Un milliard en jeu et d’enjeux en 2026

Publié le 20 mars 2025
10 min

Le compte à rebours à démarrer, dans un an auront lieu les élections municipes et dès septembre la période de réserve va démarrer. En matière de tourisme ces élections impliquent de nombreux enjeux, que ce soit pour les destinations, les Offices de Tourisme évidemment, les acteurs de l’hospitalité, les habitants mais aussi pour les personnes de passage sur nos destinations. De nombreux enjeux donc et un milliard d’euro en jeu, car à l’aube de ces élections municipales, la taxe de séjour s’apprête à franchir le cap symbolique du milliard d’euros collecté. Une ressource on le sait précieuse pour les territoires sur laquelle il est temps d’interroger les usages et le devenir de cette manne financière trop souvent invisible dans le débat public. Entre opportunités politiques et nécessité de réinventer nos modèles touristiques, cette ressource territoriale mérite un regard neuf.

Le trésor caché des communes touristiques

Une croissance soutenue de 10% par an depuis la réforme de 2015, hors période pandémique évidemment, avec un montant qui est passé de 238 millions à 845 millions entre 2012 et 2022. La taxe de séjour a probablement déjà dépassé le milliard d’euro de collecte en 2024. Cette ressource, créée en 1910 pour permettre aux collectivités de faire contribuer les visiteurs aux aménagements qui leur sont destinés, concerne aujourd’hui plus de 80% des communes françaises. Mais derrière cette croissance exponentielle se cache de nombreux flous. Qui paie réellement cette taxe ? À quoi sert-elle exactement ? Quels sont les mécanismes d’évaluation de son affectation ? Et surtout, quels nouveaux leviers pourrait-elle nous permettre d’activer ?
 
Un usage qui pose question

La loi définit clairement l’affectation des recettes de la taxe de séjour : elles doivent financer des actions destinées à « favoriser la fréquentation touristique de la commune ». Mais qu’entend-on par « fréquentation touristique » ? Si l’on se réfère à la définition de l’Organisation Mondiale du Tourisme, le tourisme englobe « les activités déployées par les personnes au cours de leurs voyages et de leurs séjours dans les lieux situés en dehors de leur environnement habituel à des fins de loisirs, pour affaires et autres motifs ».

Or, dans la pratique, une réalité plus complexe émerge. La taxe est acquittée par toute personne séjournant dans un hébergement touristique marchand, indépendamment de ses motivations. Ainsi, aux côtés des vacanciers et congressistes s’ajoutent :
– Des étudiants en stage ou en entretien
– Des aidants accompagnant un proche hospitalisé
– Des travailleurs en mission temporaire
– Des artistes et techniciens en représentation
– Des familles en transit…

Cette porosité est bien connue des hébergeurs touristiques. Elle l’est également des hébergeurs non-touristiques (résidences habitat jeunes, travailleurs temporaires, Crous, résidences artistiques, etc.) qui font de la recommandation et du conseil de loisirs pour les personnes qu’ils accueillent (restaurants, activités, mobilités, etc.). Pourtant, ces visiteurs « invisibles » restent absents des politiques financées par la taxe de séjour. Rares sont les offices de tourisme proposant des informations adaptées aux travailleurs temporaires, aux aidants ou aux étudiants de passage. Un paradoxe d’autant plus frappant que ces visiteurs génèrent des retombées économiques substantielles, dans des domaine d’activités qui dépendent des OT, et qu’ils réalisent des séjours souvent plus longs.
 
Une mosaïque d’exemptions révélatrice des enjeux

La réglementation de la taxe de séjour dessine, en creux, une certaine vision de l’hospitalité territoriale et des politiques publiques. Avant 2015, de nombreuses catégories étaient exemptées : fonctionnaires en mission, stagiaires, pensionnés de guerre en cure, apprentis, bénéficiaires de certaines aides sociales et aidants accompagnant des proches hospitalisés. Aujourd’hui, seules quatre catégories restent légalement exemptées : les mineurs, les saisonniers employés dans la commune, les personnes en hébergement d’urgence et les personnes occupant des locaux dont le loyer est inférieur à un montant déterminé par le conseil municipal.

Cette évolution a créé un paysage fiscal d’une complexité remarquable, où l’exemption semble moins liée à la situation des personnes qu’à la nature de leur hébergement :
Les personnes en situation de handicap ne sont plus exonérées depuis 2015.
Les patients des établissements de santé sont exemptés, la Cour de cassation ayant mis fin aux tentatives de certaines communes de leur faire payer la taxe.
Les refuges de montagne sont exclus du champ d’application en raison de leur « fonction d’intérêt général d’abri ».
Les aires d’accueil des gens du voyage ne sont pas assujetties, étant considérées comme un « équipement d’intérêt général ».
Un camping-car est assujetti à la taxe s’il stationne dans un camping, mais pas sur une aire d’accueil.
Un bateau paie la taxe s’il est à l’anneau dans un port de plaisance, mais pas au mouillage dans une baie.
Les propriétaires de mobil-homes qui louent un emplacement à l’année sont redevables pour toute la durée du contrat, indépendamment de l’effectivité de leur séjour.
Les étudiants ne sont pas redevables s’ils ne sont pas logés dans une résidence hôtelière, leur logement entrant généralement dans le champ de la taxe d’habitation.
La location en journée (« day use ») n’est pas assujettie, la taxe étant exclusivement calculée par nuitée.
Les haltes pèlerines pratiquant le système du « donativo » (participation libre) ont fait l’objet d’une jurisprudence spécifique.
Les échanges de maisons ne sont théoriquement pas soumis à la taxe de séjour en France, contrairement à d’autres pays où elle peut être exigée pour tous les visiteurs, y compris dans le cadre d’échanges.
Les colonies et centres de vacances font l’objet d’un examen au cas par cas depuis 2015. Si l’activité est exclusivement dédiée à l’accueil avec hébergement de mineurs, la structure n’est pas assimilée à un hébergement touristique et n’est pas assujettie.
La gratuité commerciale exempte de taxe.
 
Cette mosaïque d’exemptions et de cas particuliers révèle une approche fragmentée de l’hospitalité, où le critère déterminant semble être la nature marchande ou non de l’hébergement plutôt que la situation ou les besoins des personnes accueillies.
 
Une affectation souple mais opaque

L’histoire de la taxe de séjour révèle une évolution significative de ses modalités d’affectation. Initialement prévue, en 1910, pour moderniser certaines stations ciblées, puis étendue en 1919 à l’ensemble des stations touristiques, la taxe était alors strictement limitée à « des travaux d’entretien des monuments et des sites, d’assainissement, d’embellissement ou d’amélioration des conditions d’accès, d’habitation, de séjour ou de circulation. »
 
La loi de modernisation de la décentralisation du 5 janvier 1988 a considérablement assoupli ces règles. Aujourd’hui, le Code général des collectivités territoriales (CGCT) exige simplement que le produit soit affecté :
– Dans son intégralité à l’office de tourisme lorsque celui-ci est constitué sous forme d’établissement public industriel et commercial (EPIC).
– « Aux dépenses destinées à favoriser la fréquentation touristique de la commune ».
– « Aux dépenses destinées à favoriser la protection et la gestion de leurs espaces naturels à des fins touristiques » pour les communes ayant institué la taxe à ce titre.
 
Cette formulation très générale a conduit à une interprétation administrative extrêmement large. La sous-direction du tourisme au ministère de l’Économie recense ainsi comme utilisations habituelles :
– Le fonctionnement des offices de tourisme
– L’amélioration du cadre de vie (entretien des plages, jardins, voiries, station d’épuration)
– Le recrutement de personnel saisonnier, le fonctionnement des services de police ou d’un service médical
– L’embellissement ou le fleurissement de la commune
– La construction de parcs de stationnement
– La signalétique routière et piétonnière
– Les travaux d’entretien des monuments

À Paris, le produit de la taxe (40 millions d’euros en 2014) était ainsi réparti : 14 millions pour des investissements de voirie liés à la fréquentation touristique, 7,5 millions pour l’office de tourisme, 9 millions pour la préfecture de police, et 3,5 millions pour des subventions culturelles.
 
Si le CGCT impose aux communes de faire figurer dans un état annexe au compte administratif les recettes procurées par la taxe et leur emploi, cet état ne fait pas l’objet d’une délibération particulière. Comme le soulignait en 2014 Michel Cazaubon, chef du bureau des destinations touristiques au ministère de l’économie : « il n’y a pas d’effort de pédagogie suffisant pour expliquer à quoi elle sert. […] Le caractère quasi universel de la ressource dilue les sommes perçues dans un ensemble de dépenses au sein desquelles n’apparaît pas la justification directe de ce prélèvement. »
 
Cette opacité nourrit parfois l’incompréhension des professionnels. À Paris, les hôteliers peinaient à comprendre pourquoi seuls 7 millions sur 40 étaient affectés à l’office de tourisme. L’Assemblée des départements de France notait également que « la contrainte budgétaire pousse de plus en plus de conseils généraux à garder les recettes de la taxe additionnelle, sans les utiliser à des fins touristiques, ce qui est contraire à l’esprit de la loi ».
 
Face à ces constats, le rapport parlementaire de 2014 sur la fiscalité des hébergements touristiques, présenté par Monique Rabin, Eric Woerth et Eric Straumann, recommandait « l’association des professionnels du tourisme à la détermination de l’utilisation du produit de la taxe », considérant cette concertation comme « indispensable, tant à son bon usage qui doit être centré sur la promotion touristique, qu’à sa bonne acceptation ».
 
Certaines collectivités ont d’ailleurs mis en place de tels dispositifs de concertation. Éric Woerth témoignait ainsi de l’existence, dans sa localité, d’un « comité d’affectation de la taxe de séjour composé majoritairement d’hébergeurs », qui propose à la communauté de communes les dépenses de promotion à effectuer.
 
Derrière les chiffres, des choix politiques

Au-delà des aspects techniques, la gestion de la taxe de séjour révèle des choix politiques fondamentaux sur la manière dont les territoires conçoivent l’hospitalité. La Communauté de Communes Haute Maurienne Vanoise présente cette taxe comme « un levier de financement exclusivement réservé au développement touristique et à l’amélioration de l’attractivité du territoire ». Cette vision, centrée sur l’attractivité touristique classique, contraste avec une approche plus inclusive qui considérerait l’ensemble des personnes de passage comme contribuant à la vitalité territoriale. Comme le souligne Trajectoire Tourisme, la taxe pourrait « améliorer l’expérience touristique… et la qualité de vie des habitants ». Cette double finalité ouvre la voie à une conception élargie de la taxe, où le tourisme n’est pas « un secteur hors-sol » mais un levier de développement territorial global.
 
La Confédération des Acteurs du Tourisme (CAT) demande ainsi « une réforme globale et concertée de la taxe de séjour » avec la mise en place d’un « dispositif de contrôle de l’affectation des recettes » et la création de « comités locaux réunissant professionnels et collectivités pour le suivi de l’affectation ». Cette demande de transparence et de gouvernance partagée reflète un besoin croissant de légitimation de cette ressource.
 
Vers une taxe de séjour hospitalière

Face aux défis climatiques et sociaux qui s’imposent aux territoires, la taxe de séjour apparaît comme un levier de transformation sous-exploité. L’ADEME nous rappelle que la pérennité du tourisme dépend de sa capacité à se recentrer sur des clientèles plus proches, pour des séjours plus longs et plus sobres.

Une taxe de séjour « hospitalière » pourrait ainsi :
Élargir son spectre d’action en finançant des services bénéficiant à l’ensemble des personnes de passage, au-delà des seuls touristes classiques.
Soutenir un tourisme plus durable en promouvant les séjours longs et les mobilités douces, conformément aux recommandations climatiques.
Développer une hospitalité inclusive permettant à chaque visiteur de trouver les informations et services adaptés à sa situation.
Renforcer la transparence et la concertation sur son utilisation via des comités locaux associant professionnels, habitants et collectivités, comme le préconisait le rapport parlementaire de 2014.
Créer des synergies territoriales en décloisonnant les publics et en favorisant la découverte du territoire par des personnes qui ne se pensent pas initialement comme « touristes ».
Réduire les inégalités fiscales entre résidents et visiteurs, tout en rappelant que « la qualité de vie du territoire est intimement liée à l’activité touristique et inversement ».
Simplifier le système d’exemptions pour le rendre plus équitable et plus lisible, en se fondant sur les besoins réels des personnes plutôt que sur la nature de leur hébergement.

Le milliard sous nos yeux

À l’heure où les finances publiques se contractent et où les enjeux sociaux et environnementaux s’intensifient, cette manne d’un milliard d’euros représente une opportunité politique majeure pour les futures équipes municipales.
 
Il est temps de sortir de l’invisibilité ce flux financier et d’en faire un sujet de débat citoyen. Car derrière les chiffres se dessinent des choix politiques fondamentaux : quelle hospitalité territoriale voulons-nous promouvoir ? Comment accueillir chaque visiteur comme un acteur économique et social à valoriser, qu’il soit touriste au sens classique ou non ? Comment transformer une simple taxe en levier d’hospitalité durable ?
 
La taxe de séjour pourrait ainsi devenir l’instrument d’une politique territoriale qui ne segmente plus artificiellement ses visiteurs, mais propose une approche globale de l’accueil, économiquement viable, socialement juste et écologiquement responsable. Une approche globale pour de meilleurs équilibres. Au moment où les communes réfléchissent à leur avenir touristique, faire de la taxe de séjour un outil politique au service d’une hospitalité territoriale réinventée représente une ambition à la hauteur des défis contemporains.

Les élus locaux ont entre leurs mains un milliard de raisons de repenser l’hospitalité territoriale. À eux de s’en saisir pour en faire le levier d’une transformation durable et inclusive de nos territoires.

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