené l’enquête, les chiffres divergent. Ainsi l’OMT évoque en 2019 « 95% de voyageurs sur 5% du globe« . Alors que Christian Mantei, directeur général d’Atout France déclarait au Parisien en août 2018 « Pas moins de 80 % des touristes vont dans 5 % de l’espace disponible ».
Ce serait donc la première des choses à faire, de parler de vrais chiffres. C’est d’ailleurs ce qui est prévu dans ce fameux plan, puisque l’axe 1 prévoit de « Diffuser une compréhension commune de la gestion des flux touristiques » avec la création de plusieurs outils comme une plateforme de partage des ressources, et un guide pratique sur la gestion des flux.
D’ailleurs, le programme prévoit de mieux définir la notion de surtourisme, terme qui n’est employé que deux fois dans le dossier de presse. Terme sur lequel on peut réellement s’interroger !
Une presse unanime
Par contre, la presse, elle, n’a pas changé d’angle : presque tous les medias parlent de « surtourisme » en écho à la présentation de ce plan, poursuivant ainsi un travail de dénigrement du tourisme entamé depuis quelques années.
Si l’objectif de cette annonce était pour le gouvernement, de séparer le bon grain de l’ivraie, je crains que cela soit raté, car les journalistes n’ont pas fait dans le détail encore une fois…
Les touristes oui, mais les autres aussi…
Heureusement que le plan gouvernemental doit s’attaquer à la compréhension du phénomène de « surtourisme » qui la plupart du temps n’est pas provoqué par le tourisme, ou pas que… Car majoritairement, les commentateurs oublient de rappeler que la concentration des flux sur les zones attractives ne sont pas que l’œuvre de touristes en séjour. Omettent de préciser que les populations permanentes sont en augmentation dans ces zones. Évitent de rappeler que les « bi-résidents », se partageant entre résidence secondaire en télétravail et résidence principale urbaine font partie de l’équation. Et ne parlent pas de l’envie qu’ont tous les habitants d’être touristes chez eux, la fameuse « touristification du quotidien » étudiée par l’universitaire grenoblois Philippe Bourdeau.
Je travaillais dernièrement sur l’observatoire d’une station du littoral atlantique, ou la surfréquentation est une réalité et ou le sentiment de surtourisme est énorme dans la population.
Or, si l’on regarde de près la journée la plus chargée de l’été 2022, la répartition de la fréquentation est éclairante. Sur 100 personnes présentes sur le port de cette station pour déambuler lors de cette chaude journée estivale, plus de 60 viennent de moins de 50 km, 3 sont des excursionnistes « lointains », 14 dorment chez des parents et amis ou dans leur résidence secondaire. Et seulement 21 sont de « vrais » touristes, séjournant dans les hébergements marchands de la station. Mais pour tous les observateurs, 100% des visiteurs étaient des touristes, des vacanciers, venant d’ailleurs…
Or en associant systématiquement le mot « tourisme » à la « surfréquentation », on fait de la surenchère.. C’est condamner sans juger toute une profession qui n’a pas forcément besoin de cela…