Il y a quelques semaines, le Shift Project, célèbre think tank présidé par Jean-Marc Jancovici, ingénieur qui n’a pas sa langue dans sa poche sur les questions de transition énergétique, a publié un livre intitulé « Plan de Transformation de l’Economie Française ». Après plusieurs années de recherche et d’étude pour réfléchir à la transition écologique, ce livre présente de quelle manière chaque pan de notre économie devra se transformer pour respecter la stratégie nationale bas carbone, c’est-à-dire l’ambition de la France pour répondre à la question de l’urgence climatique tout en assurant de la résilience à l’économie et de la création d’emplois. Le tourisme est présent dans plusieurs chapitres que je vous décrypte ici.
Voyages et mobilité longue distance
Nous l’avions déjà vu dans la dernière étude du bilan des émissions de gaz à effet de serre du tourisme en France. La mobilité est un enjeu clé et particulièrement délicat. Ce poste pèse 77% du bilan des GES. Or, on ne voit pas apparaître de révolution de rupture pour décarboner l’aérien à court terme.
Le constat rédigé dans le PTEF va dans le même sens comme le montre l’infographie ci-dessous.
Le Shift Project nous propose ensuite 2 projections, l’une de court terme, c’est-à-dire les choix à mettre en œuvre rapidement dans les 5 années à venir et la vision à plus long terme à horizon 2050.
Ainsi, les leviers pour décarboner la mobilité longue distance à court terme sont les suivants :
- Mise sur le marché de voitures électriques, économes et peu puissantes + vitesse limitée sur l’autoroute (110 km/h) ;
- Vols long-courriers moins nombreux. Vols courts interdits si trajet équivalent en train de moins de 4h30 ;
- Déplacements des salariés rationalisés par les entreprises ;
- Équipements touristiques adaptés pour le train + réseau transversal et trains de nuit développés en Europe ;
- Appui au tourisme local et bas carbone par les collectivités et le « Ministère » du tourisme ;
- Adaptation au changement climatique des réseaux de mobilité
Rien que ces mesures proposées sont une vraie révolution pour notre secteur, un point de bascule dans un nouveau paradigme où le bas carbone devient la norme. Certaines propositions ne sont pas sans nous rappeler ce qui était ressorti de la Convention Citoyenne pour le Climat. Il est clair qu’avec l’urgence climatique et la nécessité de répondre aux engagements suite à la signature de l’Accord pour le Climat en 2015, la France ne pourra pas attendre simplement du bon vouloir des touristes et de leurs engagements. Cela passera par de la législation.
Pour notre secteur du tourisme, cela imposera une transformation importante dont les préconisations du Plan sont les suivantes :
- Les destinations particulièrement dépendantes de marchés lointains vont devoir se réinventer que ce soit dans leur offre (accompagnement des socio-professionnels, qualification des offres, etc.) et dans leur promotion ;
- Les destinations vont intégrer petit à petit l’indicateur carbone comme un levier de performance pour la destination. Il faudra trouver le bon équilibre « retombées économiques / émissions de gaz à effet de serre ».
- Les destinations avec des bonnes connexions en train et des bons services d’intermodalité de transports en gare vont sortir gagnantes ;
- Les autres vont devoir trouver des solutions dont les investissements devront être enclenchés rapidement.
La vision à horizon 2050 du Shift Project est claire. La voici en 3 chiffres :
- 3 fois plus de trafic ferroviaire en 2050 par rapport à 2020 ;
- La distance parcourue en voiture va diminuer de 20% :
- La distance parcourue en avion va diminuer de 35%.
Culture : festivals et musées
Le PTEF intègre également le secteur de la culture, socle essentiel pour notre tourisme. Quand on sait que le bilan carbone du Musée du Louvre dépend à plus de 99% du déplacement de ses visiteurs pour près de 4 millions de tonnes équivalent carbone, l’enjeu croise souvent celui de la mobilité. Bien sûr, les 1200 musées de France n’accueillent tous pas le même public que le Louvre mais la culture pèse lourd aussi dans le bilan carbone de la France. Or, le sujet de la transformation bas carbone de la culture n’est clairement pas une priorité à ce jour. Ainsi, seuls 12% des acteurs du secteur ont reçu une formation aux enjeux énergie-climat. Et seuls 26% des établissements publics culturels réalisent un bilan carbone, souvent bien superficiel.
Les propositions du Shift Project pour décarboner la culture sont les suivants :
- Relocaliser les activités en inscrivant davantage la culture au cœur des territoires et en faire un moteur pour la transition locale ;
- Ralentir la production ;
- Réduire les échelles par des jauges plus faibles et des dispositifs adaptés ;
- Renoncer à certaines pratiques et opportunités technologiques carbonées ;
- Intégrer les enjeux de mobilités (pour le matériel, les œuvres et le public) ;
- Ecoconcevoir les œuvres.
Parmi ces propositions, la question de la réduction des échelles touche particulièrement notre secteur en particulier dans le monde des événements ou des festivals. « Plus un événement culturel est censé attirer des visiteurs, plus son audience est internationale, plus sa programmation doit déployer des performances spectaculaires pour se différencier… et plus le bilan carbone s’alourdit » nous précise le PTEF. J’ai forcément un regard vers l’Alpe d’Huez et des derniers festivals de Tomorrowland.
Ainsi, le slow ne sera pas que dans la mobilité demain, il s’agira aussi de renoncer et de voir plus petit si nous voulons respecter aux engagements internationaux face à l’urgence climatique.
Je vous invite à lire attentivement ce Plan de transformation de l’économie française car certaines propositions verront bien le jour dans les prochaines années en France et cela aura un impact conséquent sur l’économie… touristique de nos destinations.