Tourisme, la lutte des masses ?

Publié le 13 mai 2024
5 min

Depuis quelques années déjà notre activité professionnelle bénéficie d’un pilonage médiatique incessant autour des notions de « tourisme de masse » et de son avatar le surtourisme.

Ce phénomène a pris de telles proportions sur les réseaux sociaux, et Linkedin en particulier, qu’il n’est plus un jour sans sa moisson de posts sur le sujet, qui virent rapidement au « café du commerce » tant les clichés ont la peau dure sur nos métiers et leurs nuisances, bien réelles parfois, mais pas plus que celles de beaucoup d’autres activités humaines.

Le blog a déjà eu largement l’occasion d’évoquer ce sujet, évoqué récemment par Ludovic Dublanchet et Jean Luc Boulin entre autres.

Ramassage du coton, le « textile de masse », moins nuisible que le « tourisme de masse » ?
Crédit Tim Mossholder Unsplash

La masse, quelle masse ?

En réalité c’est l’ensemble de notre mode de vie qui est depuis la révolution industrielle et plus encore les Trente glorieuses orienté vers le « toujours plus » avec les dégâts que nous observons jour après jour sur notre planète, son climat et ses écosystèmes, en route vers une sixième « extinction de masse » dont nous sommes largement responsables

Car de fait ce maléfique « tourisme de masse » n’est lui-même qu’un avatar de « l’extraction d’énergie fossile de masse », de la « production textile de masse », du « numérique et des réseaux sociaux de masse », de l’ « élevage industriel et carcéral de masse », de « l’agriculture intensive de masse », de l’ « extraction minière de masse » (idéalement très loin de chez soi) et souvent aussi de surcroit de la « connerie de masse ».

J’en oublie évidemment beaucoup, mais il est de fait paradoxal que les contempteurs de notre industrie ne se posent pas la même question au moment de se déplacer avec leur SUV, de consulter messagerie et réseaux sociaux sur leur smartphone dernier cri ou de commander sur Amazon, ils et elles agissent ainsi qu’ils le veuillent ou non comme des acteurs de ce monde « massifié  ».

Le tourisme est donc effectivement un des aspects du monde productiviste dans le quel nous vivons, pas moins, mais pas plus. Et plus largement ses dérives nous questionnent sur notre relation devenu « consumériste » au monde, à l’autre !

« Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus d’amis. » Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince.

Pourquoi tant de haine ?

J’observe aussi que celles et ceux qui s’insurgent ainsi contre les méfaits diaboliques de nos métiers en sont eux même parfois issus, et en deviennent de grands inquisiteurs, pourfendant à longueur de colonnes les méfaits d’Airbnb, de l’industrie du ski, des JO 2024 à Paris ou de la surfréquentation sur les plages ou en montagne. On retrouve aussi parmi ces chevaliers blancs des universitaires/chercheurs distingués, des journalistes qui ont bien flairé le filon racoleur et beaucoup d’autres professions dites « intellectuelles ». J’imagine que ces personnes émérites ne sont jamais parties en vacances pendant les vacances scolaires, qu’elles n’ont jamais pris l’avion pour un séjour touristique, n’ont jamais séjourné dans une location de vacances… En bref qu’elles sont aussi parées de vertu que l’ensemble des prélats du Vatican !!

Il m’arrive également d’avoir la dent dure sur les mutations de mon/notre secteur d’activité, parce que le monde évolue, et moi aussi ! Je constate avec plaisir que la grande majorité de mes collègues du tourisme institutionnel change aussi et adapte ses modes d’action aux nécessités d’aujourd’hui, malgré les injonctions contradictoires auxquelles nous restons soumis. Le secteur privé n’est pas en reste, même si dans les deux cas le passage à l’acte n’est pas assez radical à mes yeux.

Certes aujourd’hui le  » plus green que moi tu meurs » envahit la communication de toutes les destinations, y compris celles qui sont a priori les plus éloignées de la vérité sur ce sujet (clientèle de luxe, majoritairement long courrier…). Pour la plupart d’entre nous néanmoins nous n’allons pas aussi loin que nous le souhaiterions, mais au moins nous agissons et ne sommes pas dans le simple commentaire.

Cette injonction à faire un tourisme « différent », décarboné, inclusif, relocalisé… nous soumet à un bombardement incessant d’initiatives toutes plus durables les unes que les autres, applis « révolutionnaires » qui incitent à redécouvrir le patrimoine et les producteurs ou artisans locaux, bilans carbones, fresques du climat ou du tourisme, démarches RSE, valorisation d’innombrables labels, associations ou entreprises à mission, nos boites mails et agendas croulent sous les sollicitations et nous sommes obligés faute de « temps de cerveau disponible » et de budget à faire des choix, ce qui n’est pas toujours compris.

En outre nos visiteurs et habitants se contrefoutent la plupart du temps de toutes ces démarches, ils veulent simplement et c’est déjà beaucoup être bien accueillis, pratiquer des activités sympas (gratuites et payantes), bien manger, idéalement local, et surtout avoir du beau temps, paramètre que nous ne maitrisons évidemment pas.

6ème extinction de masse, pour les glaciers aussi ! crédit Pixapay

MAIS ALORS, que faire ?

Partons du constat que cette « bulle » médiatique comme toutes les autres n’est que l’écume des choses il nous revient comme nous l’avons toujours fait de retrousser nos manches, et d’agir en ayant toujours le soin même si c’est difficile d’éviter le « greenwashing » et de faire en sorte de se sentir UTILES :

  • UTILES à nos visiteurs, en leur communiquant la bonne information, au bon moment et via le bon canal (en passant j’ai beaucoup apprécié le récent billet de Guillaume Cromer sur l’évolution des réseaux sociaux)
  • UTILE à nos habitants, car le tourisme ne sera bien accepté sur un territoire que si ceux qui y vivent y trouvent un intérêt (pas obligatoirement financier bien entendu)
  • UTILES à l’économie du territoire, aux professionnels, la question des retombées LOCALES étant fondamentale
  • UTILE aux écosystèmes locaux, et a minima moins « prédateurs » sur les ressources que d’autres activités humaines, industrielles, de services, agricoles…
  • UTILES à la planète en incitant au moins le temps des vacances aux mobilités douces, à une alimentation décarbonée, à une attention particulière aux économies d’eau potable, d’énergie, à la réduction des déchets…
  • UTILES enfin à nos collaborateurs, financièrement bien entendu, mais également en terme d’épanouissement et d’intérêt au travail

Les chantiers ne manquent pas, les problématiques sont très différentes d’un territoire à un autre, mais nous ne devons/pouvons pas nous contenter de bien accueillir et de faire de la promotion, d’autant que l’intérêt de cette dernière reste dans bien des cas à démontrer.

Et nous ne sommes pas seuls, de nombreuses initiatives positives existent, pour en citer deux FIG pour la décarbonation des menus et Hourrail pour favoriser les voyages en train. Sans oublier le travail réalisé par l’ensemble des OGDs…

Au final si nous revenions à l’essentiel, tout simplement…

Retour à l’essentiel, jusqu’où ? Crédit Susan Stöckli Pixapay
« La connaissance était inhérente à toute chose. Le monde était notre bibliothèque dont les livres étaient les pierres, les feuilles, l’herbe, les ruisseaux et les oiseaux et les animaux qui partageaient notre sort face aux orages comme face aux bienfaits que nous prodiguait la Nature
Standing bear (Mato Naji)
Indien Lakota (sioux)
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Arrivé dans le tourisme "par effraction" il y a une vingtaine d'années Nicolas MARTIN a successivement exercé son activité en montagne dans différentes stations et vallées (Piau Engaly, Val Thorens, Méribel, Vallée du Louron), puis à Bordeaux Métropole, dans le Pays Basque, et désormais à La Rochelle où il dirige l'Office de Tourisme et les espaces de congrès de l'agglomération (Espace Encan, Forum des Pertuis). Ce parcours lui donne une [...]
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