Durant ce mois d’août, la rédaction vous propose une rediffusion des articles les plus lus sur notre blog.
L’article de ce jour, signé Laurent Queige, a été publié en janvier 2015.
« Dis-moi et j’oublierai, montre–moi et je me souviendrai, implique-moi et je comprendrai ». Confucius
Parmi les grandes tendances qui structurent le développement des pratiques touristiques, la recherche d’une expérience personnelle – et si possible d’une expérience intense que l’on peut montrer à sa famille ou à ses amis – représente une attente forte chez les visiteurs.
Cette tendance s’appuie sur le rejet du tourisme de masse et de ses avatars, trop longtemps subis : enchaînement de visites standardisées, au pas de course, pas ou peu d’interactivité, attitude passive dans le processus de visite, etc.
Le touriste devient plus en plus exigeant. Il demande aujourd’hui de pouvoir prendre part à sa propre visite lui-même, en tant qu’acteur, avec si possible la possibilité d’échanger avec des interlocuteurs locaux : habitants, artistes, artisans, commerçants, étudiants, etc, bref avec tous ceux qui façonnent la ville d’aujourd’hui, par opposition à ceux qui l’ont façonné hier, avec lesquels on ne peut plus interagir.
C’est ainsi qu’a émergé le « tourisme participatif » depuis une quinzaine d’années, symbolisé par le phénomène des greeters. Ces habitants accueillent les touristes bénévolement et leur montrent leur environnement quotidien, souvent avec la passion de ceux qui aiment leur ville. Ce mouvement, né à New York, s’est répandu dans le monde entier. C’est en France où il trouve aujourd’hui l’écho le plus fort puisque notre pays compte le plus grand nombre de greeters au monde. Par ailleurs, on assiste depuis peu à une explosion d’initiatives visant à mettre en relation habitants et touristes : Vayable, Good Spot, Bienvenue chez Nous, etc.
Une étape supplémentaire dans la recherche d’expériences personnelles a été franchie avec un nouveau phénomène : le tourisme créatif. Qu’entend-on par là ? Il s’agit de l’ensemble des pratiques touristiques fondées sur des pratiques amateurs, dans les univers de l’art, de l’artisanat et des savoir-faire. Ateliers de cuisine, stages de photographie, cours de danse, ateliers d’art numérique, etc, il existe une immense palette de domaines qui permettent à un visiteur d’enrichir sa pratique ou sa maîtrise d’une discipline.
L’OCDE ne s’y est pas trompée, puisqu’elle indique dans son rapport du 26 septembre 2014 : « Le tourisme créatif se distingue des modèles classiques de tourisme culturel par son socle même : les compétences immatérielles et actifs intellectuels(…) Il apparaît que ces nouveaux modèles du tourisme créatif peuvent apporter une valeur ajoutée considérable, accroître la demande touristique et diversifier l’offre (…) L’innovation suscitée par les industries créatives engendre de nouvelles évolutions, dont l’apparition de nouveaux intermédiaires créatifs et de l’économie du partage, et le développement du tourisme relationnel (…). »
Ce tourisme est porté par une double évolution sociologique : d’une part l’essor dans les pays occidentaux des classes créatives, ces personnes dont les métiers reposent sur la nécessité de créer (artistes, professionnels du numérique, consultants, journalistes, artisans d’art, etc) ; d’autre part, l’accès généralisé des populations à une multitude d’outils numériques, dont l’impact sur leur créativité a été largement démontré depuis des années.
Ces deux évolutions conjuguées expliquent que de plus en plus de visiteurs, déjà familiarisés dans leur quotidien avec les pratiques interactives et individuelles, désirent vivre une expérience personnelle pendant leurs séjours, par la participation à des ateliers, des cours ou des stages.
Un autre avantage du tourisme créatif est l’échange entre visiteurs, leur permettant de découvrir des personnes qui partagent la même passion et de faire le lien entre les savoir-faire d’une destination et leurs propres centres d’intérêt. C’est un tourisme qui crée du sens, du lien, de la valeur. Voilà pourquoi il représente une tendance de fond qui n’est pas prête de se tarir.
Le magazine électronique Consoglobe ne s’y pas trompé, puisqu’il a identifié le tourisme créatif comme « l’une des 8 tendances qui changent l’industrie du tourisme ». Les activités créatives ouvrent le champ des possibles et permettent aux touristes de vivre des expériences en immersion. En quelque sorte, on peut dire qu’aujourd’hui le tourisme souhaite davantage repartir chez lui avec un souvenir qu’il a lui-même créé, plutôt que d’acheter un bibelot sans âme, souvent fabriqué ailleurs.
Face à cette lame de fond, l’offre s’est démultipliée certes, mais reste encore loin d’être structurée. Les pionniers ont été sans nul doute le Creative Tourism Network, créé en 2010, à l’initiative de Paris, Rome et Barcelone. Ce réseau a pour objectif principal d’échanger sur les bonnes pratiques et d’inviter de nouvelles destinations à soutenir et à structurer leur tourisme créatif.
Citons Creative Tourism Austria, qui fut l’un des premiers sites à recenser une offre d’ateliers d’artisanat et de stages artistiques à l’échelle d’un pays. Citons également Paris avec la création du site www.creativeparis.info, qui recense plus de mille ateliers et stages dans huit familles : arts plastiques et artisanat d’art / arts vivants et musique / photo, cinéma, multimédia / art du jardin et art floral / art culinaire / mode, design / sciences et techniques / écriture et philosophie. Cet immense travail de collecte et de qualification, réalisé par l’association ADCEP en 2011, a révélé que Paris est la ville au monde dotée de l’offre la plus variée et la plus riche en matière de tourisme créatif.
Une conférence internationale sur ces sujets s’est tenue l’Hôtel de Ville de Paris en décembre 2012. Une des contributions les plus marquantes fut celle de Greg Richards, chercheur et consultant, qui fut l’un des tout premiers à donner une définition au tourisme créatif. A la lumière de l’essor de ces nouvelles pratiques, M. Richards a exhorté les destinations touristiques à « ne plus se reposer uniquement sur la promotion de leurs richesses patrimoniales et matérielles, mais à miser à fond sur la valorisation de leurs richesses immatérielles ». En effet, ce qui fera de plus en plus la différence demain entre destinations touristiques reposera sur leur capacité à mettre en valeur leur capital humain et leurs savoir-faire, comme autant d’opportunités d’expériences pour les visiteurs.
Mais force est de constater que le tourisme créatif manque encore de structuration à l’échelle nationale. Certes, il existe une multitude d’annuaires et de listes, mais aucun ne propose encore une approche permettant de qualifier, de structurer ou de commercialiser l’offre de façon professionnelle.
Dans ce contexte, il est intéressant de relever le projet de l’ADCEP qui vise à passer de Creative Paris à Creative France. L’objectif est de créer une plateforme collaborative et une véritable centrale de réservation, avec la mise en place d’un outil en propre de gestion de la relation clients. Ainsi, le client sera suivi avant, pendant et après son atelier. Ce projet permettra aux acteurs proposant des ateliers ou stages d’accroître leur visibilité sur le marché du tourisme, qu’ils maîtrisent mal, et aux destinations de se promouvoir grâce à la mise en valeur de l’ensemble de leur savoir-faire. Il reste maintenant à l’ADCEP à concrétiser ce schéma avec l’apport de partenaires techniques et financiers. Affaire à suivre…
En conclusion, le tourisme créatif, symbole d’une époque en soif d’expériences, d’échanges, d’authenticité et d’expression des talents individuels, a un bel avenir devant lui. Quand on voit le nombre de vocations qu’a suscité le tourisme participatif depuis dix ans, on ne peut qu’encourager les chefs d’entreprises, les start-up et les destinations à s’intéresser également à ce phénomène culturel et touristique dont tout le potentiel est encore loin d’avoir été exploité.