Dans quel monde évoluera le tourisme demain, quel modèle de développement pour notre secteur d’activité ? Croissance « verte » ? Salut par la technologie ? Décroissance ? Développement durable et/ou soutenable ? C’est parti pour un tour d’horizon !
Un modèle qui s’est construit comme toute l’économie dans une perspective de croissance et de ressources illimitées !
L’Homme, homo sapiens et ses prédécesseurs, a toujours été un grand voyageur. Il a colonisé la planète entière par vagues successives, et ses déplacements étaient liés à des questions de subsistance, au gré des évolutions du climat et des écosystèmes (déjà). Chasseur cueilleur il a ensuite majoritairement « basculé » vers un autre mode de vie au néolithique, devenant agriculteur, éleveur, en se sédentarisant pour l’occasion. Les « voyages » sont alors devenus des moyens d’augmenter sa richesse (guerres, raids…) puis d’imposer sa religion (monothéiste). Puis très longtemps après, au XIXème siècle les anglais ont inventé une autre forme de voyage, le « tourisme », d’abord réservé à une élite, puis progressivement démocratisé. Pendant ces milliers d’années d’autres peuples dit aujourd’hui « premiers » ont conservé leur mode de vie de chasseurs cueilleurs, jusqu’à être progressivement anéantis par notre modèle de civilisation. (un gros coup de cœur en passant pour le livre « l’Esprit ensauvagé… » de Maurice Rebeix, paru il y a quelques mois)
Le tourisme tel que nous le connaissons et le pratiquons aujourd’hui est le fruit de cette évolution, et de notre mode de vie « consumériste ». Une économie importante s’est construite autour de cette activité, et permet aujourd’hui rien qu’en France à des millions de personnes de gagner leur vie ou de compléter leur revenu. Il convient de noter que cette économie n’est absolument pas monolithique, s’y côtoient des multinationales de l’hébergement (groupes hôteliers), du transport (compagnies aériennes, ferroviaires, de croisières, de chemins de fer…), de l’intermédiation et de la distribution (agences de voyages, OTAs…), des loisirs (parcs d’attraction…) mais aussi une multitude de PME et TPE, micros-entrepreneurs, familles, artisans, commerçants, prestataires d’activité…
Ce ou plutôt ces modèles ont fonctionné et cohabité jusqu’à maintenant car les clients sont eux aussi pluriels et diversifiés. Néanmoins la pérennité du système est aujourd’hui questionnée par le réchauffement climatique, le siphonage des ressources naturelles, la destruction des écosystèmes et de leur biodiversité, et l’étouffement progressif de tous les peuples qui souhaitaient suivre une autre voie que le « toujours plus » !
Alors, quel modèle pour un ou plutôt des tourismes moins consommateurs de ressources ?
Fort de ce constat les initiatives se sont multipliées ces dernières années, pour une autre forme de tourisme plus respectueuse de la planète et de (tous) ses habitants, humains et non humains. D’où une profusion de labels, de « manifestes », de classements en tout genre et de prises de position. Il est parfois difficile de s’y retrouver tant le « greenwashing » règne en maitre, le lancement de démarches de type RSE est aujourd’hui en voie de généralisation, pour le meilleur souvent, pour le pire parfois (certification ISO20121 du Mondial de football au Quatar, séjours de luxe « écoresponsables » aux Maldives, iles bientôt submergées par la montée des eaux…).
Il faut dire que l’équation est particulièrement complexe. Pour avoir longtemps travaillé dans des stations de ski je mesure la difficulté à conserver de l’emploi et une vie dans les vallées sans l’activité ski alpin et ses corollaires, remontées mécaniques, neige de culture, construction de lits perpétuelle…
Le touriste « idéal » en termes d’empreinte carbone serait randonneur pédestre, campeur, naturiste et végan. Difficile d’en faire un modèle de développement généralisé, et de construire un modèle économique générateur d’emplois autour d’un tel segment de clientèle, s’il existe.
D’autre propositions plus ou moins réalistes sont sur la table, du quota de quatre vols pour la vie proposé par Jean-Marc Jancovici, jusqu’aux incitations à développer le « slow tourisme » pour prendre le temps de la découverte. Encore faut-il avoir le temps, l’envie et les moyens d’utiliser 4 de ses 7 jours de vacances pour aller en train en Sicile par exemple.
Heureusement des propositions concrètes et capables de répondre à une logique de « volume » se développent, dernière en date le projet « Occitanie Rail Tour » , parfait exemple de cohérence entre politique publique de développement et stratégie touristique.
Quand aux aspirations des voyageurs, elles restent très contradictoires : un récent sondage indique que les jeunes plébiscitent encore l’avion et la voiture, quand un autre dit à peu près le contraire.
En réalité les choix qui vont s’imposer sur les territoires seront moins dictés par des préoccupations « marketing » et financières que par des logiques de « limites » autour de la ressource en eau, de la capacité de logement pour les habitants, de la main d’œuvre disponible…
La main d’œuvre qui est d’ailleurs un vrai paradoxe des politiques de développement touristique, qui ont été pensées pour créer des emplois… dont les habitants ne veulent plus, d’où la grande difficulté à recruter dans l’hôtellerie restauration notamment (mais pas uniquement).
Alors que faire, comment penser un nouveau modèle qui donne envie, aux professionnels comme aux visiteurs. Aussi comme le dirait le philosophe Baptiste Morizot « l’enjeu est de politiser l’émerveillement, il faut inventer une écologie joyeuse »
Croissance verte, décroissance, croissance responsable, une question de vocabulaire uniquement ?
Chaque territoire ayant sa singularité, la réponse ne peut pas être uniforme partout. Certains restent en demande de davantage de visiteurs (beaucoup de zones rurales en France par exemple), là ou d’autres sont déjà dans une logique de « décroissance » de l’activité touristique, comme Barcelone ou Amsterdam pour citer les précurseurs sur ce sujet.
Il convient de noter malgré tout la rapidité avec laquelle l’opinion publique évolue et se radicalise sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres. Pour une collectivité assumer que l’on investit pour le tourisme est de plus en plus compliqué, quand bien même la plupart du temps ce type d’investissements bénéficie avant tout aux habitants (rénovation et piétonisation des cœurs de ville ou création de pistes cyclables par exemple).
Le tourisme est également au cœur des débats de société autour de la gestion de la ressource en eau notamment, ou de la nécessaire décarbonation des menus. Sans oublier les sujets « éthiques » qui traversent la société, tourisme social et solidaire et accès aux vacances pour tous, ou encore bien-être animal. Comment faire pour une ville « taurine » pour promouvoir cette « tradition » aujourd’hui, et revendiquer en même temps une approche de développement durable ?
Quel que soit le modèle de « croissance » poursuivi par le territoire, les OGD devront être en cohérence avec l’ensemble des politiques publiques menées : toute tentative de mener des campagnes de positionnement d’un territoire sur le mode « plus green que moi tu meurs » devra être raccord avec la réalité des actes et des comportements observée sur le terrain, faute de quoi le retour de bâton, sur les réseaux sociaux notamment, peut être très rapide.
Une précision « méthodologique » s’impose à ce stade, la décroissance ce n’est pas le retour à la peau de bête et à la caverne, mais la stabilisation d’un mode de vie et de consommation de ressources compatible avec ce que la planète peut supporter, après, il est vrai, une période plus ou moins longue de « contraction » permettant d’arriver à cet état de « stabilité ».
Je ne suis pas économiste, et ne vais pas me lancer dans un long développement sur le sujet, mais le choix qui s’offre à nous ce n’est pas la décroissance ou la croissance de l’économie touristique sur nos territoires, mais une palette d’options qui devront être compatibles avec l’ensemble des autres politiques menées. Entre le statu quo et la radicalité il y a probablement une ou plutôt des « troisièmes voies » à inventer ; plus elles seront choisies et anticipées, meilleure en sera l’acceptabilité par nos visiteurs, par nos habitants, enfin par nous tous !
Alors chiche, on y va ?
Bibliographie :
L’Esprit ensauvagé. A l’écoute des peuples premiers, pour une autre façon d’être au monde, de Maurice Rebeix, préface du chef Raoni
Sur la piste animale, Baptiste Morizot, Actes Sud
Ralentir ou périr, l’économie de la décroissance, Thimotée Parrique, Seuil